Magazine Nouvelles

Je vais te zlataner la gueule !

Par Alainlasverne @AlainLasverne

 

Une nouvelle "hénaurme", en quatre parties


DETECTIVE-COMODO.jpg

GRAPH-91.jpg
l est un point qui ne souffre aucune discussion pour ceux qui le connaissent : le détective Marcel Comodo a commencé son existence à trente-cinq ans. D'aucuns diraient que c'est bien tard. Ils n'ont sans doute pas connaissance du vilain coup que dame Fortune lui a infligé.

Suite à un terrible accident de voiture, il a presque intégralement perdu la mémoire. Elle lui revient par flash, durant des rêves pailletés qui lui glissent quelques bribes de son existence antérieure, à la manière perverse de l'inconscient, jamais avare d'efforts quand il s'agit de contrarier une existence que la raison s'efforce de maîtriser.

Le détective a vite pris la mesure de la situation. Sur lui-même il devait compter et cette cervelle vacante n'en serait que plus légère pour aborder de nouveaux rivages dans l'existence. Néanmoins, il se laissa soigner, analyser, introspecter par les policiers et psychologues requis pour étudier le cas somme toute peu banal qui se présentait. Avec sérieux il tenta de les aider à trouver trace d'un passé dont ne témoignait nul papier d'identité, nul souvenir, nulle trace visible dans la carcasse démantelée qu'il avait un jour conduit. Marcel Comodo demeura inconnu dans la ville, dans la région, dans le pays tout entier. La planète entière n'avait jamais reconnu Marcel Comodo comme un des siens. Une ingratitude qui frappe quelques dizaines de personnes par an, tout de même. Peut-être faut-il voir là l'explication de quelques aspérités de caractères et d'un goût pour les solutions hétérodoxe, voire légèrement limites.

Le détective n'a plus rien à faire du trou d'air ménagé par le sort. Il s'est refait une vie par la grâce d'un caractère fort et de dons indéniables qu'ont su reconnaître quelques âmes non dépourvues d'intuition et de générosité, comme le patron de l'agence, Julien Résolu. Dans le visage cabossé et l'obstination à vendre une inexpérience patente mais pleine d'assurance, il a décelé un enquêteur qui doperait les résultats de sa petite entreprise. Aussitôt, il l'a embauché, pour une poignée d'euros.

Marcel Comodo est aujourd'hui enquêteur en titre, number one selon lui. Le passé est derrière, aime-t-il souligner avec un sens inné de la phrase qui choque, frappe et même assène une incontournable vérité. C'est un homme au corps plutôt massif, d'une taille moyenne. On pourrait le penser pataud, voire lourdaud. Il est souple et vif, grâce à la pratique régulière des arts martiaux et du billard français. Dans son bureau, sur le mur de droite sous une nature morte découpée dans Play-boy, on peut voir une série de clichés de lui pris à diverses époques. Si son visage marque peu à peu le passage du temps, la posture demeure inchangée. Bras droit tendu en avant, jambes légèrement pliées et main gauche fermée en poing prêt à frapper celui qui se hasarderait à défier ce maître en kimono noir, sponsorisé par les pompes funèbres Leclair, comme l'indique leur logo cousu sur les deux manches de l'habit.

On a le droit de penser que quelques photos ou la voix du détective, présentées avec insistance à Limoges ou à Rio, aurait pu ôter le voile couvrant cet être. Quelques songes du détective laissent penser qu'il fut, dans une autre vie, un homme avec un métier, une femme, des enfants qui sait. Mais les rêves ne donnent pas d'adresse, ni n'offrent de descendance, sauf peut-être les rêves mouillés en bonne compagnie, plaisante-t-il parfois. Il est âgé de quarante-cinq, d'après sa dentition. Son nom il le doit à une petite gourmette qu'il portait au poignet quand on l'a désincarcéré de l'épave automobile.

Il est connu pour son acharnement. Quand on ne peut entrer par la porte, on passe par derrière. Quand on ne peut passer par derrière, on défonce la porte. Il lui faut parfois résumer l'essentiel à certains collègues qui s'obstinent à chercher des pellicules sur les cheveux planqués dans la soupe quotidienne. Marcel Comodo est assez fier de ses flahs d'éducation populaire synthétisée et s'attache à n'oublier personne dans sa distribution.

Aujourd'hui, ici et même maintenant, il est confronté à un mystère, un vrai mystère sans solution apparente, comme il l'a certifié à ses collègues de l'agence.

Le temps s'écoule sans permission et le mystère demeure. Personne ne sait vraiment comment aborder la chose. Ce qui fait pas mal de fric perdu à force de glander, a diagnostiqué Marcel pour faire comprendre, s'il en était besoin, qu'il n'y a aucune raison qu'on vienne lui prendre la tête avec des suggestions débiles et des considérations stupides. Tout le monde sait, heureusement, qu'il n'y aurait rien à gagner à vouloir indiquer, voire suggérer quelques réflexions divergentes à MC, comme ils l'appellent affectueusement. « Tout seul, c'est tout bénéfice » devise gravée, d'ailleurs, sur la plaque collée au-dessus de la tête de cerf pendant au mur au-dessus de la porte du bureau du détective number one.

Alors, qu'est-ce qu'on fait, tu as une idée sans doute, a dit le chef Résolu. MC n'en avait aucune, mais tout vient à point et les crimes sont fait pour être résolus, a t-il assuré avec un certain bon sens. Le chef a repris ses mots croisés en indiquant d'un doigt la porte.

Il s'est déjà écoulé trois heures. Le criminel potentiel a donné une journée, vingt-quatre heures donc. Reste vingt-et-une heures, à peu de choses près. Il s'agit d'être méthodique. Méthodique, répète MC devant la glace des toilettes de l'agence. Glace reflétant avec professionnalisme ce visage tout en angles aigus qui lui fait face, sans oublier le poil brun et ras qui couvre à peine le crâne et cache difficilement la cicatrice qui le traverse d'un bord à l'autre.

Résumons le résumé, pour faire efficace, suggère MC pour lui-même.

France 25 a projeté, trois jours auparavant, une émission consacrée à l'humour involontaire des animaux vivant dans nos maisons, nos champs, nos cours d'eau et même ailleurs. Elle a reçu dans l'heure qui suivait une protestation indignée de la LIPAA, ou Ligue Indignée de Protection des Animaux Asservis. Après consultation du Président Gilbert de la Châtaigne-Dorée, la direction de la chaîne a décidé de programmer des excuses plates et, pour faire preuve de son attachement inaliénable à ces amis des hommes trop souvent traités comme des bêtes, a envoyé son webmestre vers le site où un web-rédacteur avait déniché la perle qui leur valait admonestation. Il était chargé de laisser un petit mot au propriétaire pour lui expliquer que la chaîne fait son devoir citoyen en décourageant ce genre de vidéo....Au fond de son dix-huitième CDD de quinze jours, le webmestre a pris sur lui de s'exposer un peu, de montrer son attachement à la charte, aux valeurs et aux dirigeants de France 25. Il a salement hacké le site et tout ce qui dépassait dans le coin.

Pas vraiment satisfait de ne pas retrouver son blog et ses vidéos en rentrant à la maison, le propriétaire du site a cependant réussi à remonter jusqu'au vilain auteur du big crunch. Tête près du bonnet, tu vas te faire péter le nez, aurait diagnostiqué MC, qui n'était pas encore sur le coup, faut-il le rappeler.

L'internaute-propriétaire de ce qui fut un joli blog nommé « Gag Mare » a décidé de réagir. Il est attaché à ses petites vidéos sur le site, particulièrement celle qui fut diffusée par France 25. D'autant qu'il a fichu les originaux à la poubelle, ça prend trop de place dans un disque dur de petite capacité. Comment imaginer une seconde qu'on voudrait effacer ses petits bricolages qui n'intéressaient, à vrai dire, que son grand-père ?...Il sait que France 25 a diffusé sans consentement. Il est un peu fier de la chose, au fond de lui, un peu consolé. Il espère surtout qu'ils ont, eux, gardé une copie et qu'il pourra la récupérer et relancer son blog, en attendant d'aller vendre sur un réseau dédié dans le Web profond, ses services de mercenaire tout-terrain pour une prochaine mission dans le vaste monde.

Il contacte la chaîne, se présente et demande qu'on lui restitue une copie de sa vidéo. Il veut bien passer sur la destruction de toute son œuvre et accessoirement de sa vie d'artiste. Le stagiaire qu'il a au bout du fil insiste pour savoir qui il doit lui passer. Le propriétaire de Gag Mare finit par raccrocher, pour rappeler le lendemain. Il obtient la secrétaire de l'animateur de l'émission, peu connue pour ses qualités diplomatiques. Elle explique de manière plutôt concise qu'il peut faire une croix bien appuyée au feutre noir sur ses espérances, ou se rabattre sur un épisode masturbatoire en direct au fond de son lit. La chaîne n'a pas gardé copie de la vidéo, c'est comme ça. Et personne de la chaîne n'irait détruire un site, nous ne sommes pas des bandits, monsieur !...Elle coupe juste avant qu'il n'ouvre la bouche pour...

Une semaine plus tard, le propriétaire rappelle une fois encore et explique que des mines antipersonnel ont été déposées à certains endroits choisis des bâtiments de France 25. Il n'hésitera pas à envoyer tout le monde attendre les émissions de Noël au ciel si la chaîne ne se décide pas à faire ce qu'il demande : diffuser le documentaire comportant l'ultime vidéo qu'il peut récupérer. Gilbert de la Châtaigne-Dorée accepte de négocier en personne et obtient un délai technique minimal pour retrouver puis diffuser le doc. En attendant de trouver une solution à l'incontournable : la cassette de l'émission, les rushes et autres docs afférents ont été détruits le jour même de la diffusion, dans le cadre de la politique de réduction des coûts du service public. On n'a pas trouvé, non plus, copie de l'émission sur le Net, qu'elle n'a pas passionné, visiblement.

Dommage pour France 25. Vingt-trois heures pour trouver des bombes sans vraiment les chercher, parce que le fabricant à dit qu'il les ferait sauter aussitôt si quelque « branleur télévisuel » s'avisait de poser ne serait qu'un œil dessus. Et défendu de prévenir les flics, naturellement. Gilbert de la Châtaigne-Dorée a choisi ce qui s'en rapproche le plus, le détective privé.

Après d'intenses cogitations, quelques poils de moustache en moins et six séries de mouvements synchronisés de taï-chi, MC a trouvé les vecteurs de pénétration en territoire ennemi.

Les coordonnées du terroriste.

Préférant l'obscurité, comme beaucoup de ses petits camarades, l'internaute terrorisant à choisi de ne dévoiler ni son nom, ni son adresse. Pas très fair-play conclut in petto MC. Légèrement crispé par cette attitude cavalière, il fauche d'un balayage machinal le pied de la secrétaire du patron, qui s'obstine à passer et repasser devant son bureau vêtue d'une robe courte et même plutôt courte alors qu'elle n'a nul besoin de cogiter. Elle crie et MC ferme la porte du bureau. Passer à autre chose.

Le patron de France 25.

Il est à particule, ce crétin, n'empêche qu'il a les yeux bridés, s'énerve MC. Cette particularité n'a pas de rapport forcément direct avec le terroriste, mais il est indéniable que Gilbert de la Châtaigne-Dorée semble regarder le monde entier avec un impénétrable dédain. Et MC ne voit pas de raison particulière à se laisser piétiner les rognons par un exemplaire de ces exotiques qui nous inondent de matériels high-tech et se permettent de diriger des chaînes françaises, à l'occasion.

Otarie en pédalo.

C'est le titre de l'épisode animalier au cœur de la controverse. MC a même découvert en interrogeant le bridé dédaigneux qu'effectivement qu'on y voit un otarie sur un pédalo. En train de pédaler, a affirmé le technicien qui a réellement vu les images. MC a poussé un peu vivement le technicien dans ses retranchements, tout en lui laissant éponger le sang qui coulait de son nez fracturé. Un timing efficace, sinon diplomatique. Le technicien a raconté toute l'histoire. Le bédalo arribe bar la mer, et on voit, snnnifff, l'odarie qui...MC a remis le suspect sur les rails et repris l'interrogatoire.

Le pédalo arrive par la mer et on voit l'otarie qui est assis dans un pédalo double, à côté d'une blonde comme dans les dessins animés. Une poitrine comme ça et des yeux super grands et. Ils parlaient, vous dites ? Euh...Non, non, ils ne disaient pas « euh » !...Ils disaient rien. Si, sissisissi ! L'odarie barlaient un beu. Aie !

L'otarie parlait un peu, assure-t-il. Quoique ce technicien plein de bonne volonté n'arrive pas à se rappeler ce qu'il disait. Ce que s'abstient de confirmer son bridé de patron.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Alainlasverne 2488 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte