La taxe proposée par la "Mission Lescure" ne risque-t-elle pas de pénaliser davantage le consommateur et de fragiliser les relais de croissance économiques ?
Par Sophie Escrivant.
Pierre Lescure.
Les travaux du groupe de travail dirigé par Pierre Lescure avaient pour ambition d’être le fondement d’une nouvelle politique culturelle à l’ère du numérique, censée apporter des solutions durables à la crise que traversent les producteurs français de contenus culturels, confrontés à la révolution du passage au tout numérique. Au-delà d’un diagnostic raisonné et équilibré de la situation, force est de constater que ce sont toujours les mêmes vieilles recettes qui sont appliquées : créer une nouvelle taxe et faire payer au consommateur notre incapacité à réformer un système de financement inadapté aux nouvelles habitudes de consommation.
Une double peine pour le consommateur
Assurer un financement pérenne de la création culturelle, mise à mal par les téléchargements illégaux et les difficultés de ses bailleurs de fonds, relèvent sans doute de la quadrature du cercle. Mais faut-il pour autant céder à notre « pêcher mignon » national et s’en remettre à une énième taxation pour « sauver le soldat Ryan » en mauvaise posture ? Taxer tous les terminaux dotés d’une connexion internet : ordinateurs, smartphones, consoles de jeux et autres tablettes, reviendrait en effet avant tout, plutôt qu’à s’attaquer aux profits des géants du web comme on nous le présente un peu vite, à appliquer au consommateur une double peine, puisque les ayants droit sont déjà rémunérés pour l'accès aux contenus culturels sur les plateformes légales par le biais de la taxe sur la copie privée. Monsieur Lescure aurait-il oublié que 25% de cette taxe sont déjà destinés à des actions d’aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à la formation des artistes ? Une autre part, pour ne pas dire la plus importante, profite aux créateurs, artistes-interprètes aux producteurs ainsi qu'aux ayants droits. Il ne s’agirait donc là que d’une nouvelle taxation massive et aveugle (86 millions d’euros de recettes espérées), sans considération de l'usage réel de ces supports, comme la fait remarquer l’association de consommateurs CLCV.
Et pour quelle efficacité économique ?
Ne risque-t-on pas en surtaxant ces outils de communication, de fragiliser des relais de croissance et de développement pour des secteurs en pleine expansion comme le commerce en ligne ? Dans un contexte économique peu favorable où le pouvoir d’achat est déjà mis à rude épreuve, ne risque-t-on pas d’inciter les consommateurs à privilégier les matériels low cost produits à l'étranger, constituant ainsi un manque à gagner pour l’État (pertes de TVA), pour les distributeurs nationaux (nombreux emplois menacés) et pour les ayants droit, comme l’ont fort justement rappelé les industriels du secteur ?
L’essor des technologies numériques est pourtant présenté par la Mission Lescure elle-même comme une « opportunité inédite » pour l’accès de tous les publics aux œuvres culturelles, plutôt que comme une menace pour leur diffusion et leur diversité. Il serait dommage d’en brider maladroitement le développement en considérant ce secteur porteur de notre économie, comme une nouvelle source de financement que d’autres, si nous n’y prenons garde, s’empresseront aussi de solliciter. Selon l’association France Digitale qui regroupe plus de 100 startups et investisseurs français, les entreprises du numériques pèsent désormais 1 milliard € de CA dont 39% à l’international. Elles affichent une croissance annuelle de 33%, un accroissement de leurs effectifs de 24% en moyenne chaque année et créent 87% d’emplois pérennes. Loin de l’image tentaculaire des Google, Apple et Amazon, ce secteur est constitué en très grande majorité de PME qui ne bâtissent pas leur fortune sur les ruines encore fumantes d’un modèle à l’agonie, mais participent pleinement au développement économique de nos territoires. Alors laissons-les travailler et prospérer au plus grand bénéfice de tous.