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« Aujourd’hui c’est zéro ! ». Gérard Colé à propos de la connaissance de l’Opinion de l’entourage de François Hollande

Publié le 29 mai 2013 par Delits

Gérard Colé, conseiller à la présidence de François Mitterrand, revient pour Délits d’Opinion sur le communication et la connaissance de l’opinion de François Hollande.

Délits d’Opinion : Vous conseillez des chefs d’Etat depuis plus de 30 ans en vous basant principalement sur votre connaissance de l’opinion publique. Comment éviter la démagogie à laquelle peuvent céder les dirigeants ?

Gérard Colé : Parce que s’ils y cèdent, les dirigeants cessent de diriger ! Et que dans tous les pays où la presse est libre, celle-ci aurait vite fait de dénoncer cette inconduite ! La soupçon de manipulation attaché au métier m’a toujours fait sourire car l’opinion ne peut être abusée qu’un moment et se montre alors très… réactive ! Ai-je besoin de citer des exemples ? Récents ? En France ?

Tout est dit, de l’intention, au premier contact en le Président et son conseiller,  : volonté ou doigt mouillé, pédagogie ou suivisme, conviction ou séduction. La raison d’être de la communication politique (en tous cas celle que je pratique) c’est d’abord de fournir aux Présidents les indicateurs fiables d’aide à leurs décisions. Il s’agit, quel que soit le sujet, l’époque, le pays, le régime, de partir du réel. L’opinion est diverse et se répartit entre « favorable » (plus ou moins) ou « opposée » (plus ou moins) à telle décision sur tel sujet. Le Président doit savoir à quoi s’en tenir. C’est ça, la fonction première de son conseiller : être une grande oreille. Ensuite, le Chef d’Etat prend sa décision et la fait connaître à l’opinion. Alors son conseiller entre dans sa fonction seconde : il va l’aider à choisir la forme, le lieu, la date, la circonstance, les médias qui paraîtront les mieux adaptés à cette communication. L’évènement s’inscrira dans une grande histoire idéale, celle de son mandat, qui aura fait l’objet d’une stratégie globale de communication et qu’il aura préalablement écrite avec son conseiller (image, positionnement, style, objectifs, etc.).

Délits d’Opinion :  En 1984, François Mitterrand vous a rappelé à ses côtés pour reprendre en main une communication négligée depuis son arrivée au pouvoir. La France faisait alors face à une violente crise économique et le chômage ne cessait d’augmenter. Parallèlement, les cotes de popularité de l’exécutif tutoyaient les abysses. C’est, à s’y méprendre, la situation de François Hollande aujourd’hui. Si nous remplacions 1984 par 2013, appliqueriez-vous les mêmes recettes face aux mêmes symptômes ?

Gérard Colé : Sur les fondamentaux, oui. Sur la pratique de résolution, évidemment non. Nous avons changé d’époque, de l’analogique au numérique. Dans nos pays riches et pour le plus grand nombre, l’accès immédiat, d’un clic, à la connaissance, réduit considérablement la part de mystère associée au Pouvoir. Le citoyen qui veut savoir sait de plus en plus le pourquoi du comment. Le Roi est de plus en plus nu ! Et, faits aggravants, la financiarisation a déplacé le centre de gravité de Washington vers Wall Street, pour faire court, et de l’Elysée vers Bercy, pour parler français. Sans parler de l’évanescence de l’Europe, de l’émergence des B.R.I.C. et très bientôt de l’Afrique.

Et si crise + chômage (territoires du politique) plombent les cotes de popularité, raison de plus pour maîtriser le reste et ne pas être le ballot chahuté par les houles sociétales. Cependant, un parallèle est possible sur le commun mépris pour la communication. Initial pour Mitterrand (mais il s’est ensuite beaucoup rattrapé) persistant pour Hollande (et incompréhensible à cause du précédent). L’exercice du Pouvoir étant impraticable sans communication, cela devrait s’arranger.

Délits d’Opinion : Vous avez notamment raréfié la parole présidentielle dès votre arrivée pour qu’elle ait plus de poids. Aujourd’hui, à l’heure des télés en continu, de twitter, de la disparition du « off » et après le quinquennat d’un président omniprésent médiatiquement, est-ce toujours possible ?

 Gérard Colé : Vous évoquez deux problèmes dans une seule question.

D’une part l’exposition. C’est 100% son choix. Le Président travaille, la plupart du temps à l’Elysée. Il peut donc y être invisible. Ou bien y recevoir tous les quatre matins journalistes, photographes et cameramen.  Jusqu’à la consternante opération Rotman (comme si un seul français pouvait croire à cette exclu-bidon). Et lorsqu’il sort du Palais, il peut soit gérer son exposition, soit laisser faire. On a vu : la pagaille.  D’autre part, les outils de prise de son et de capture d’images qui transforment chaque citoyen (journalistes compris) en agent indiscret. Et alors ? Raison de plus pour gérer. Je serais étonné que l’obligation d’être « vrai » gêne en quoi que ce soit le Président Hollande. Alors que Sarkozy y a laissé beaucoup de plumes… Quand aux tweet, soyons clairs : on tweet ou on bosse, mais on ne peut faire les deux ! Quant à la disparition du « off », vous m’apprenez quelque chose. Vous êtes sûr ?

Délits d’Opinion : Vous avez déclaré que, dans les années 80, vous et Jacques Pilhan étaient les personnes qui connaissaient le mieux l’opinion publique française. Estimez-vous que ce profil existe encore dans l’entourage de François Hollande et du gouvernement ?

 Gérard Colé : J’ai peur que non ! La structure « communication » en politique compte 4 acteurs majeurs : le pur politique, c’est bien bien bien pourvu. Le techno, c’est pourvu, un peu trop. Le médiatique, pourvu comme d’habitude. Et le sociologique que nous fournissions au Prince, Pilhan et moi. Aujourd’hui c’est zéro ! Dans l’entourage, qui a intégré les enseignements de l’école de Palo Alto ? Qui a lu, de l’immense Michel Crozier (qui vient de mourir discrètement), « l’Acteur et le système » ou « Crise de l’intelligence ». Qui sait se situer dans « les zones d’incertitude » ? Pardon, mais je ne vois pas.


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