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Voyage voyage (2)

Publié le 04 juin 2013 par Rolandbosquet

   C’était il y a longtemps, à l’été 1969. Je décide avec une amie d’aller humer l’air du festival d’Avignon. Elle avait été particulièrement perturbée l’année précédente par les "révolutionnaires" de mai 68. Que resterait-il un an après de la "révolution" et du théâtre ? Il n’est pas question bien sûr de prendre le train. Nos moyens financiers se résument à quelques pièces dont le total atteint royalement 50 francs. Nous irons donc en auto-stop. Et pour faire bonne mesure, nous ferons un détour entre autres villes par St Malo, Rennes, Nantes et Saintes où je suis invité à dire quelques poèmes de mon cru contre deux repas et un toit. Pour subsister les autres jours, nous faisons la manche à la sortie des grands magasins, des gares ou des cinémas. Mon amie gratte sur sa guitare quelques airs bien connus tels que "Jeux Interdits" ou le "concerto Aranjuez" et, il va de soi, des chansons de Bob Dylan et de Léonard Cohen. Pour moi, je me contente de dessiner à la craie sur le trottoir des "vierges à l’enfant" bien larmoyantes et colorées qui attirent l’œil et l’indulgence populaire. Les piécettes tombent dru dans l’étui de la guitare. Les rencontres sont nombreuses, diverses et généralement chaleureuses même s’il faut, de temps à autre, croiser des regards méprisants de "bourgeois" que le printemps de l’année précédente avaient effrayés sinon scandalisés. En un mot, c’étaient alors des échanges fructueux que le hasard glissait dans notre escarcelle. Je me permets de rappeler cette anecdote, parce que j’ai eu l’occasion de croiser, il y a quelques jours, le chemin de "jeunes" affalés sur les trottoirs des arcades de La Rochelle. Hélas, leur mendicité n’a rien à voir avec celle que j’avais pratiquée alors. Les sourires sont rares et les mines plutôt grises. Répandus à l’entrée des magasins, les quémandeurs évitent de croiser les regards. L’un caresse distraitement son chien, un autre semble compter les chaussures qui passent devant lui sans s’attarder et encore moins s’arrêter, une troisième est plongée dans un livre. Point de musique, point de dessin, fut-il approximatif. Point d’échanges. Ils n’offrent rien d’autre qu’une désespérance qui creuse leurs traits. Mon amie et moi entrions dans la vie et voulions la croquer à belles dents et rester libres. Ils paraissent avoir déjà fait le tour de leur carrière, enchaînés à des rêves perdus ou inaccessibles. Le monde que je leur laisse aujourd’hui est-il donc si dur ? Si impénétrable ? Si écrasant ? Le frisson qui court sur mes épaules au sortir des arcades n’est pas seulement dû à la petite brise aigrelette qui cueille le badaud dès que le soleil se cache. Les promeneurs rient, fredonnent, parlent haut, téléphonent en se précipitant vers les terrasses des brasseries. Mais cet air de fête m’apparaît soudain factice. Et c’est en bougonnant ma méchante humeur que je retrouve la tranquillité de mon courtil.

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