Après avoir parlé de la question du talent dans mon article « Faut-il du talent pour réussir » à propos de l’histoire de Dan McLaughlin, j’ai donc demandé à Mehdi Daouki de nous livrer ses impressions et son expérience sur le talent en tennis.
Le talent: Interprétation
C’est un challenge d’aborder ce thème et il me semble nécessaire de définir ce mot sachant que chaque pays, chaque culture a une signification différente. Dans sa définition, le talent est une disposition, une aptitude, une capacité naturelle ou acquise dans un domaine ou une activité. Alors, quand peut-on en parler? Comment le gérer et l’optimiser? Je me suis penché sur ses questions quand j’ai eu à entraîner un joueur atypique. Il avait la capacité à trouver des solutions par lui-même, un état d’esprit intéressant (un détachement et de l’audace) et des qualités techniques qui faisaient de lui un joueur très mature du haut de ses quinze ans.
Je me suis donc posé la question de cette particularité et je pense par exemple que 99% des gens associent le talent avec des sportifs comme Federer, Messi, Jordan ou Woods. Ils ont tous quelque chose d’unique, de différent: un don, une aisance, un peu de génie et ils ont aussi tout gagné.
Alors, quand on parle de talent, il faut déjà savoir ce que cela veut dire. Il y a des qualités liées à l’activité, comme les qualités techniques, tactiques qui se traduisent par une aisance dans l’action. On peut aussi détecter des ressources psychologiques particulières: un état d’esprit qui permet d’être performant, soit certains sont des compétiteurs-nés, soit d’autres sont calmes, détachés. Enfin, on peut aussi avoir des joueurs qui ont des qualités physiques: une coordination, une harmonie dans les gestes (dissociation), une vitesse de réaction. Un autre talent est également d’arriver à gérer son énergie, de pouvoir l’optimiser et de rester longtemps sans avoir de pépins physiques. Donc, quand je me trouve face à un joueur qui possède un de ces talents, je me mets d’accord avec lui (plus qu’avec ses parents ou la structure) pour définir et se mettre d’accord sur ses qualités avant tout.
L’importance de le détecter et d’en parler

La difficulté dans les académies est que l’on cherche à former, à programmer et que l’on se trouve avec un joueur talentueux qui cherche à cultiver sa différence. Il ne le supporte pas toujours.
Pourtant, quand on détecte une qualité, il faut savoir se concentrer sur l’essentiel. Par exemple, si un entraîneur avait essayé de modifier la prise de raquette, le service et la technique peu académique de Mc Enroe, il n’aurait probablement pas fait la même carrière.Un joueur comme lui jouait avec son feeling car il savait comment il devait jouer pour gagner. Il a défendu son talent, sa différence avec une énorme conviction et du caractère.
Il faut aussi prendre en compte que ces sportifs talentueux sont aussi plus vulnérables ou sensibles. Etant donné qu’on leur colle cette étiquette, cela peut déclencher du stress, des angoisses et des incompréhensions. C’est le rôle de l’entraîneur de protéger ce don, de communiquer aussi avec l’entourage familial pour qu’ils comprennent et adhèrent au projet sportif tel qu’il est mis en place.
Je suis admiratif de la carrière de Richard Gasquet et de son père qui a fait un travail remarquable. Je me souviens que l’on avait discuté ensemble du fait que Richard ne doit pas perdre la notion de plaisir et que celle-ci doit même être centrale pour qu’il joue bien. A ses débuts, il aimait le jeu et le challenge, il jouait au tennis avec beaucoup d’insouciance et de liberté et quand il en avait marre, il allait faire un foot. Il a subi une pression médiatique hors norme. Il était appelé le Mozart du tennis, faisait la couverture de Tennis Magazine à 9 ans. Il a dû faire face à cette pression et travailler dur pour en arriver là où il est maintenant. Mais sont talent aurait aussi pu l’étouffer. Il y a beaucoup d’autres exemples comme Benoit Paire, Dolgopolov, Martina Hingis…
Comment travailler avec des joueurs talentueux?

Je pense qu’avoir du talent, c’est accepter de s’exprimer sans se soucier des autres ni de comment font les autres. Je me souviens de l’époque où Federer et Nadal dominait le tennis mondial. Il y avait 2 clans. Nombreux sont les joueurs (de tous niveaux) qui ont essayé de cloner, d’imiter la technique et la gestuelle ou même leur façon de s’habiller. Ce sont deux grands champions. D’ailleurs, quel est exactement leur talent? Je me souviens d’une joueuse qui aimait tellement Federer qu’elle voulait avoir la même technique. Elle a oublié de s’exprimer elle même et d’exprimer son propre talent.Je ne dis pas que c’est une mauvaise chose de vouloir imiter un grand champion. Mais peut être que la meilleure approche est de garder sa propre personnalité. Par exemple, on compare aujourd’hui Dimitrov à Federer. Il a du mérite et doit faire face à cette comparaison, mais ce n’est pas Federer et il a une personnalité différente.
Travailler avec des joueurs doués nécessite un travail précis, une grande écoute et une ouverte d’esprit importante. On entend souvent cette phrase «Lui, c’est un cas d’école!». Ce sont des cas fascinants, différents, sensibles, uniques. Alors, le discours, l’approche, les exercices, les entraînements doivent l’être aussi. Un coach doit à chaque fois se mettre à jour, revoir son approche, sa façon d’entraîner quand il a affaire à un cas d’école….
C’est leur méthode, pas la nôtre. C’est leur talent, pas le nôtre.
Je pense que le danger est de vouloir inventer des méthodes d’entraînement préconçues et prétendre que celles ci s’appliquent à tout le monde. L’être humain est bien plus complexe que 1000 méthodes confondues. Je dis l’être humain, parce qu’un athlète est avant tout un être humain. Mohammed Ali ne s’entraînait pas comme Tyson. Et Mc Enroe n’écoutait pas la même musique que Borg!