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Le vide grenier avec Emilio et Athos...

Publié le 03 juin 2013 par Philippejandrok

vide grenier,copain,amitié,champignon,nature,antiquité,gravure,socleIl y a des moments où l'on a désespérément besoin de s'extérioriser, d'aller en visite ailleurs, pour se changer les idées et oublier les petits drames du quotidien qui occupent sournoisement nos esprits et qui nous rongent comme un odieux cancer. Nous sommes donc en recherche de petits plaisirs simples de la vie, comme celui d'une brocante populaire dans le cas de cette note, enfin, tout pour penser à autre chose que ce qui nous préoccupe.

Quelle aventure hier, en ce beau dimanche du 2 mai, le soleil était bien décidé à nous illuminer de sa lumière divine, perçant la brume matinale et quelques cumulonimbus tardifs, mais rétifs, qui occupaient le ciel, cachant par leur présence la beauté sublime de ce bleu magique qui donne le sourire aux enfants et aux âmes fatiguées.

Levé tôt pour aller avec mon ami Emilio, « un homme du bâtiment » comme il se plait à dire, cultivé, amoureux des livres et de la beauté de ce monde, de l’esprit et de la nature, un jardinier modeste, homme simple comme nous les aimons, qui ne se sépare jamais de son ami Athos, un chien adopté, de forte corpulence, sensible et touchant, Emilio est venu me chercher pour nous rendre dans un déballage au village d’à côté.

-      -  Tiens… Il me tendit avec nonchalance un saladier vert en plastique rigide contenant une belle salade bio de son jardin, ainsi que deux bottes de radis éparses, cueillis à la main et jetés dans le fond du bol, c'est sa manière de faire des cadeaux à ses amis, offrir les fruits de la terre, le plus précieux des trésors pour toute personne soucieuse de sa santé.

-       - Oh, merci beaucoup, c’est vraiment très gentil, d'autant que j'adore les radis.

Je déposais les légumes dans l’évier de la cuisine et repartis avec lui sur les routes de campagne avec le saladier qu’il avait pris la précaution de mettre dans le coffre. Le chien Athos était derrière moi, il était heureux de me voir, sans pourtant d’effusions émotionnelles, il était plus inquiet par son odyssée.

-      -  Ah, qu’est-ce qu’il est chiant quand nous sommes en voiture, il ne cesse pas d’aboyer sur tout et n’importe quoi, je deviens dingue, des fois j'te jure vaudrait mieux une femme ?

-       Peut-être pas, si tu tombes sur une mégère...

- C’est bon, je connais, j'ai déjà donné...

- Ne t’inquiète pas pour Athos… à cet instant, le chien aboya contre un cycliste en livré qui se croyait au Tour de France. C’est alors que je compris la mise en garde d’Emilio, Athos aboyait et geignait durant tout le trajet, sans véritable raison, c’était Athos. Je tentais d’apaiser son angoisse en lui parlant, en le caressant, mais rien n’y faisait, parfois il déposait sa tête sur mon épaule en poussant des soupirs angoissés, enfin, nous arrivâmes au village, notre destination, pour nous extirper de l’habitacle et profiter du calme de la campagne.

 -      -  Non, tu restes ici, dit Emilio en s’adressant au molosse.

Nous empruntons des ruelles, Emilio me dit en me pointant une jolie maison en pierre au fond d'un jardin :

- Oh, dans cette maison au fond, il y avait une petite femme, qu'est-ce qu'elle était mignoge, la pauvre, je suis arrivé un lundi matin, la TV était allumée, la pauvre femme était morte, oh, ce que ça m'a fait de la peine... et dans cette maison, on a tout refait avec un copain... ah ça y est on y arrive...

Une fois sur le marché qui n’était qu’un déballage de province sans prétention, je suis attiré par une gravure XVIIIe peinte à l’aquarelle, sur le sujet de l’amour et d’un baiser volé lors d’une leçon de clavecin, le cadre est en excellent état, sans doute, année 50, mais doré à l’or, très bien encadré, la pièce est séduisante, je demande le prix :

-       - 8 euros Monsieur.

-       - 5… je marchande par principe.

-       - Non 8, me répond le vendeur.

-       - Très bien, les voici... à quoi bon marchander pour un cadre sous verre en parfait état et une jolie gravure d'époque ?

Première gravure emballée, puis sur le stand suivant des gens charmants et des objets qui méritent attention. Je remarque immédiatement un socle en argent Napoléon III, 20 cm de diamètre sans défaut ni bosse, ciselé admirablement, qui devait servir pour une coupelle en cristal ou un vase, il est posé à la vertical, absolument pas mis en valeur, c’est vraisemblablement une curiosité qui doit partir, qu’importe son utilité, je demande le prix :

-      -  je ne sais pas, qu’est-ce que vous proposez ? Me répondit une charmante femme d’âge mûr.

-       - 8 euros ? je tente le coup, il est vrai que dans ce bric à brac cela ne vaut rien.

-       - Vendu !

Je dissimule mon émotion et feins le désintéressé, puis, je suis attiré par des objets inhabituels, des fourchettes à escargot en étain, je n’en n’ai jamais vu de telles, mais, je reconnais le style, c’est du XVIe ou XVIIe, elles sont au nombre de 5, un ensemble aussi rare qu’exceptionnel, ciselé d’une pièce et se terminant en tête de clou :

-       -  -Allez comme vous êtes connaisseur, me dit l’homme en couple avec la femme, mais pas mariés, chacun sa maison, me dit-il en me racontant les malheurs de son existence et surtout le fait qu’il ne voit plus sa fille depuis son lointain divorce ; vous vous rendez compte votre femme demande le divorce, vous divorcez et ensuite elle veut revenir vivre avec vous, moi, quand je divorce, je divorce, n’est-ce pas ? il me parle de son héritage qui lui tient à cœur, de celui que sa fille ne touchera pas, elle, qui refuse de voir son père, je dois être grand-père et je ne le sais même pas, alors dans ces conditions… enfin, une histoire bien triste pour un homme que la mort attend dans les mois, les années à venir, je vais mettre ma maison en viager, je me suis renseigné auprès d’un ami notaire, comme ça, tant pis pour elle, j’ai les fourchettes dans la main, allez, vous m’êtes sympathique, me dit-il, 5 euros. Je paye sans discuter et en le remerciant je me hasarde à lui dire : Allez, prenez la bonne décision, c’est le plus important…

Il a également des ronds de serviettes en papier mâché datant de 1920 :

- combien pour ces ronds de serviettes en papier maché ?

- Ah c'est papier maché, j'ignorais.

- En quoi croyez vous qu'ils étaient ?

- Je n'en ai aucune idée, j'ai ça depuis des années, allez 2 euros.

il y a aussi une boite de maquillage 1930 en métal laqué en excellent état pour une femme ou une jeune fille. Bref, de belles affaires.

A quelques pas, un homme de condition modeste accompagné de sa fille en Jogging, lui, assis sur une chaise de jardin, elle, debout, mais elle est si petite malgré son adolescence, qu’on la croirait assise à ses côtés ; il propose des livres des vinyles, des vieux vêtements pour gagner un peu d’argent. Sur la table, empilée, une collection de 24 livres reliés cuir avec dorure, datant des années 60, je jette un regard machinal, mais un nom retient toute mon attention, Jean Cocteau, un de mes auteurs préférés, je saisis le livre, introduction du Maître, sur un texte portant sur Picasso, mais le plus beau est ce qui va suivre, ce n’est qu’un ouvrage parmi d’autres, les œuvres complètes de Jean Cocteau, « La belle et la Bête » « les enfants terribles... » tout y est, illustrées par le maître, puis, mon cœur vibre, les œuvres de Jean Giono, celles d’Hervé Bazin, de Sacha Guitry, et celles d’André Maurois, toutes illustrées par des artistes de l’époque. Le format est séduisant, A5, la police, enfin lisible, le caractère est clair et net, le tout en très bon état, en cas de nettoyage, bien sûr. A tout hasard je demande le prix tout en feuilletant un Jean Cocteau, en me disant que cela va me couter une fortune si je me décide à en faire l’acquisition :

-       - 20 euros ! me dit l’homme.

-       - Hum ! 20 euros, à cet instant je fais le calcul, je pense qu’il s’agit du prix d’un volume, vais-je me fendre de 20 euros pour un volume illustré par Cocteau et plus de 200 euros pour les autres, impossible, je n'ai pas ces moyens.

-       - C’est pas cher, reprend l’homme, 20 euros pour toute la collection, ça fait 1 euro le volume, me dit-il.

-       - Hum !  Je frémis comme un saule sous le vent, je fais mine de réfléchir, je me décide, Bon d’accord, je les prends.

-       - Bon, je vais vous aider à les porter.

-       - C’est vraiment très gentil de votre part.

-       - Oh pas de soucis.

J’étais heureux comme un pape d’avoir cette collection avec ces auteurs remarquables, des livres, des vrais que l’on a plaisir à prendre entre les mains. Le brave homme m’aida à porter les ouvrages dans une cagette à légumes sur bien six cent mètres, il les posa sur un rebord de clôture en pierre, épuisé par l’effort qu’il avait fait pour moi et je vous avoue que j’étais heureux de cette aide.

J’ai donc continué mon tour avec Emilio, et puis, je suis tombé sur une gravure de Nicolas Lancret, un des peintres du XVIIIe que j'apprécie le plus, si délicat, si raffiné, c’était une reproduction héliographique du XIXe peinte à l’aquarelle, sans grande valeur mais encadrée sous verre, qui représentait « l’été », une petite œuvre charmante, et puis un moyen de posséder un Lancret du pauvre, j’en demandai le tarif :

-       - 8 euros Monsieur.

-       - Oh non, le cadre en bois est moche, je vous en donne 5 euros.

-       - Ok, 5 euros.

Puis, sur le sol, un miroir Napoléon III dont le cadre avait été repeint en blanc, mais il était en parfait état :

-       - et combien pour ce cadre ?

-       - 10 euros.

-       - Non, c’est trop cher, lle miroir est piqué de partout, la patine est affreuse.

-       - Oui, je sais c’est moi qui l’ai fait... me répondit la brave femme.

-      -  Vous auriez du le laisser dans son jus, je vous en propose 5 euros.

-       - Allez, d’accord.

J’ai la chance de savoir restaurer ce type d’objets pour leur redonner leur aspect d’antan, d’autant que le verre du miroir est au mercure et qu’il est admirablement patiné, ce sera un magnifique petit miroir.

La semaine dernière au vide grenier de la petite ville que j’habite, j’avais trouvé deux belles estampes d’oiseaux de paradis début de siècle, ces deux estampes ainsi que les gravures type XVIIIe achetées aujourd’hui décorent actuellement un des murs du cabinet d’aisance, c’est inhabituel, certes, mais j’ai bien l’intention de faire de ce cabinet, un cabinet anglais du XVIIIe, plein de gravures, de peintures, enfin, un mur rempli, d’estampes chinées.

Une fois de retour dans cette petite maison que j'habite en famille, j’ai déposé mes modestes trésors qui ne valent pas grand-chose mais qui, pour moi, ont une valeur sentimentale et artistique ; nous avons pris, Emilio, un café et moi un thé, alors que les chiens faisaient la fête à Athos en aboyant de toutes parts, décidément, nous ne sortions pas des aboiements ce jour-là.

- Ah il fait beau, me dit Emilio assis sur un petit escabeau de chantier, encore un jour comme ça et on pourra aller aux champignons. On va y aller cet après-midi, hein Athos ?

Le chien regarda son maître et je puis assurer qu’il avait compris les intentions d’Emilio, car il y a quelques semaines Emilio demanda à Athos d’aller chercher son jouet qui se trouvait caché sur de larges feuilles de rhubarbe dans son jardin et le chien le ramena sans le moindre problème sans que l’on ait eu besoin de lui indiquer la direction ; j’avais été impressionné par l’intelligence de ce chien, un autre jour, nous sortions du jardin de son maître, j’avais sa laisse à la main, je jetais un regard à Athos pour lui dire de venir afin que je l’attache, sans un mot, ce chien me rejoignit pour que je le mette à la laisse, c’est pourquoi je reste persuadé qu’il avait bien compris les intentions de son maître d’autant qu’il adore aller aux champignons ajouta Emilio.

Donc, de retour à la maison,  après le thé et une petite collation, j’ai ciré mes nouveaux merveilleux livres, poncé la tranche et traité à la térébenthine, l’un après l’autre, ils sont, pour moi, magnifiques, pas de champignons, parfaitement utilisables, après les avoir briqué durant deux bonnes heures, et laissé sécher à l’ombre dans le courant d’air de cette belle journée, quelle joie j’ai éprouvé en feuilletant l’un d’eux, en me disant : - Tiens, le début commence bien… Je suis descendu à la cave où j’avais encore un beau fauteuil en bois toujours emballé telle une momie d’Egypte, du déménagement, je retirai toutes les protections et le remontai pour le porter dans le petit jardin. J’ai commencé à lire "Ni ange, Ni Bête" un charmant roman d’André Maurois, quelle belle écriture, un véritable plaisir de renouer avec la langue française, pas de grossièreté, de vulgarité gratuite, de mots inventés, du français des belles lettres qui se perd aujourd’hui, j’ai dit à ma fille :

-       - Vois-tu mon enfant, si seulement tu lisais cette collection seule, tu serais une personne cultivée… C'est tellement important de lire et de découvrir des auteurs, cela forge l'imagination...

Mais les adolescents ont toujours mille choses plus importantes à faire, un jour peut-être s’intéressera-t-elle à la bibliothèque de son père, qui sait... elle y découvrira l’art et la littérature, nous avons tant à apprendre de nos pairs, eux, qui nous ont laissé des témoignages de leur intelligence et de leur grandeur d’âme, qui échappe aujourd’hui à notre société en souffrance, dénuée de spiritualité et de culture, les gens n’apprennent plus, ils ne lisent plus, ils ne savent plus rien.

La dernière fois au jardin de mon ami Emilio, nous étions assis sous la tonnelle de sa cabane des marais, il relisait « Paroles » de Jacques Prévert, il me tendit le livre corné aux pointes et me fit lire un magnifique poème sur la faim, celui-ci me rappela un roman que j'avais lu il y a trente ans, de Knut Amsun, "la failm" et qui m'avait marqué, car durant ces années d'étude, je connus la faim, mangeant une soupe en sachet par jour, investissant l'argent de ma bourse dans les couleurs et les papiers, les toiles de lin, les huiles, les colle d'os, enfin, c'est une autre histoire, que sont devenus nos écrivains, nos littéraires ?

Des animateurs TV soumis à l’audimat et s’exprimant pour la plupart comme des patates, mais une patate s’exprime-t-elle ? Seulement dans l’esprit, chez Ionesco ou Kantor, chez les surréalistes et chez Disney dans un autre registre. Enfin, notre culture francophone est si belle, si riche et que devient-elle ? Justement, elle s’effiloche comme un vieux pull et finira peau de chagrin pour notre malheur à tous et tout cela pour le profit économique et la publicité, car on plébiscite les rappeurs qui rapportent gros et qui s’expriment comme des patates, détruisant la beauté de la langue car, ils n’en comprennent pas le sens, et cela, au détriment des auteurs qui ne sont plus lus, quelle misère.

Le socle en argent a trouvé sa place, il est devenu le support d’une tête de Buddha en pierre que j’avais depuis des années et qui cherchait un support, j’avais pensé concevoir un socle en pierre, mais les matériaux m’auraient coûté plus cher que cette pièce magnifique. Les gravures ont été installées sur un mur accompagnant d’autres illustrations et formant un ensemble cohérent, on peut, à peu de frais, aménager des espaces intérieurs et créer des objets à partir de pièces glanées ici ou là, c’est donné à tous et nous devrions savoir saisir ces occasions, il faut pour cela ouvrir son esprit et refuser d’emblée ce que l’on nous propose d’acheter dans les boutiques et les grandes surfaces, car c’est ainsi que l’on tue toute forme de création dans l’esprit des hommes.

Emilio, Athos et moi, attendons à présent un sursaut climatique pour aller dans la forêt cueillir des champignons en compagnie d’Athos, peut-être demain, après demain, qui sait ce que la nature nous réserve et les surprises de la vie, dans un sous-bois à l’aube naissante…

Nous vivons une époque formidable…

Je remercie ici Emilio et Athos de m'avoir offert leur amitié, j'ai trouvé là deux vrais copains comme on n'en fait plus et comme on souhaiterait à tout le monde.


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