L'huile de palme est le bouc émissaire d'une nouvelle forme de protectionnisme à la française.
Par Ludovic Lassauce.
La croisade contre l'huile de palme
L'huile de palme est la première de toutes les huiles végétales (33% de la consommation globale). La demande d'huile de palme devrait augmenter de 0,5 fois en 2050 selon les estimations. Étant la plus abordable des huiles, elle représente une véritable commodité pour l'industrie agro-alimentaire, notamment pour ceux qui ciblent un marché de masse.
C'est une opportunité que beaucoup de pays en voie de développement ont saisie : les premiers producteurs sont la Malaisie et l'Indonésie, l'Afrique rattrapant le train. Les industriels qui l'utilisent essentiellement pour les produits alimentaires, y trouvent de nombreux avantages. On se doute bien que s'ils lancent des filières «sans huile de palme», c'est qu'ils utilisent un substitut.
La question est alors : le font-ils parce que ce dernier sera meilleur pour la santé et l'environnement, ou bien pour d'autres motifs ? Le « bashing » insoutenable alimenté par certaines ONG et le monde politique se traduit peu à peu auprès du consommateur qui ainsi condamne les industriels à leur répondre.
Pourtant les experts sont formels : l'huile de palme ne représente aucun risque pour la santé. Par ailleurs, son rendement agraire par hectare est supérieur aux autres cultures comme le soja, qui donc, nécessite une déforestation accrue. Ces éléments d'enquête préliminaire laissent à penser que le «danger de l'huile de palme» dont certains sont persuadés est à chercher ailleurs.
Les Français : prêts à tout pour protéger leurs intérêts commerciaux
L'ancien commissaire européen Frits Bolkenstein, dans une tribune récente, suspectait déjà que la taxe Nutella cachait un acte à visée protectionniste. Évoquant la possibilité d'un nouvel accord de libre échange entre les USA et l'Union européenne, il affirme que, pour que ce marché voit le jour, il faudra que l'Europe reste ferme face au protectionnisme mis en œuvre par la France et plus précisément par les agriculteurs français, premiers bénéficiaires des subventions de la commission européenne, et électeurs de poids.
Afin d'illustrer son propos il prend l'exemple récent de la taxe Nutella : «Les produits à base d'huile de palme qui sont produits dans notre pays ont été menacés au Sénat français avec une taxe spéciale qui aurait pour cause un prélèvement à l'importation. Cela aurait été un coup considérable pour un commerce qui représente 1 milliard d'euros par an dans notre pays (NdT : Pays-Bas). L'excuse française était la crainte des effets négatifs potentiels de l'utilisation de l'huile de palme sur la santé publique. La vraie raison est probablement que l'huile de palme importée par notre pays était en compétition avec l'huile de colza française.»
Retour sur un autre exemple significatif : la banane antillaise
Cette logique se situe dans la droite ligne d'une stratégie qui a toujours animé les acteurs économiques et politiques de notre pays. Protéger l'offre, c'est-à-dire le producteur, a été le socle de l'économie française, des derniers siècles. C'est ainsi que l’État a favorisé l'émergence de champions nationaux (le « CAC40 ») dont la mission est l'exportation de notre savoir-faire à travers le monde. Ces champions se sont faits les portes drapeaux du libre échange permettant de favoriser leurs exportations tandis que notre marché intérieur s'organisait pour limiter la concurrence domestique. Cette situation a, bien entendu, créé des inefficacités majeures dans l'appareil de production national, et ce, au détriment du consommateur.
L'offre intérieure est en position privilégiée pour influencer le monde politique via ses emplois par exemple, et son action se retrouve favorisée par le biais de réglementions, de quotas ou de la fiscalité. Le cas nouveau de l'huile de palme n'est donc pas sans rappeler un autre exemple significatif encore, celui de la banane française.
Sous la pression de la France, l'Union Européenne impose des quotas sur les bananes non-communautaires permettant aux cultivateurs antillais de vendre leurs bananes à un prix plus important aux consommateurs européens. Quelle est la conséquence de ce genre de mesure pour le citoyen européen ? Dans un premier temps, il règle l'addition du différentiel entre le prix de la banane antillaise et ce que lui aurait coûté une banane d'un autre pays. Ensuite, il fait indirectement les frais de mesures de rétorsion dans d'autres secteurs d'activité. En effet, dans ce cas, les États-Unis, première victime des bananes antillaises, sanctionnent les exportations européennes. Enfin, il doit contribuer au financement de l'agence susceptible de superviser le commerce des bananes dans l'Union Européenne. Au final, ce protectionnisme n'encourage pas nos producteurs antillais à devenir meilleurs. Dès que la muraille s'effondre ou qu'ils n'ont plus les faveurs des politiques, ils sont balayés par la concurrence. Ils deviennent alors un poids social pour le contribuable qui le paye à travers impôt et dette publique. Une banane que nous payons donc 4 fois ! Si, à court terme, quelques initiés proches du pouvoir politique peuvent tirer profit de cette situation, le coût pour la société est dramatique.
L'huile de palme semble bel et bien le bouc émissaire d'une nouvelle forme de protectionnisme à la française. Or si c'est avéré, une nouvelle fois, ce seront les consommateurs français (comme dans le cas de la banane) qui en feront les frais. Nos entreprises, quant à elles, subiront des rétorsions économiques des pays visés par cette action, comme en Asie du Sud-Est, par exemple, qui porte la croissance mondiale et dans lesquels nos entrepreneurs ont besoin de prendre des parts de marché.
La France préserve ses vieux réflexes alors qu'elle aurait besoin parfois d'adopter une nouvelle attitude pour faire face aux enjeux de la croissance de demain. Mais combien de temps notre pays pourra-t-il encore subir les conséquences de toutes ces erreurs économiques et sociales ?
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Publié initialement par Économie Matin.
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