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Le fiasco politique du "mariage pour tous"

Publié le 17 mai 2013 par Lbouvet

Article publié sur le site du Huffington Post le 19 avril 2013.

La messe est dite. Le "projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe" va être adopté définitivement par l’Assemblée nationale. Les couples homosexuels pourront se marier et adopter des enfants au même titre que les couples hétérosexuels.

Que l’on se réjouisse d’une telle mesure ou qu’on la déplore, une question reste posée après des mois de débats : comment a-t-on pu en arriver là ? Non pas au vote de la loi qui est inscrit depuis le début dans le fait majoritaire mais à un tel point de bêtise, de haine et de violencedans le débat public qui y a conduit ? Ces derniers jours, les dérapages verbaux qui sont monnaie courante depuis des semaines se sont en effet accompagnés, de la part de certains militants et élus anti-"mariage pour tous", de menaces et de violences physiques à l’égard de personnalités publiques soutenant la mesure et même d’actes ouvertement homophobes !

Une telle radicalisation est suffisamment peu fréquente dans le débat politique français pour qu’on s’y arrête. Pourquoi une mesure "de société" qui a été adoptée sans heurts dans d’autres pays (aussi différents que le Royaume-Uni, l’Uruguay ou la Nouvelle-Zélande pour s’en tenir à des exemples récents) a-t-elle conduit à une telle dérive et à une telle outrance chez nous ?

Première explication, celle, très courante à gauche, qui tend à considérer les adversaires du "mariage pour tous" comme des conservateurs voire des réactionnaires et des homophobes, opposés au Progrès, recroquevillés sur des valeurs d’un autre âge et imperméables au "sens de l’Histoire". Si une telle explication qui consiste à ranger ses adversaires (ses ennemis ?) dans des boîtes que l’on ferme hermétiquement en y apposant une étiquette aussi disqualifiante que définitive, est en partie vraie, elle sert surtout à conforter sa propre vision du monde.

Elle devient néanmoins beaucoup moins utile lorsqu’il s’agit de comprendre ce qui est en jeu dans un tel débat de société. L’autre défaut de cette manière fermée et moralisatrice de penser et de débattre étant qu’elle est largement partagée par les deux camps : chacun se déclarant défenseur du Bien et du Vrai. On peut dès lors difficilement proclamer avec vigueur qu’on est pour "l’égalité" et le respect du pluralisme des choix de vie, et refuser à ceux qui ne les partagent pas le droit de défendre, avec la même virulence, les leurs.

Deuxième explication, celle de la "droitisation" et de la radicalisation d’ensemble des droites, telle qu’elle est décrite par Gaël Brustier notamment. Cette approche est nettement plus riche que la précédente puisqu’elle permet de resituer ce qui se déroule sous nos yeux dans un dispositif plus général – comme l’ont bien compris d’ailleurs certains acteurs du mouvement, ceux du "Printemps français" par exemple, en appelant au-delà de la question du mariage à une mobilisation plus large. On constate ainsi, dans certaines des expressions et des moyens employés par les durs de la contestation actuelle, ce "rêve de barricades" de la droite dont parle G. Brustier ou d’un mois de mai qui viendrait, en miroir de celui de 1968,inverser le cours historique pris par la France depuis cette époque.

Une analyse approfondie, à froid, de ce "mouvement social" de droite, devra d’ailleurs être menée pour en comprendre les ressorts profonds et spécifiques. Il s’est passé quelque chose "à droite" à l’occasion de ce débat, et cela aura des conséquences. On a pu ainsi remarquer des rapprochements entre droite et extrême-droite que cette mobilisation "dans la rue" a favorisés, et qui pourraient en entraîner ou en accélérer d’autres à l’approche des élections municipales notamment. De même qu’il faudra observer de près les conséquences de la position de retrait relatif adoptée par une Marine Le Pen mal à l’aise dans ce débat, ce qui a sans doute permis l’arrivée sur le devant de la scène de figures publiques nouvelles de la contestation (notamment féminines) et de groupuscules d’extrême-droite très radicaux.

C’est toutefois une troisième explication, complémentaire des deux autres, qui nous paraît être la plus immédiatement utile pour appréhender ce qui vient de se passer et surtout en tirer quelques leçons pour la suite. Ce sont le gouvernement et la majorité qui ont permis à la droite dans son ensemble (sa frange la plus extrême incluse) de se remobiliser et de se réunir voire de se régénérer.

Comment a-t-on pu en arriver là, alors même qu’on partait d’une situation a priori favorable à la mesure proposée ? Elle était en effet inscrite en toutes lettres dans le programme du candidat Hollande pour la présidentielle sous la forme de l’engagement 31 qui indiquait : "J’ouvrirai le droit au mariage et à l’adoption aux couples homosexuels". L’opinion publique elle-même de plus en plus tolérante à l’égard de l’homosexualité, notamment depuis le PACS à la fin des années 1990, acceptant majoritairement le mariage. La droite était groggy après sa défaite en mai-juin 2012 et divisée sur cette question. On peut donc se demander pourquoi le nouveau président n’a pas présenté et fait voter cette mesure au Parlement dès le mois de juillet, pendant la session extraordinaire, dans le cadre, par exemple, d’une loi d’ensemble sur les libertés, à l’instar de ce que fait traditionnellement la gauche quand elle arrive ou "revient" au pouvoir.

Le président, le gouvernement et la majorité ont commis dans leur gestion du projet de "mariage pour tous" trois erreurs.

  1. D’abord, celle de vouloir masquer les désaccords, souvent profonds, au sein de la gauche sur la politique économique et sociale en créant un front uni face à la droite, et ce sur une question de société clivante certes, entre gauche et droite, mais qui reste tout de même secondaire au regard des difficultés que traverse le pays. L’artifice tactique ne pouvait durer qu’un temps. Son effet s’est d’ailleurs vite épuisé comme on a pu le constater à gauche mais malheureusement pas à droite.
  2. Ensuite, deuxième erreur, celle de s’obstiner à consacrer autant de temps, parlementaire notamment, et plus généralement d’attention dans le débat public à ce projet alors qu’aucun autre n’a bénéficié d’un tel traitement ; et tout ça pour in fine faire voter la loi en raccourcissant le calendrier face à la contestation ! Cette "méthode" a favorisé le sentiment général de ras-le-bol dans l’opinion, sans en faire bouger les lignes sur le fond, et a surtout entraîné la mobilisation d’abord puis la radicalisation de ses opposants qui ont eu tout le temps de construire, matériellement et médiatiquement, leur mouvement de contestation.
  3. Enfin, ultime erreur, celle de laisser s’exprimer au sein de la majorité (et même au sein du gouvernement lui-même !) des opinions divergentes sur les contours, les enjeux et les conséquences du projet de loi, en particulier à propos de la PMA (procréation médicale assistée) et de la GPA (gestation pour autrui) qui n’y figurent pas. Ce qui a conduit à en brouiller la compréhension et, plus encore, à fournir des arguments en or à ses opposants qui n’en attendaient pas tant pour entretenir la confusion et peur sur un sujet délicat.

Bref, utiliser pour des raisons essentiellement tactiques un projet dont on a fait un élément emblématique de son action politique alors qu’on n’est ni réellement d’accord ni réellement au clair sur sa portée réelle (adoption, procréation assistée, mères porteuses…) est un choix politique douteux.

Le résultat est a minima paradoxal : le projet va bel et bien devenir une loi, conformément à la volonté de la majorité mais politiquement les buts poursuivis n’ont pas été atteints, bien au contraire. La gauche ne ressort de ce débat ni en meilleur état qu’elle y est entrée ni plus unie, alors que la droite, elle, a repris des forces et même recruté de nouveaux combattants, souvent jeunes, à travers une mobilisation sociale inespérée.

Si la situation du pays comme la cote de popularité du président de la République et de sa majorité étaient meilleures, on pourrait se contenter de conclure par un "tout ça pour ça" dépité, mais ce n’est, hélas pour la gauche, pas le cas.


Classé dans:Blog, Droite, Gauche, Politique

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