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La (vraie) vérité sur le Made In China

Publié le 21 mai 2013 par Copeau @Contrepoints

En réalité, la production Made In China n'est ni le résultat de l'exploitation honteuse d'ouvriers payés à vil prix, ni l'assurance d'un produit de mauvaise qualité.

Par Geoffrey Bruyère, du site BonneGueule.fr.

Cela fait un moment que je voulais écrire cet article sur le Made in China, surtout depuis les débats (parfois houleux) qu’on a pu découvrir sur un précédent article : celui de la marque Epicure Paris. Les entrepreneurs de Epicure s’y faisaient bousculer, car ils ont eu l’honnêteté (ou le malheur, c’est selon) de se montrer transparents quant à leur chaîne de production (moutons en Australie, filage en Italie et tricotage en Chine). 

Fort de mes discussions avec des gens comme Ming Yin (Three Animals) et Thibaut Roblin (Epicure Paris) qui produisent totalement ou en partie en Chine… et d’autres comme Vincent Louis Voinchet (La Comédie Humaine), Bertrand Urban (Duke & Dude), Maxime Van Rothem (Jacques & Déméter), Gilles Masson (Gilles M), Séverine Lahyani (Ly Adams) ou encore Déborah Neuberg (De Bonne Facture) qui se sont posés beaucoup de questions entre produire en France ou dans le reste de l’Europe, j’ai à présent un avis clair sur la question.

D’autant que les avis convergent fortement : certains qui s’étaient lancés à fond dans l’aventure du Made in France l’abandonnent aujourd’hui… vous verrez pourquoi.

Made in China : entre mythe et réalité

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« Acheter Chinois, c’est cautionner les mauvaises conditions de travail des ouvriers »

Quand je vois ce vois ce genre de vidéo à scandale, ça me déçoit de voir que des grandes chaînes se concentrent sur l’aspect le plus misérabiliste d’un sujet, occultant tout le reste. De la même manière, si on croyait cette presse, tous les gens de Lens seraient fans de tuning, tous les sportifs pros seraient millionnaires, tous les Américains seraient gros et sans mutuelle, et la Turquie serait un pays peuplé de femmes voilées et de gros machos.

Sauf que la vraie vie n’est pas une télé-réalité. En creusant un peu un sujet on se rend vite compte que c’est faux. Et NON, une vidéo scandale à la Michael Moore ne fera jamais figure d’évangile, c’est au mieux de la pornographie (au sens strict du terme : représenter la réalité de manière complaisante et obscène).

Certes, les personnes de ces reportages existent, mais ignorer sciemment les autres facettes d’un sujet est un mensonge par omission. Non, les ouvriers chinois ne sont pas des armées de petites souris faméliques qui bossent pour un dollar de l’heure, sans couverture sociale, à la chandelle et sans système de ventilation, avant de rejoindre leur cage.

En 2013, le coût moyen de la main d’œuvre en Chine n’est plus que la moitié du coût moyen aux États-Unis, et il progresse en moyenne de 20% par an (sources : Boston Consulting Group). Et il dépassera les 60% en 2015.

Les marques occidentales qui ont délocalisé en Chine à la fin du XXème siècle ont apporté du travail et des capitaux à ces populations, tout en élevant votre pouvoir d’achat avec des produits importés qui coutent moins chers. En l’espace de quelques décennies, des millions de citoyens du tiers-monde ont quitté la pauvreté et ont accédé au mode de vie des classes moyennes : éducation, culture, transports, santé, environnement, libertés politiques élargies, grâce à la mondialisation. Si tout n’est pas parfait, j’ai quand même du mal à voir quel argument ferait pencher la balance dans le négatif.

Note : Encore une fois, je ne dis pas que tout va pour le mieux et qu’une usine chinoise est ce qu’il y a de plus proche du royaume des Bisounours sur Terre. Mais je veux montrer qu’il faut mettre un peu (beaucoup) d’eau dans son vin quand on montre la Chine du doigt en 2013.

usine textile 1

usine textile 2

Voici deux photos : j’ai pris l’une d’elle à Portland aux États-Unis, lors de ma visite de l’usine d’une des marques d’outdoor les plus belles au monde. L’autre photo représente une usine textile chinoise, trouvée au hasard sur Google Image. À vous de me dire quelle photo correspond à quoi… 

Pour tout vous dire, la Chine est devenue trop chère pour la plupart des marques textiles qui veulent réduire leurs coûts de confection en 2013. Celles-ci préfèrent l’Inde, les Philippines ou le Bangladesh. Si ces pays ne sont pas vraiment des lieux où il fait bon vivre aujourd’hui, ils seront demain au niveau de la Chine, et peut-être de Singapour après-demain. Et c’est tout le mal qu’on peut leur souhaiter.

« Acheter Chinois, c’est tuer l’entreprise en France »

Comme je viens de le dire, en 2013, le coût moyen de la main d’œuvre en Chine n’est plus que la moitié du coût moyen aux États-Unis, et il progresse en moyenne de 20% par an (source : Boston Consulting Group). Toujours selon BCG, il dépassera les 60% en 2015. Il reste une différence de 40%, mais qui est largement gommée quand on y retranche les coûts de transport, les droits de douane, les frais de change et autres dépenses liées à l’investissement initial.

Au final, si certaines entreprises choisissent de revenir en Europe, c’est souvent parce que les différences de coûts se sont estompées, et probablement pas par devoir patriotique ou impair de qualité, comme voudrait nous le faire croire notre ministre du redressement productif..

arnaud montebourg

Très belle opé Arnaud : +5 points d’opinions favorables sur les ménagères.

Enfin, la concurrence ne se fait pas sur le même type de produit : les marques confient plus volontiers des productions à faible et moyenne valeur ajoutée aux sous-traitants asiatiques. Une partie du très haut-de-gamme et de l’innovation technologique restent en Europe, car les Chinois ne maîtrisent pas forcément des savoir-faire textiles comme certaines toiles de costume subtilement cirées qui sortent des usines Cerruti de Biella, près de Milan (j’ai pu les visiter ce mois-ci en compagnie de Julian Cerruti qui me l’a expliqué, article à venir). A contrario, les chinois maitrisent aussi des savoir-faire que nous ne maîtrisons pas.

Pour terminer, la part de main d’œuvre d’un produit haut-de-gamme est moins importante que dans un produit bas-de-gamme. Par exemple un pull bas-de-gamme coûtera 8€ (dont 6€ de main d’œuvre, soit 75% du coût, et 2€ de matériaux synthétiques), alors qu’un pull haut-de-gamme  coûtera 30€ (dont 10€ de main d’œuvre et 20€ de matériaux de qualité avec des traitements particuliers). L’appel de la délocalisation est donc moins fort pour les produits haut-de-gamme, car seuls les coûts de main d’œuvre diminuent.

« Acheter Chinois, c’est choisir le produit de moins bonne qualité »

Un ancien employé de chez Hermès me confiait dernièrement que ce qui limite la qualité des productions chinoises, ce n’est ni le savoir-faire technologique, ni la qualification de la main d’œuvre, mais bien le cahier des charges du donneur d’ordre occidental. Car les marques occidentales venaient d’abord chercher des économies d’échelles en Chine, et à ce titre produisaient pour les marchés de masse. Les maisons de luxe qui sont arrivées ensuite se sont vite rendues compte qu’en demandant à l’ouvrier de passer plus d’heures sur chaque produit, on obtenait des productions toutes aussi bonnes qu’en Europe (hors savoir-faire et technologies de pointes).

De plus, l’argument du manque de savoir-faire chinois est à la fois faux historiquement et en tendance.

Historiquement faux parce que la Chine a été pendant des millénaires une grande nation culturelle, avec un mode de vie très raffiné. Pour les pays occidentaux, les produits chinois (soie, épices, cachemire, bijoux) étaient synonymes d’une qualité et d’un savoir-faire hors-pairs. Ils étaient acheminés en Europe par les fameuses routes de la soie, puis par bateau lorsque les premières routes maritimes furent découvertes avec les progrès technologiques dans l’industrie navale (routes des Indes).

Le XXième siècle est ensuite passé par là, avec de grandes guerres, des massacres, et un régime qui a causé la plus grande famine connue à ce jour. Puis l’emploi de la Chine comme pays de la copie et des productions à bas coûts dans la seconde partie du siècle. Difficile dans ces conditions de pérenniser des savoir-faire de luxe, mais ce n’est pas pour autant qu’ils ont disparus.

Enfin, l’argument de la non-qualité chinoise est faux en tendance car l’émergence des classes moyennes et aisées chinoises ont fait apparaître un consommateur de vêtements intéressé à la fois par la qualité et l’origine locale du produit. Cela a pour effet de faire revivre et grandir les savoir-faire ancestraux, tout en faisant apparaître de nouveaux designers (Ming, si tu nous lis…), qui donnent naissance à la nouvelle génération des marques de luxe. La preuve ? On commence déjà à vous parler de marques comme Three Animals ou Mannequin, et dans les 5 ans, cela ne fera que s’accentuer.

shangxia_beijing

Hermès a lancé Shang Xia par exemple.

Made in France : tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes ?

Je ne vous apprends rien : le Made in China VS Made in France fait partie de ces sujets qui donnent vite matière à des échanges houleux et plus du tout raisonnés, au même titre que la politique, la religion ou l’écologie. Sans doute parce que beaucoup ont tendance à trop s’identifier au Made in France, comme si leur fierté en dépendait.

Avant de me balancer des objets contondants, essayez quand même de lire l’intégralité de l’article avec plus de logique que de sentiments.

Si la France conserve encore des savoir-faire d’exception sur des produits comme la soie et le cuir, c’est une toute autre chose quand on s’intéresse aux produits en maille ou en chaîne et trame (= les matières tissées). On peine à trouver des fabricants qui ont le niveau auxquelles s’attendent les petits créateurs dont nous parlons régulièrement sur BonneGueule. Et quand c’est le cas, trois problèmes reviennent dans la bouche de la plupart des créateurs que je connais :

  • 1 – Il faut des minima de quantité délirants pour pouvoir bosser avec l’usine en question.
  • 2 – Quand une usine accepte, les petites marques passent clairement derrière les grosses : les délais peuvent ne pas être respectés, manque de réactivité, peu de recours en cas de problème de délai ou de qualité.
  • 3 – Le produit ressort toujours plus cher que dans un autre pays de l’Union Européenne, à qualité égale. En cause la perte de nombreux savoir-faire ces dernières décennies, là où d’autres pays misaient davantage sur l’innovation technologique que les barrières douanières pour protéger leurs entreprises de la concurrence des pays émergents (cf Italie).

Je ne m’attarderai même pas sur l’appellation "made in France", tant elle est facile à contourner. En effet, nombre d’usines en France ou en Italie peuvent faire appel à des sous-traitants étrangers pour la confection. Mais une fois la commande livrée, le vêtement provient à 100% de l’usine française d’un point de vue comptable. D’autant que peu de gens se demandent d’où vient le coton et où est tissé la marinière made in France qu’ils achètent : vous en voyez beaucoup des champs de coton et des filatures en France ?

D’autant que les sweat-shops existent aussi en France. Dans le quartier du Sentier à Paris où nous avons nos bureaux, il y a encore des ateliers clandestins, et je croise tous les jours les travailleurs étrangers qui attendent au croisement de la rue des Jeuneurs et du Sentier un peu de travail, payés au déchargement de camion. Oui, oui, on est bien dans le 2nd arrondissement de la capitale.

rue des jeuneurs

Vérifiez par vous-même sur Google StreetView, ils sont une petite dizaine au croisement de la rue des jeuneurs et du sentier.

Bref, étant donné l’opacité et l’incertitude qui règne sur la traçabilité de la production (même pour les marques qui n’ont pas la main sur l’amont, vu qu’elles passent par des fabricants), autant se concentrer sur ce qu’on peut voir : le rapport qualité / prix du vêtement. Rapport que l’on retrouve bien souvent de manière optimale au Portugal et en Espagne pour le beau cuir et la chaussure, en Pologue pour la chemise haut-de-gamme, et en Italie pour le costume de qualité. Et tant pis pour le blue-washing.

Pour terminer sur une note plus cocorico, la France a quand même de sérieux atouts pour les marques locales :  moins de coûts de transports, une même base culturelle (on se comprend mieux), et une proximité avec les usines qui permet de rapidement lancer des productions ou des réassorts de collection. Et le label made in France bien sûr, qui succède au vêtement bio ou équitable, mais qui a de moins en moins d’impact marketing sur les clients de l'Hexagone.

Quant à la création, elle est extrêmement riche à Paris, peut-être même est-ce la ville avec le plus grand nombre de jeunes créateurs intéressants.

Un choix patriote ?

À la lumière de ce qu’on a vu, et à l’heure d’une économie planétaire où le moindre crayon à papier contient des composants de différents pays, tout en étant monté dans un 3ème et vendu dans un 4ème, il est difficile de savoir ce qui nous définit. Suis-je Alsacien ? Français ? Européen ? Citoyen de monde ? Personnellement je ne sais pas trop : sans doute un mélange des quatre.

Alors qu’est-ce que je dois privilégier ? Acheter ultra-local ? Faire travailler mes compatriotes ? Renflouer la Grèce ? Faire bosser les Bangladeshi pour améliorer leurs conditions de vie ?

Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas à moi de vous dire quoi faire. À vous de voir ce qui est important pour vous, pour ensuite acheter en conséquence.

Quant à moi, j’alterne. Si je choisis en général le produit selon son rapport qualité / prix (vous commencez un peu à savoir ce qui nous obsède), j’apprécie également quand je peux m’y rattacher culturellement, car je suis très fier de ma culture française (je parle d’art, de bonne bouffe et de littérature, pas forcément de Top Chef et des Anges de la Télé-réalité, hein ?).

C’est un petit bonheur pour moi de savoir qu’une paire de Heschung est fabriquée pas loin de là où j’ai grandi, de retrouver dans La Comédie Humaine les références de la littérature balzacienne que j’aime, et de découvrir chez des petits créateurs des secrets de fabrication aujourd’hui méconnus, qui étaient pourtant gravés dans le quotidien de nos grand-pères et arrière-grand-pères.

La parole à Ming Yin !

Je laisse maintenant la parole à Ming Yin, qui a créé la marque Three Animals, distribuée sur internet par L’Exception (oui je sais, il était temps !).

Ming est une chinoise qui adore la France et qui est toute aussi fière de la Chine : elle travaille en France mais possède son propre atelier près de Shanghai où les vêtements qu’elle dessine à Paris sont produits.

Bonne vidéo !

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Geoffrey Bruyère a écrit le BonneGueule Book avec Benoît et réalise des coachings en style. Il aime la mode masculine, la boxe, l'art déco, et les petites blondes. Il n'aime pas le lundi matin, les discours trop longs et les mauvais livres.
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