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Pourquoi l'art d'innover est aussi l'art de supprimer ?

Publié le 02 juin 2013 par Marianne Dekeyser @IDKIPARL
Pourquoi l'art d'innover est aussi l'art de supprimer ? Faire plus (et mieux) avec moins est le chemin innovation imposé à beaucoup d'organisations. Les contraintes stimulent la créativité certes. Mais concrètement, quel raisonnement de stratégie créative appliquer ?
Je vous propose deux exemples de détours qui illustrent le procédé et son impact avec un extrait de "La Disparition" de Queneau et une saga publicitaire Saint Gobain pour l'un de ses produits phares.

Queneau, fondateur du laboratoire littéraire, l’OuLiPo (Ouvroir de la Littérature Potentielle) et membre du Collège de la Pataphysique  "la science des solutions imaginaires" telle que définie par Alfred Jarry, n’a cessé de jouer avec les mots pour réinventer le style littéraire et réveiller l’imaginaire. 
Dans son livre la Disparition (1969), il supprime la lettre « E » où durant plus de 300 pages tout le texte sera repensé sans cette lettre pour produire un « vrai » roman comme le dit lui-même Queneau à la fin de son ouvrage !
« Ainsi naquit, mot à mot, noir sur blanc, surgissant d'un canon d'autant plus ardu qu'il apparalt d'abord insignifiant pour qui lit sans savoir la solution, un roman qui, pour biscornu qu'il fût, illico lui parut plutôt satisfaisant: D'abord, lui qui n'avait pas pour un carat d'inspiration (il n'y croyait pas, par surcroît, à l'inspiration !) il s'y montrait au moins aussi imaginatif qu'un Ponson ou qu'un Paulhan; puis, surtout, il y assouvissait, jusqu'à plus soif, un instinct aussi constant qu'infantin (ou qu'infantil): son goût, son amour, sa passion pour l'accumulation, pour la saturation, pour l'imitation, pour la citation, pour la traduction, pour l'automatisation. Puis, plus tard, s'assurant dans son propos, il donna à sa narration un tour symbolisant qui, uivant d'abord pas à pas la filiation du roman puis pour finir la constituant, divulguait, sans jamais la trahir tout à fait, la Loi qui l'inspirait, Loi dont il tirait, parfois non sans friction, parfois non sans mauvais goût, mais parfois aussi non sans humour, non sans brio, un filon fort productif, stimulant au p!us haut point l’innovation. Il comprit alors qu'à l'instar d'un Frank Lloyd Wright construisant sa maison, il façonnait, mutatis mutandis, un produit prototypal qui, s'affranchissant du parangon trop admis qui commandait l'articulation, l'organisation, l'imagination du roman français d'aujourd'hui, abandonnant à tout jamais la psychologisation qui s'alliant à la moralisation constituait pour la plupart l'arc-boutant du bon goût national, ouvrait sur un pouvoir mal connu, un pouvoir dont on avait fait fi, mais qui, pour lui, mimait, simulait, honorait la tradition qui avait fait un Gargantua, un Tristram Shandy, un Mathias Sandorf, un Locus Solus, ou—pourquoi pas ? — un Bifur ou un Fourbis, bouquins pour qui il avait toujours rugi son admiration, sans pouvoir nourrir l'illusion d'aboutir un jour à un produit s'y approchant par la jubilation, par l'humour biscornu, par l'incisif plaisir du bon mot, par l'attrait du narquois, du paradoxal, du stravagant, par l'affabulation allant toujours trop loin. Ainsi, son travail, pour confus qu'il soit dans son abord initial, lui parut-il pourvoir à moult obligations: d'abord, il produisait un « vrai » roman, mais aussi il s'amusait (Ramun Quayno, dont il s'affirmait l'obscur famulus, n'avait-il pas dit jadis: a L'on n'inscrit pas pour assombrir la population » ? ), mais, surtout, ravivant l'insinuant rapport fondant la signification, il participait, il collaborait, à la formation d'un puissant courant abrasif qui, critiquant abovo l'improductif substratum bon pour un Troyat, un Mauriac, un Blondin ou un Cau, disons pour un godillot du Ouai Conti, du Figaro ou du Pavillon Massa, pourrait, dans un prochain futur, rouvrir au roman l'inspirant savoir, l'innovant pouvoir d'un attirail narratif qu'on croyait aboli ! »       Raymond Queneau – La disparition (1969)

Pour les différentes campagnes de Saint Gobain, l'essentiel, à savoir le produit, est soustrait pour n'apparaître qu'à la fin :
Quel que soit que soit l'exemple, le fait de supprimer un élément renforce le tout. Dans les deux cas, la suppression apporte paradoxalement plus de valeur (si tant est que ce soit le parti pris de départ !).
Deux approches sont possibles pour adapter ce principe de "soustraction-à-valeur-ajoutée" innovante sur l'un de vos projets :

  1. En appliquant le principe à la lettre et en intégrant la contrepartie de "valeur" dans votre questionnement : Comment aborder votre projet en apportant plus de valeur alors que vous devez supprimer un élément (budget, disponibilité équipes...) ?

    C'est ce qu'ont fait les Iles Hamilton en 2008 (avec une nouvelle version du projet en 2013) pour  attirer les touristes étrangers dans leur endroit paradisiaque alors que la crise économique sévissait et qu'eux-mêmes n'avaient aucun budget. En utilisant une annonce décalée « Postulez pour le meilleur métier au monde en devenant le gardien d’une île paradisiaque pendant 6 mois, payé 75 K€ pour raconter ce que vous voyez !» et le pouvoir d'internet, ils ont bénéficié de retombées médiatiques équivalentes à 500 M€ de budget publicitaire.
  2. En appliquant l'esprit : comment pouvez supprimer le superflu, simplifier un projet/une démarche pour plus de performance partagée ? Travailler hors silo par exemple, en équipes pluridisciplinaires pour partager les visions ? 


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