Saisi d’un recours sur le fondement des dispositions en vigueur avant la réforme des autorisations d’urbanisme de 2007, le Conseil d’Etat actualise son ancienne jurisprudence en matière d’appui non autorisé à un mur mitoyen.
En 2005, le maire de Nîmes a accordé à un promoteur un permis de construire pour la création de six logements.
Suite à un recours gracieux formé par la propriétaire de la parcelle voisine, le maire a été saisi d’une demande de permis modificatif qui a été accordé au promoteur, tandis que le recours gracieux était rejeté.
Sollicitant l’annulation du permis de construire initial, du refus de son recours gracieux et du permis modificatif, la requérante a obtenu gain de cause en appel, au motif que les constructions autorisées prenaient appui sur un mur mitoyen sans que le maire ne se soit assuré de l’accord des propriétaires voisins de ce mur.
Les décisions attaquées ayant été prises avant la réforme des autorisations d’urbanisme de 2007, était encore en vigueur l’ancien article R. 421-1 du Code de l’urbanisme selon lequel la demande de permis de construire est présentée « soit par le propriétaire du terrain ou son mandataire, soit par une personne justifiant d’un titre l’habilitant à construire sur le terrain, soit par une personne ayant qualité pour bénéficier de l’expropriation dudit terrain ».
Combinant ces dispositions avec celles de l’article 662 du Code civil, selon lequel « l’un des voisins ne peut pratiquer dans le corps d’un mur mitoyen aucun enfoncement, ni y appliquer ou appuyer aucun ouvrage sans le consentement de l’autre », il a été jugé que l’ensemble des propriétaires communs du mur mitoyens devaient être considérés comme les propriétaires apparents de celui-ci et que la demande de permis de construire prévoyant un appui contre un mur mitoyen, sans la preuve du consentement des autres propriétaires de ce mur, entachaient d’illégalité l’autorisation de construire délivrée (Conseil d’Etat, 10 octobre 2007, Cne de Toulouse, req. n°248908).
Il semble désormais que cette jurisprudence soit abandonnée concernant les autorisations délivrées à compter du 1er octobre 2007, date d’entrée en vigueur du nouvel article R. 423-1 du Code de l’urbanisme, selon lequel il suffirait désormais d’attester être autorisé à exécuter les travaux pour échapper au couperet de l’article 662 du Code civil, dès lors que l’existence de manœuvres frauduleuses du pétitionnaire n’a pu être démontrée (Conseil d’Etat, 15 février 2012, Mme Quennesson, req. n°341235, cependant rendu en matière de copropriété).
Dans le présent arrêt, le Conseil d’Etat censure la Cour administrative d’appel de Marseille d’avoir fait application de cette jurisprudence au permis de construire initial, alors que le maire n’avait été informé de l’existence du mur mitoyen que postérieurement à la date de délivrance de ce permis, sans avoir relevé préalablement l’existence d’une fraude.
Ainsi, le Conseil d’Etat introduit dans sa jurisprudence rendue sous l’ancien article R. 421-1 la nécessité de démontrer l’existence d’une fraude, pour le cas où le maire n’était pas informé de l’existence du mur mitoyen avant la date du permis litigieux.
En l’espèce, le Conseil d’Etat statuant au fond relève précisément l’existence d’une fraude, dans le fait que le promoteur a omis de faire figurer dans le dossier de demande de permis de construire, le mur présumé mitoyen sur lequel une partie des constructions prend appui.
En effet, le Conseil d’Etat considère qu’en produisant des plans erronés à l’appui de sa demande de permis de construire initiale, le promoteur s’est livré à une manœuvre de nature à induire en erreur la commune, alors que ce mur mitoyen était notamment signalé dans un procès-verbal de bornage à son contradictoire et antérieur au permis litigieux.
« Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article R. 421-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors en vigueur : " La demande de permis de construire est présentée soit par le propriétaire du terrain ou son mandataire, soit par une personne justifiant d'un titre l'habilitant à construire sur le terrain, soit par une personne ayant qualité pour bénéficier de l'expropriation dudit terrain pour cause d'utilité publique " ; que, d'autre part, aux termes de l'article 653 du code civil : " Dans les villes et les campagnes, tout mur servant de séparation (...) entre cour et jardin (...) est présumé mitoyen, s'il n'y a titre ou marque du contraire " et qu'aux termes de l'article 662 du même code : " L'un des voisins ne peut pratiquer dans le corps d'un mur mitoyen aucun enfoncement, ni y appliquer ou appuyer aucun ouvrage sans le consentement de l'autre ou sans avoir, à son refus, fait régler par experts les moyens nécessaires pour que le nouvel ouvrage ne soit pas nuisible aux droits de l'autre " ; que les dispositions précitées de l'article 653 du code civil établissent une présomption légale de propriété commune d'un mur séparatif de propriété ; que les propriétaires communs d'un mur mitoyen doivent ainsi être regardés, en principe, comme les propriétaires apparents de celui-ci pour l'application des dispositions de l'article R. 421-1 du code de l'urbanisme ; qu'en conséquence, l'un des propriétaires ne saurait être regardé comme l'unique propriétaire apparent du mur en l'absence de marques de propriété exclusive à son bénéfice ; qu'il découle des dispositions précitées du code de l'urbanisme et du code civil que, dans ces conditions, il appartient à l'autorité administrative, saisie d'une demande de permis de construire concernant des immeubles prenant appui sur un tel mur, d'exiger la production par le pétitionnaire soit d'un document établissant qu'il est le seul propriétaire de ce mur, soit du consentement de l'autre copropriétaire ; que, toutefois, cette obligation ne s'impose à l'autorité administrative que si celle-ci a été clairement informée, à la date à laquelle elle délivre le permis, notamment par les plans produits par le pétitionnaire, de l'existence d'un mur séparatif affecté par les travaux envisagés ; que lorsque le maire n'est informé de cette existence que postérieurement à la date de délivrance du permis, il ne peut légalement, même saisi d'un recours gracieux, exiger la production d'un document levant la présomption de mitoyenneté ou attestant l'accord du propriétaire mitoyen ; qu'il ne peut, dès lors, sauf en cas de fraude, légalement procéder au retrait du permis ; que, pour juger, après avoir relevé que la société civile de construction et de vente Le Clos de Bonne Brise ne pouvait être regardée comme l'unique propriétaire d'un mur sur lequel prenaient appui certaines constructions envisagées, que le maire aurait dû faire droit au recours gracieux de M. A...tendant au retrait du permis du 8 septembre 2005 en raison de l'illégalité de ce permis, la cour s'est fondée sur la circonstance que le maire n'ignorait pas, à compter du 24 novembre 2005, l'existence du mur mitoyen ; qu'en se fondant ainsi sur l'information délivrée au maire postérieurement à la date de délivrance du permis, alors qu'elle retenait par ailleurs qu'aucune fraude n'était caractérisée en l'espèce, elle a commis une erreur de droit ; »
(Conseil d’Etat, 15 mai 2013, Société Le Clos de Bonne Brise, req. n°341235)
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