Claire Diterzi: "Ce n’est pas le matériel qui compte, mais les bonnes idées"

Publié le 17 mai 2013 par Pnordey @latelier

Sans ciller, elle officie aux épousailles de la viole de gambe et de la guitare électrique. Comme ça. L’homme connecté devient la nouvelle Précieuse. Et à l’écouter, écrire peut relever de la littérature, mais c’est surtout fichtrement «mathématique», nous dira-t-elle.

Dans tout ça, l’ordinateur a aussi sa place. Un peu. Beaucoup. Passionnément. Mais les «histoires d’A.»...

Extraits d'un entretien initialement diffusé dans "L'Atelier Numérique" sur BFM.

Geek ?

Claire Diterzi : Geek, heureusement j’ai des filles pour m’expliquer ces mots que je ne comprends pas.  Oui, et ça m’inquiète un peu. Mes filles les sont aussi par ma faute, et ce n’est pas bien, cette aliénation à l’écran! En tournée, si je n’ai pas mon ordinateur, je reste scotchée à mon iPhone, toujours à consulter mes mails. C’est inquiétant.

Votre mallette de secours «musicale» est faite de bois, de cordes ou est-elle numérique?

Non, là-dessus, je reste sur l’instrument. Sur la guitare, la voix. Un jour, au beau milieu d’un concert, on a eu  une panne de courant mais j’ai continué. Même sans le son amplifié, l’énergie continue d’être perçue par les gens.

Et avez-vous un attachement à l’objet, l’instrument?

Toutes mes idées, mes visions viennent de ma guitare. Tout vient de là. En revanche, je fais quasiment mes disques, mes prises de son toute seule. Un micro et un jack suffisent. Je suis très analogique.

La guitare est votre carnet de notes, alors?

Pour la première étape du travail, oui. Pour transcrire des idées, des sensations, ma créativité s’exprime avant tout par ma guitare et ma voix. Mais passée cette étape, je passe un temps fou sur l’ordinateur pour faire des programmations. Tout dépend du projet mais je fais ma petite cuisine, ma tambouille. Et c’est un plaisir. J’aime ce rapport à l’ordinateur, même s’il appelle à la solitude. Deux sur un ordinateur pour monter, c’est l’enfer.

Solitaire, oui, mais avec tous les outils de collaboration en ligne, le web peut être un terrain de jeu.

Si. J’aime passer de cet état d’introversion, de solitude extrême de la création à l’équipe. Pour ouvrir mon travail, le partager à un public, j’ai besoin de musiciens. J’enlève la carapace. Je partage.
L’ordinateur n’a alors plus qu’une fonction de communication. D’envoi de fichiers, d’export. De mails.
Quand Internet et le wifi sont devenus monnaie courante, j’avais toutes les casquettes. J’étais ma manageuse. Je pouvais communiquer tellement vite. Ca m’a permis de chapeauter et d’être une chef de meute assez efficace.

On peut se constituer aujourd’hui un home-studio assez facilement. N’importe qui peut créer?

Absolument. Ce n’est pas le matériel qui compte, mais les bonnes idées. Et on peut toujours se débrouiller avec trois bouts de ficelle pour les faire passer. Les idées, le système D.

Les nouvelles formes de consommation de la musique?

J’y ai beaucoup recours. Mais tout va tellement vite. Tout est noyé dans la masse. Il y a une surenchère. Nous sommes devenus des consommateurs. On prend, on jette, on prend, on jette. A la fois, oui, c’est fantastique, mais on y est perdus, dans cet océan.

Citons un extrait de votre morceau La Précieuse: «Ne pas me déranger en vidéoconférence avec le conseiller des Grâces.»
L’homme branché, hyper connecté est la nouvelle précieuse ?

C’est une chanson que j’ai écrite à la Villa Médicis, dans un rapport au temps qui m’a beaucoup inspiré pour ce projet. Cette chanson, elle fait référence à Marin Marais. Pour évoquer ce passé auquel j’étais sans arrêt confrontée à Rome, j’ai utilisé la viole de gambe et je me suis amusée à la confronter avec ma guitare électrique.

Les Anciens et les Modernes se taquinent...

Oui, et aussi dans la couleur harmonique, dans les mots. Précieuse. Rêveuse sont aussi des titres d’oeuvres de Marin Marais. C’est une chanson pleine de clins d’oeil à la musique baroque. Pour resituer les choses dans leur contexte historique, le clin d’oeil est pour Molière et ses Précieuses Ridicules.
Les «vraies» précieuses ne sont pas ridicules du tout. Ces femmes étaient érudites. Et recevaient dans l’intimité de leur chambre. Pas d’internet, pas de réseaux sociaux. Elles communiquaient entre elles et recevaient sur leur lit. Chacun racontait ses exploits. On lisait. Ca me fascine.
Pour revenir à la phrase que vous citez, ce sont les précieuses ridicules qui par le conseiller des Grâces désigne un miroir. C’est très narcissique. J’aime bien votre question car oui, c’est ça. Facebook, Myspace sont comparables à un miroir. On se la pète.

Pourtant...

Depuis que j’ai sorti ce disque, je sais qu’on ne peut se passer d’Internet. Les informations sont relayées en un temps recors quand les maisons de disques sont encore à payer des campagnes d’affichage dans le métro. Un partage sur Facebook et en deux jours, je touche douze mille personnes.
Cette aliénation m’interroge.
On créé ces nouveaux moyens de communiquer sur son travail, avec ce qui caractérise notre époque. Cette urgence d’aller vite, cette instantanéité.
Et ça dénote avec ce que j’ai vécu à la Villa Médicis. Là, le temps s’étirait. J’avais envie de faire un album très lent. Comme la moiteur romaine, comme sa lumière chaude et lourde. Comme une huile d’olive.

Mon métier reste d’être devant des gens, en concert, sur une scène.

L’idéal serait sans ordi, sans portable, sans Internet?

Dans l’absolu, oui. On n’en a pas besoin pour vivre mais ça fait partie de notre génération.
Il faudrait qu’on revienne à une étape antérieure. Tout est allé trop vite. Pourtant, je l’utilise tellement. Nous en parlions avec mes filles. Finalement, c’est par mes enfants que ça m’interroge.

Claire Diterzi. "Le salon des refusées", NaÏve. 2013