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La France malade de ses crypto-élites ?

Publié le 04 juin 2013 par Copeau @Contrepoints

Le fossé se creuse entre une caste dirigeante auto-reproductrice et les forces vives de la société.

Par Thierry Godefridi, depuis la Belgique.

La France malade de ses crypto-élites ?

La promotion Voltaire de l'ENA.

Pour les Pinçon-Charlot, rapporte Rue89.com, « courir est une nécessité intellectuelle » ! Chaque matin, après le petit-déjeuner, ils courent quatre kilomètres et rituellement de la même manière, Michel (70 ans) devant, Monique (66 ans) derrière. Au boulanger qu'ils croisent chaque matin et qui leur demande pourquoi ils courent comme ça, Monique répond : « Je suis sympa, je lui laisse le beau rôle ». Pourquoi courent-ils en vérité ?

D'abord et bien qu'ils acceptent les stigmates de l'âge et disent ne pas être en quête de jeunisme, les Pinçon-Charlot veulent néanmoins ne pas avoir un corps trop déformé. Ensuite, quand ils courent, ils rencontrent toutes sortes de gens qu'ils ne verraient jamais autrement et surviennent tout un tas d'événements. Enfin, courir c'est extraordinairement vivifiant, que ce soit sur le plan professionnel ou sur tout autre plan, la course vous met les neurones en place. « On écrit deux heures tout de suite après notre jogging. »

« Les qui ? », vous demandez-vous. Simon Kuper cite les deux sociologues français lorsqu'il expose l'esprit de caste qui habite les membres de l'élite (politique, financière, culturelle) française dans un article du supplément Arts & Lifestyle publié le week-end par le Financial Times, « The French elite : where it went wrong ».

Les « énarques » français n'ont pas été formés pour réussir dans le monde mais à Paris, y soutient le journaliste qui vit à Paris. Il rappelle que Maurice Thorez, stalinien notoire ayant passé la seconde guerre mondiale à Moscou où il se faisait appeler « Ivanov », entra à son retour au gouvernement français et fit sien un projet du Général De Gaulle visant à créer l'École Nationale d'Administration en vue d'y former les hauts fonctionnaires de la nouvelle république. Dans l'esprit de Thorez, sans doute cette caste devait-elle former le fer de lance du prolétariat cher à Lénine. L'ENA n'a, depuis lors, cessé de produire d'innombrables membres de l'élite française, culminant dans l'avènement du Président François Hollande.

Une attitude de dénigrement à l'égard des élites est certes un phénomène français datant de l'âge de la guillotine mais le mépris pour les « énarques » et leur clique, qu'ils soient de gauche ou de droite, atteint désormais un record, en même temps que le taux de chômage, et est exacerbé par les affaires et l'hypocrisie qu'elles étalent au grand jour. Quelque chose s'est sérieusement déglinguée pour la caste à Thorez, conclut le journaliste du grand quotidien international.

Auteur du livre France's Got Talent et cité dans l'article du Financial Times, Peter Gumbel, autre journaliste anglophone (au magazine américain Time) et enseignant à Sciences Po, renchérit : le personnel politique français s'est constitué en élite dominante qui ressemble à un ancien régime essayant désespérément de s'accrocher au pouvoir et à ses privilèges. « Ils peuvent être intelligents et travailleurs, brillants en grammaire et en mathématiques, mais il leur manque l'expérience, voire les capacités. »

Se référant à l'article du Financial Times, le Courrier international (groupe Le Monde.fr), parle de classe incestueuse. Les membres de la caste se sentent liés par les secrets partagés et préfèrent laisser un déviant sexuel se présenter à l'élection présidentielle plutôt qu'en informer le « menu fretin » au-delà du périphérique. En fait, ils trahiraient leur pays plutôt que leurs amis, écrit Simon Kuper qui ajoute, citant son confrère Serge Halimi : c'est une forme de corruption.

Il ne faut pas chercher plus loin la raison pour laquelle la France ne se classe qu'au 62ème rang mondial de l'indice de la liberté économique établi par la Heritage Foundation : ce sont ses 168ème  et 171ème positions sur le plan de la fiscalité et des dépenses publiques qui la pénalisent le plus, outre le fait que le marché de l'emploi s'y trouve jugulé par un carcan de règles y décourageant l'esprit d'entreprise (du point de vue du marché de l'emploi, la France se classe 130ème dans le monde). Résultat : à force de contraintes de toutes espèces sur les employeurs, le nombre de chômeurs atteint un record.

La Belgique est-elle exempte du phénomène de caste ? À voir le nombre d'« enfants de » exerçant un mandat public, rien n'est moins sûr ! Dans un courrier adressé à Die Welt à la suite d'un article paru en avril 2013 et intitulé « Politik als Beruf », une lectrice récuse les carriéristes de la politique et autres apparatschiks et formule une proposition suivant laquelle il faudrait soumettre l'exercice d'un mandat public à la condition fondamentale d'avoir exercé de manière probante une occupation professionnelle dans le secteur privé pendant cinq ans.

Entre-temps, réjouissons-nous avec le Figaro du 24 mai 2013, pour la France et pour l'Europe, de ce que le Président Hollande, invité d'honneur du parti socialiste allemand (SPD) à l'occasion de son 150ème anniversaire, ait rendu hommage à l'ancien chancelier Gerhard Schröder pour les réformes, dont celle du marché du travail, que son gouvernement avait engagées et que les gouvernements de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy n'avaient osé amorcer. La question est de savoir si, rentré à Paris parmi les siens, le Président français tiendra le même langage et s'il mettra ses actes en accord avec ses paroles. Il y a urgence : l'UNEDIC prédit encore une augmentation du chômage en 2014, fondée sur des prévisions de croissance revues à la baisse.

Si l'élite française faillait à redonner l'espoir, une menace bien plus radicale se profile à l'horizon, prévient le Financial Times : l'élection d'une première présidente franchement « anti-élite ». Les affiches électorales qui subsistaient de Lille à Lens tout au long de la Route du Louvre donnaient à penser que cette crainte n'est certainement pas infondée.


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