Le paradoxe de la pénurie de déchets en Europe du Nord

Publié le 17 mai 2013 par Erwan Pianezza

Alors que « Saccagée », un documentaire paru l’an dernier évaluant les conséquences catastrophique de la pollution par les déchets au niveau mondial vient de sortir en DVD, un rapport récent publié par l’organisation non gouvernementale GAIA (Global Alliance for Incinerator Alternatives) révèle l’émergence d’un « marché de l’incinération » au sein de l’Union Européenne.  Plusieurs pays d’Europe du Nord ont en effet atteint une situation de surcapacité en matière d’incinération et font face à une pénurie de déchets, ce qui les oblige à en importer pour continuer à alimenter leurs incinérateurs.  Une situation pour le moins paradoxale mais qui laisse peut-être envisager la résolution à terme du problème de la pollution mondiale. 

"Trashed" (2012) - Un documentaire Britannique de Candida Brady présenté par Jeremy Irons

Saccagée

Paru en 2012 et présenté au Festival de Cannes la même année, le film documentaire « Trashed » vient de sortir le mois dernier en DVD et en vidéo à la demande sur Vimeo.  A grand renfort de données scientifiques, raconté et en partie présenté par l’acteur Britannique Jeremy Irons, « Thrashed » propose un état des lieux peu reluisant de l’étendue mondiale du problème de la pollution des déchets et de l’impact désastreux de cette dernière sur l’ensemble de l’écosystème.  L’acteur s’attarde également sur la pollution croissante des océans, notamment ces « plaques » de détritus ou « poubelles flottantes » qui dérivent dans les cinq grands bassins océaniques.

Une surcapacité d’incinération en Europe du Nord

Dans le même temps, plusieurs études et articles parus au cours des deux ou trois dernières années font état de l’émergence d’un phénomène pour le moins paradoxal dans certains pays d’Europe du Nord. Depuis plusieurs décennies, des pays comme le Danemark, la Norvège, la Suède, l’Autriche, l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Belgique ont mis en place des politiques de gestion des déchets particulièrement efficaces.  La Suède par exemple n’enfouis plus qu’à peine 1% de ses déchets, le reste étant recyclé, composté ou incinéré.  Les incinérateurs en place alimentent pratiquement 20% des foyers urbains Suédois en chauffage et produisent une part non négligeable des besoins du pays en électricité.  Cette situation est résumée dans un rapport publié fin Décembre 2012 par l’ONG GAIA (Global Alliance for Incinerator Alternatives) et traduit par le Cniid:

Source: rapport GAIA traduit par le CNIID - Décembre 2012

En raison de la pénurie anticipée des sources d’énergie fossiles, ces pays ont fait le choix de la valorisation énergétique par le biais de la mise en place d’un réseau d’incinérateurs modernes à émissions polluantes minimales (29 au Danemark, 32 en Suède, 72 en Allemagne etc.) En d’autres termes, en tant que source d’énergie alternative, les déchets ont acquis une valeur marchande non négligeable (comme des matières premières) et on assiste à l’émergence progressive d’un marché mondial de l’incinération avec des pays importateurs et des pays exportateurs de déchets.  L’Europe du Nord ne génère « que » 150 million de tonnes de déchets par an, alors que l’ensemble des incinérateurs en service actuellement seraient capables de traiter 700 millions de tonnes annuellement.  Malgré cette surcapacité, la Norvège et l’Allemagne continuent de construire des incinérateurs.  D’où la mise en place d’accords d’échanges entre pays européens ou grandes métropoles pour l’échange de déchets.  Du côté des pays exportateurs qui ne disposent d’aucune capacité d’incinération, il devient presque plus rentable d’exporter leurs déchets plutôt que de les enfouir sur place en raison d’une législation de plus en plus stricte en matière d’enfouissement des déchets.

Vers une politique mondiale du « zéro déchet »

Si l’incinération n’est bien sûr pas l’unique panacée en matière de traitement des déchets, l’expérience Nord-Européenne montre néanmoins qu’une politique « zéro déchet » (recyclage/compostage et production de biogaz/incinération) est réalisable au niveau national.  La mise en place progressive d’une « économie circulaire » participe au même objectif ultime : l’élimination des déchets.  Même la conclusion du documentaire « Trashed » est optimiste : des politiques de zéro déchet sont déjà en place de par le monde.  Tout comme on commence aujourd’hui à décrire les DEEE en termes de « gisements » de matières premières « secondaires »,  l’émergence d’un « marché des déchets » va-t-il fournir une solution à court terme au problème pressant du traitement des ordures au niveau mondial?  

Sources:

Public Radio International: Sweden imports waste from European neighbours to fuel waste-to-energy program

New York Times: Oslo: A City That Turns Garbage Into Energy Copes With a Shortage

CNIID: Surcapacité d’incinération et transport des déchets en Europe