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Le libéralisme et la question des rémunérations (2/2)

Publié le 28 mai 2013 par Copeau @Contrepoints

Le phénomène des rémunérations abusives, déconnectées des performances, s’explique par la mondialisation et la « people-isation ».

Par Marc Crapez.

Le libéralisme et la question des rémunérations (2/2)

Helvetia étend sa main protectrice sur la Confédération (allégorie monétaire du 19ème siècle).

« Auto-régulation exigeante », vient de préconiser le gouvernement au sujet des très hautes rémunérations. Une jolie façon de ne rien faire, tout en s’accordant un satisfecit. Certains libéraux contestent la notion même de rémunération abusive ou la possibilité d’y remédier, en invoquant le stéréotype du faux problème ou de la question mal posée. D’autres libéraux reconnaissent qu’on ne peut laisser cette affaire en « roue libre », qu’il faut « ramener un peu de décence dans tout ce bazar ».

C’est effectivement un véritable barnum. Au conseil d’administration de la banque Lehman, siégeaient un directeur de théâtre, une actrice des années 50 et un amiral à la retraite, pendant que les dirigeants suivaient un coaching de positive attitude. En 2005, les banques Lehman et Wachovia firent des excuses officielles pour liens d’antan avec l’esclavagisme. Pionnier de la repentance, Wachovia se flattait d’un « engagement pour la diversité » érigé en « priorité d’entreprise ». Son PDG en personne présidait un conseil d’entreprise de la diversité. Mais il n’a ressenti aucun besoin de repentance lors du plongeon du cours de l’action, passé de 60 à 2 dollars, avant d’être racheté par Wells Fargo. Par contre, il a eu le temps de se distribuer, ainsi qu’à ses acolytes, plus de 200 millions de dollars de parachutes dorés. Ce capitalisme de copinage contribue à expliquer pourquoi ces deux banques firent faillite.

Raisonnement en circuit fermé

La people-isation produit une émulation négative, qui favorise les excès de la rémunération ostentatoire. Elle renforce l’entre-soi et la connivence, qui invitent à raisonner en circuit fermé. Elle provoque même une valorisation morale des élites en tant telles, qui les incitent à se reposer sur leurs lauriers. Une fois pour toutes détentrices d’une forme de moralité supérieure aux penchants décrétés populistes du peuple, les élites s’exonèrent de sanctions et, plus particulièrement, des règles capitalistes du risque et de la responsabilité (indexation de la rémunération du dirigeant sur celle des actionnaires et réinvestissement d’une partie de cette rémunération dans l’entreprise).

S’ajoute une sorte de cumul des mandats, consistant à estimer que le pouvoir et le prestige donnent droit à l’argent, alors qu’ils étaient jadis considérés comme suffisants en eux-mêmes. On a ainsi justifié des rémunérations abusives en arguant que certains salaires de dirigeants sont à peine plus élevés que ceux de traders. Pourtant, que le salaire des dirigeants soit à peine plus élevé que celui des meilleurs traders n’aurait rien de choquant, dans la mesure où les dirigeants jouissent de pouvoir et de prestige, deux denrées aussi rares que l’argent et dont ne profitent pas les traders. Mais ces dirigeants ne sont pas gênés de gagner sur tous les tableaux, sans contreparties, en cumulant pouvoir, prestige, argent, bonne conscience et supériorité morale.

Le scrutin suisse de mars dernier revalorise le droit de regard de la morale commune et son rôle régulateur. Il restaure une contrainte de réputation, comme l’a fait en mars 2009 un journal américain en publiant un palmarès nominal des rémunérations discutables ou exagérées des dirigeants de grandes entreprises, ou comme l’a fait récemment le gouvernement britannique en publiant une liste de fraudeurs fiscaux. Pour les salaires comme pour les primes, il pourrait être annoncé les écarts avec la moyenne dans l’entreprise. En démocratie, la transparence discipline les élites. Il faut un libre accès aux données chiffrées, les faire connaître et laisser juge le spectateur impartial.

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