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Rapport Lescure : le flop culturel du gouvernement

Publié le 17 mai 2013 par Labreche @labrecheblog

Taxer-les-smartphones-pour-sauver-la-culture_article_landscape_pm_v8[1].jpgLa mission Lescure avait été créée en août 2012 par Aurélie Filipetti, et consistait en une « mission de concertation sur les contenus numériques et la politique culturelle à l’ère du numérique ». L’objectif de ce que la ministre appelle « Acte II de l’exception culturelle » est ainsi d’étudier l’adaptation des dispositifs mis en place, particulièrement sous le président Mitterrand, dans une logique « d’exception culturelle » et destinés à « favoriser la création, la production, la distribution et la diffusion des œuvres littéraires, cinématographiques et audiovisuelles », et à « conserver une offre culturelle de qualité, variée et accessible ».

Suite à la remise du rapport au Président de la République le 13 mai, il est difficile de se dire optimiste pour la politique culturelle française. Le rapport est consultable sur le site du ministère.

Aurélie Filippetti, ministre de l’industrie culturelle

La mission elle-même ne laissait guère d’espoirs. La décision d’axer cette concertation quant à  « l’Acte II de l’exception culturelle » sur « l’ère numérique » ne montre qu’une chose, c’est l’obsession d’Aurélie Filippetti pour les gadgets, les smartphones, les tablettes, les liseuses, comme si le changement technique pouvait à lui seule soulager le ministère de la tâche désormais accessoire de permettre l’accès de tous au patrimoine le plus universel. Rien de très surprenant à vrai dire : La Brèche avait déjà souligné il y a près de deux ans la vacuité des propositions socialistes sur la culture. Le pilotage de la mission Lescure par un comité regroupant six ministres (de la culture, de l’économie et des finances, du redressement productif, des PME et de l’innovation, des affaires étrangères, et du commerce extérieur) renforce le sentiment que la culture n’était plus, pour le gouvernement, qu’un secteur économique comme un autre.


La composition de la commission alourdissait un peu les soupçons : resserrée autour de neuf membres en comptant Lescure, composée essentiellement de profils techniques issus du ministère et de la haute fonction publique, il compte trois personnes « spécialisées » dans un domaine particulier. Jean-Baptiste Gourdin, le coordinateur, conseiller à la Cour des comptes, travaillait auparavant à la mission de préfiguration du Centre national de la musique, le « lobby organisé » qui devait sur le modèle du CNC représenter l’industrie musicale (avant d’être abandonné par Aurélie Filippetti). Thierry Chèze, « expert » issu de la société civile, est journaliste presse et télévision, spécialisé dans le cinéma, voix off des cérémonies de Cannes, et réalisateur de documentaires sur l’industrie cinématographique. Et Pierre Lescure lui-même, naturellement, président de la commission, est homme d’affaires, de médias et de télévision. L’industrie musicale, l’industrie du cinéma, l’audiovisuel avaient leurs pions. De quoi accréditer la transformation du ministère de la culture en ministère des lobbies industriels, et de la politique culturelle en politique sectorielle, déjà constatée lors du dernier salon du livre.

L’ambition zéro de la politique culturelle française

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Ce qu’est devenu le ministère français de la culture ne recèle depuis quelques temps déjà plus guère d’ambition politique en tant que telle. C’est vrai du point de vue de la création (« l’offre » culturelle), à l’heure où les subventions se réduisent, et où les nouveaux projets en sont presque systématiquement privés, étouffés par la sanctuarisation quasi-intégrale des attributions plus anciennes, sans révision de fond. C’est également vrai du point de vue de la politique envers le public (la « demande » culturelle), le budget du programme 224 (« Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ») ayant été réduit en 2013 et ne représentant que 14,6% des crédits du ministère, y compris l’ensemble des crédits de fonctionnement du ministère ! Aujourd’hui en France, les actions dites d’accès à la culture, destinées à favoriser l’accès des œuvres au plus grand nombre, représentent 36,5 M€ de budget annuel selon la synthèse du budget 2013.

On ne peut pas dire que le rapport Lescure esquisse un quelconque infléchissement dans la politique du ministère. Il participe plutôt à formaliser l’abandon de toute ambition véritable, et signe même la mort de la politique culturelle en tant que telle, par une redéfinition terrifiante. La politique culturelle est ainsi conçue (I, p. 7)à partir de « trois objectifs améliorer la disponibilité en ligne des œuvres culturelles, favoriser le développement d’un tissu de services innovants et attentifs à la diversité culturelle et stimuler la demande en encourageant l’émergence d’une offre abordable et ergonomique, respectueuse des droits des usagers. » La politique comme organisation d’un marché, soit l’inverse même de ce qu’elle est censée être. Alors même que le concept d’exception culturelle entendait (initialement en les excluant des négociations de l’OMC) ne pas faire de la culture une marchandise « comme une autre », la culture n’est ici vue que sous l’angle du marché des œuvres, principalement audiovisuelles, de son encadrement, et de sa protection contre le téléchargement illégal (avec suppression de la Hadopi et le transfert de ses attributions, dont la « riposte graduée », au CSA).

Et lorsqu’il s’agit d’aborder la question du développement d’une offre « gratuite ou abordable (I, p. 15), c’est avant tout pour rappeler que « les marges de manoeuvre de la puissance publique sont limitées par les contraintes budgétaires et le poids des habitudes ». Ce qui n’empêche pas le rapport de préconiser un développement massif de l’offre numérique en bibliothèque, « très peu développée » y est-il dit : pourtant, sur les 1,8 % du marché du livre que représente le livre numérique, 80% sont réalisés par les commandes publiques, subvention déguisée à un marché qui se révèle dans les faits tout sauf dynamique, et à une pratique de qui n’est pas plébiscitée par les lecteurs. Mais n’est-ce pas François Hollande qui avait décidé d’équiper tous les élèves de 6e de Corrèze de tablettes iPad, pour un bilan pourtant très contesté ? L’industrie, elle, apprécie le cadeau. Quant à la taxe proposée sur les produits électroniques par le rapport, elle ne risque guère de toucher que le portefeuille des Français, et non les ventes de smartphones et de tablettes.

Un domaine public enfin protégé ?

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Reste un thème du rapport Lescure qui, s’il aboutit sur des réalisations concrètes, pourrait constituer un progrès réellement significatif. Ce thème, c’est le domaine public, abordé de façon assez approfondie (p. 447-454). Le rapport Lescure cerne bien l’enjeu actuel, la formidable opportunité que constituent internet pour la diffusion du savoir tombé dans le domaine ayant jusqu’ici été mal exploitée, et ce même domaine public étant d’ailleurs menacé par des comportements de réappropriation insupportables, et particulièrement répandus dans les institutions publiques parfois tout simplement incapables de saisir que le domaine public, en propriété intellectuelle, n’est pas une propriété publique mais l’ensemble des œuvres libérées de tous droits et donc librement utilisable, sans condition, à des fins personnelles autant que commerciales. Le cas, en particulier, de la BnF interdisant la reproduction des textes et éditions anciennes numérisées dans son catalogue, et soumettant toute réutilisation à des tarifs commerciaux, avait été ici soulevé.

Le rapport Lescure souligne ces graves atteintes au domaine public, ainsi que la façon dont l’extension progressive des droits d’auteurs et droits voisins empêche de nombreuses œuvres d’y tomber. Quelques propositions sont donc formulées qui, si elles venaient à être reprises, seraient un grand pas pour la protection et la promotion du patrimoine commun. D’abord (proposition 74), l’insertion d’une définition positive du domaine public dans le code de la propriété intellectuelle, jusqu’ici inexistante en droit français, serait un premier pas essentiel. Le rapport propose également de préciser que les reproductions fidèles font également partie du domaine public (ce qui est trop souvent mal compris, par les musées tout particulièrement, qui ne disposent pas des droits sur les œuvres, et donc ne les détiennent pas plus sur leurs reproductions), et d’affirmer la prééminence du domaine public sur les droits connexes (droits des bases de données notamment, argument qui justifie l’interdiction de réutilisation avancée par la BnF).

Dans la même optique, la seconde proposition (75) concernant le domaine public vise à encadrer les exclusivités prévues dans certains partenariats public-privé de numérisation (la valorisation du domaine public ne doit pas permettre une réappropriation de certaines œuvres par l’organisme auteur de la numérisation). Avec une portée normative plus incertaine elle souhaite aussi inciter à une valorisation plus inventive et créative (vente de reproductions ou rééditions, adaptations, applications payantes, basées sur des œuvres libres de droits). Enfin la proposition 76 suggère de créer pour les auteurs une possibilité « d'autoriser par avance l'adaptation de leurs œuvres et de les verser par anticipation dans le domaine public », ce qui n’est aujourd’hui pas possible, un auteur ne pouvant en droit français pas renoncer à tout ou partie de ses droits.
Ces propositions concernant le domaine public, toutes situées sur le plan juridique, semblent aller de soi. Pourtant, la protection du domaine public, si elle venait à être réalisée, constituerait un progrès décisif, contre les comportements illégaux de réappropriation, aujourd’hui courants dans des institutions relevant d’ailleurs souvent de la tutelle de la rue de Valois. Cela ne fera pas une politique culturelle, mais cela pourrait défendre un peu la culture contre la marchandisation à l’œuvre, y compris dans la politique du ministère et dans les pages de ce rapport. La ministre y donnera-t-elle cependant suite, elle si préoccupée par les intérêts économiques des industriels de la culture ?

Crédits iconographiques : 1. © Christophe Petit Tesson/MaxPPP | 2. D'après Bronzino © Mike Licht, Notionscapital.com | 3. Logos copyright et domaine public. Domaine public.


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