19 heures
Moins 20 degrés. Un soleil rougeoyant étend ses derniers rayons sur Montréal, sur le Saint-Laurent gelé. Le nordet souffle sur le Vieux Port. C’est froid mais c’est beau aussi. La Promenade des Artistes est déserte, car même s’il ne l’admettra jamais, le Québécois est plutôt frileux. J’arpente les rues du Vieux Montréal où j’observe avec délectation plusieurs rangées de maisons bourgeoises datant du milieu du XIXème siècle. La maison Sir George-Etienne Cartier (ou vécut jadis… Sir George-Etienne Cartier) retient toute mon attention. Un dépliant touristique m’apprend qu’en plus d’avoir été un grand réformateur de l’éducation et de la justice ainsi qu’un des pères de la Confédération du Canada, Sir George-Etienne Cartier s’est également illustré dans la variété française en composant, entre autres, la tristement oubliée « Ô Canada! mon pays, mes amours”. Je réfléchis à un moyen (légal) de me procurer le morceau sur Internet.
21 heures
Sur les conseils avisés d’une amie québécoise, je me rends au restaurant « La Banquise », réputé pour son vaste choix de poutines. La poutine est un plat québécois traditionnel constitué de frites, de cheddar émietté et d’une sauce brune dont la recette est plus secrètement gardée encore que celle de Coca Cola. La serveuse me raconte avec un enthousiasme inébranlable l’histoire de la poutine à travers les âges. J’aime bien les histoires. Je lui laisserai un bon pourboire. Lorsque mon plat arrive, je suis surprise de constater qu’on peut effectivement trouver quelque chose de moins appétissant que les rognons de porc sauce madère. Je me dis que le Québécois est créatif, à défaut d’avoir un sens gustatif très développé.
23 heures
Je déambule dans les rues du Quartier Berri-Uqam, le repère des étudiants Montréalais. Je vois de la lumière. J’entre. Fichtre. Un bar québécois. Diantre. Un match de hockey en direct. Les Canadiens de Montréal affrontent les Bruins de Boston à domicile ce soir. Un Québécois sympa propose de m’offrir un « breuvage ». Je commande une Molson et je me dis que c’est pas si mauvais en fait, la Molson. Je me dis aussi que le hockey, c’est plutôt violent comme sport. Mais les clients du bar ont l’air d’apprécier. Des insultes sont proférées dans une langue exotique. Le Québécois a l’esprit de compétition.
Plus tard dans la nuit
J’ai rejoint un couple d’amis ontario-québécois au Belmont sur le Boulevard, une boite branchée du Plateau Mont-Royal. Un DJ local est en train de faire péter les basses derrière ses platines. La « nightlife fever » montréalaise s’empare de moi. On ne peut plus m’arrêter. C’est ma dernière soirée à Montréal. Demain, je prends un train pour l’Ontario. « Lilly, si tu fais de la rando en Ontario, tu DOIS prendre un spray anti-ours avec toi ! » me lance mon ami d’un air grave, entre deux gorgées de Molson. Je me dis que le Québécois est prévoyant. Je pense à d’autres usages rigolos que je pourrais faire d’un spray anti-ours et ça me fait sourire bêtement. « Sinon, tu peux aussi lever les bras très haut pour effrayer l’ours », poursuit-il. Apres avoir considéré la probabilité qu’une nana d’1m53 parvienne à mettre en fuite un ursidé de 350 kg en levant les bras très haut, je prévois d’acheter un spray anti-ours avant d’embarquer demain matin.
Au petit matin
Je regagne la petite chambre que je loue à une expat’ française pour 30$ par nuit. La fenêtre donne sur le quartier Berri-Uqam, encore endormi sous une épaisse couche de neige. Le soleil se lève. Un vent de mélancolie souffle sur moi. Je voudrais pouvoir me dédoubler pour rester et partir en même temps. Je m’endors et je rêve d’un monde idéal ou les humains et les ours sauvages seraient amis pour la vie.