Lettre d'un belge à ce beau pays africain qu'est le Rwanda, et qui souffrit d'un des pires génocides.
Par Philippe Bouchat.
Enfants rwandais
Il est des moments où les idées et les combats - aussi légitimes soient-ils – doivent céder la place à la vérité de l’émotion et de la Vérité. Dans ces moments, rares et précieux, l’être humain se dévoile, nu devant autrui. C’est ce que j’ai décidé de faire en écrivant la lettre ci-après :
Rwanda.
Pays magnifique que je ne connais pas. Pays de ma tendre moitié et racine de mes enfants.
Pays du génocide.
Je me sens responsable et redevable de ton histoire.
A tous points de vue, tu es la clé de notre humanité.
Tu vivais tranquille dans tes Mille Collines ; tes enfants vivaient en harmonie sous une monarchie bienveillante et sous la bénédiction de Dieu à qui tu ne cesses de rendre grâce pour la beauté de ton visage et la frugalité de ton sol nourricier.
Et puis, de pâles étrangers, forts de leur civilisation impérialiste, sont venus chez toi et tu t’es réveillé avec un protecteur germanique qui t’a protégé de tout … sauf de la bêtise occidentale !
Et ce fut, ensuite, le tour des Belges. Tragique rencontre qui t’a été fatale, puisque tu as cru, dans ta foi sincère en l’homme qu’il soit Blanc ou Noir, que le sang qui coule dans les veines tutsies, huttues ou twas n’est pas le même.
Et la belle harmonie de ton Eden s’est brisée, sacrifiée sur l’autel assassin d’une politique coloniale qui t’a inoculé le poison du génocide comme une bombe à retardement…
Voilà pourquoi, Cher Rwanda, en tant que Belge, je me sens responsable de toi.
Certes, dix de nos fils ont mêlé leur sang au tien ; certes, mon pays t’a demandé pardon, reconnaissant ainsi son implication dans le massacre qui t’a défiguré.
Pour cela – et pour cela uniquement ! – je suis fier d’être Belge.
A quand un pardon de nos amis français et de cette artificielle communauté internationale qui ont également du sang plein les mains ?
Oui, Cher Rwanda, je me sens responsable de ton histoire, en tant qu’un de tes fils adoptifs, grâce à mon union à une de tes filles, mais aussi en tant qu’homme et chrétien, convaincu que ton histoire concerne l’humanité tout entière.
Pour tout cela, Cher Rwanda, je te demande pardon.
Mais, ce serait commettre une seconde atrocité, non moins importante que le génocide lui-même, que de te confiner dans ce rôle de Nation violée.
Comme le Christ, pour autant qu’on y prête attention, nous pouvons te voir ressusciter jour après jour.
Si personne ne peut comprendre le mal terrible qui t’a accablé, cette incompréhension fait cependant place à l’émerveillement devant cette vie qui renaît en toi, devant cette joie véritable, car souffrance surmontée, qui inonde le visage de tes enfants et surtout de tes filles !
Car, ce sont les femmes qui s’associent pour prendre ta destinée à pleines mains, ces mains habituées à cultiver la vie et non à semer la mort.
Ton avenir se construit sous nos yeux éblouis et honteux. Ta force, ta détermination m’interdisent de baisser les bras lorsque, comme tout Blanc gâté par la vie, j’ose – suprême sacrilège ! – me plaindre de ma condition actuelle.
Ton espoir, ta foi en la vie me rappelle – plutôt : me crie – que l’Amour est plus fort que tout, même que la mort la plus horrible.
En cela, cher Rwanda, je me sens redevable envers toi.
Pardon et merci sont les deux seuls mots sensés qu’un Belge honnête peut prononcer lorsqu’il ose te parler.
Puissè-je un jour proche te dire ‘Hamakuru’ et te dire de vive voix à quel point je me sens uni à toi !
Wallon de cœur
Rwandais par devoir et adoption !