La Commission européenne somme l’État français de mettre de l’ordre dans ses finances. Une demande que les hommes politiques français n’ont pu s’empêcher de dénoncer immédiatement, s’enfonçant toujours un peu plus dans le déni – et leur pays, dans l’impasse.
Par Baptiste Créteur.
La Commission européenne souhaite que la France cesse de s’engluer dans la dépense publique et l’endettement. Ce n’est pas la première fois qu’elle adresse de vives recommandations aux dirigeants de l’État français et, bonne joueuse, elle continue à leur expliquer comment faire.
Elle liste six grandes priorités, contre cinq en mai 2012 : la réduction du déficit public, via en particulier une nouvelle réforme des retraites, la mise en œuvre de l’accord sur le marché du travail, le coût du travail, la libéralisation des services, la compétitivité des entreprises, et la simplification de la fiscalité. Le premier ministre Jean-Marc Ayrault a réagi en déclarant que nous ferons les réformes à notre manière.
Évidemment, ces recommandations de bon sens provoquent un tollé au sein de la classe politique française ; les joyeux drilles qui dirigent un joli pays dont l’endettement public s’élève à 4 923 milliards d’euros, soit 246% du PIB, ne se laissent pas dicter leur conduite aussi facilement.
4 923 milliards d’euros, après tout, ce n’est pas grand chose ; l’État français vise le record et entend bien maintenir la croissance de son endettement. Et puis, personne n’a parlé de rembourser, on peut se contenter de payer les intérêts – une bagatelle dont les contribuables s’acquittent sans trop broncher.
À l’inverse de quelques hommes politiques qui, malgré leurs traitements avantageux, passent leur temps à râler :
Jean-Luc Mélenchon a ainsi jugé que Bruxelles « exige que le gouvernement français passe tous les droits sociaux au broyeur libéral », notamment « le droit à la retraite ». « La France doit refuser d’appliquer ces recommandations et désobéir », a-t-il protesté.
Le broyeur libéral, pourfendeur du droit à la retraite, demande à la France d’équilibrer le régime des retraites à horizon 2020. Le mot « équilibre » ne fait pas réellement partie du vocabulaire des déséquilibrés assoiffés de pouvoir qui dirigent les Français, et il ne sert pas grand chose de tenter d’équilibrer un système qui pourrait disparaître d’ici là.
Sans oublier un président qui, sans surprise, ne proteste jamais autant que quand on lui demande d’agir :
Après les annonces européennes, François Hollande a assuré que la question des retraites ne doit pas être du ressort de l’Union européenne, soulignant que « la commission n’a pas à dicter ce que nous avons à faire », en matière de réformes structurelles.
La question des retraites n’est pas du ressort de l’Union européenne ; mais elle ne demande pas de réformer le système pour le simple plaisir de voir rouspéter ceux qui nous dirigent. Le déséquilibre structurel des retraites alimente le déséquilibre structurel des finances publiques, qui alimente l’endettement. Et le gouffre que creusent les représentants du peuple, ils entendent bien l’y faire plonger.
Pour Emmanuel Maurel, vice-président de la région Île-de-France, leader de l’aile gauche du PS, « la Commission veut que la France se livre à un exercice de vandalisme social ». « On dit parfois que les commissaires sont des arbitres : ce ne sont en réalité ni plus ni moins que des hooligans, des casseurs », a-t-il lancé, affirmant que « ceux qui ont élu François Hollande attendent de nous qu’on sache préserver notre modèle social et nos services publics ».
Préservons, préservons ! Notre doux modèle social, nos services publics, toutes ces belles choses que le monde nous envie doivent être protégées des commissaires européens qui sillonnent régulièrement Paris quand le PSG remporte un titre et dont l’État nous protège aussi efficacement qu’il veille aux intérêts des générations futures.
Les vilains hooligans qui indiquent gentiment et poliment, dans un rapport joliment relié, que le bien-être des Français est menacé par le modèle social auquel ils s’accrochent, doivent cesser leur vandalisme social. Mais il faut bien le reconnaître, ce sont eux qui, dans l’ombre, tirent les ficelles. Jean-Claude Mailly l’a d’ailleurs lu dans Le Protocole des Sages de Bruxelles :
Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, a résumé la situation ainsi : « La Commission écrit la partition, les gouvernements européens la jouent. […] En contre-partie du délai de deux ans accordé à la France, la Commission attend des décisions douloureuses et elle nous ressort des antiennes libérales sur les retraites », dit-il.
Il suffit désormais de qualifier une proposition de « libérale » pour la disqualifier – et les métaphores sur cette poignée de vilains qui, dans l’ombre, décident de l’avenir du monde sont de sortie. Un refrain qu’on n’avait pas entendu depuis longtemps…
Oui, la Commission attend des décisions douloureuses. Mais ce n’est pas le libéralisme qui imprègne sa pensée, c’est le bon sens. N’importe quel adulte sensé comprend aisément qu’on ne peut vivre perpétuellement à crédit et qu’un système structurellement déséquilibré finit inéluctablement par s’effondrer.
Après les riches, les multinationales, la finance, les Allemands et les exilés fiscaux, voici le nouvel ennemi du pays : l’Europe vandale, la broyeuse libérale des modèles sociaux. Le bouc commissaire ose demander aux dirigeants français d’ouvrir les yeux parce qu’il en veut à l’indécente prospérité hexagonale, à sa croissance à deux chiffres après la virgule et à sa courbe du chômage en pleine inversion. Petit tour d’horizon.
Le chômage se porte d’ailleurs bien dans un pays pourtant en pleine crise ; les chômeurs prennent des vacances et envoient des cartes postales à Pôle Emploi en guise de clin d’œil et passent par la case départ même quand ils sont en prison. Apparemment, plus on est de fous, plus on rit.
La croissance se repose un peu, recule pour mieux sauter. On déplore bien quelques faillites par-ci par-là, quelques enterrements moins médiatiques que la bataille sanglante pour empêcher les sauvetages menée avec brio par d’ardents défenseurs des boys bands Made in France.
L’endettement public est de plus en plus performant ; il atteindra bientôt 2,5 fois le PIB, un joli monument en hommage à la sociale-démocratie.
Les Français sont à l’unisson, les débordements de liesse et les explosions de joie se multiplient dans une ambiance de franche camaraderie. Qu’on soit banlieusard désœuvré ou opposant au mariage pour tous, on a tous une bonne raison de se rassembler dans la rue par ce temps si clément.
Et alors que tout va pour le mieux, la Commission européenne vient troubler la fête en se montrant bassement matérialiste, entrant dans une comptabilité puérile et attachant une importance à l’équilibre qui relève de l’obsession : équilibre des retraites, équilibre du budget, équilibre de l’assurance-maladie et de l’assurance-chômage… Pas de ça chez nous ; avec les Partis socialistes, cueillons dès aujourd’hui les roses de la vie.