Magazine Politique

A propos d'Huntington

Publié le 04 juin 2013 par Egea
  • Géopolitique
  • Religion

J'ai déjà, sûrement, parlé d'Huntington sur égéa, et à maintes reprises (une recherche me signale que son nom apparaît 28 fois). Mais l'avais-je "critiqué" ? Il semble utile de le faire...

A propos d'Huntington
source

Est-ce un hasard si un des théoriciens de la mondialisation fut Samuel Huntington. Et si son premier article sur le choc des civilisations est publié en 1993, si le livre éponyme est publié en 1996, il connaît réellement le succès après les attentats du 11 septembre 2001 : en effet, ceux-ci semblaient valider la théorie proposée quelques années plus tôt. Et notamment l’idée simple d’une lutte entre notamment l’Occident et l’islam. Constatons que c’est d’ailleurs cette thèse qui est implicitement mise en avant par ceux qui affirment que la religion est un facteur géopolitique.

Selon Huntington, le nouveau monde n’est plus celui des Etats ou des idéologies, mais celui des cultures, qui seraient à la source des affrontements à venir. Huntington énumère huit « civilisations » : chinoise, japonaise, hindoue (fondée sur l’hindouisme et recouvrant le sous-continent indien), islamique (fondée sur l’islam), occidentale (Europe, Amérique du nord et Océanie, fondée sur le christianisme), latino-américaine, africaine, et orthodoxe.

Disons tout d’abord la part de vérité qui est dans ce livre : ce n’est pas un hasard si Braudel utilise lui-même l’expression de « choc des civilisations ». Ainsi, les civilisations s’entrechoquent et divergent. Toutefois, Braudel évoque la longue durée, quand Huntington laisse entendre une certaine immédiateté de ces conflits. Il reste que ces conflits civilisationnels sont une réalité : tout géopolitologue ne peut qu’en convenir. Les facteurs culturels sont parmi les plus importants et ceux sont ces derniers que les populations saisissent d’abord pour bâtir leurs représentations collectives, à la source de leurs luttes géopolitiques.

Toutefois, si la dispute ne portait que sur le facteur temporel, il s’agirait là d’une discussion bénigne de spécialistes. Or, ce qui gêne le plus chez Huntington tient à sa caractérisation des civilisations. D’ailleurs, on a remarqué à quel point elle était variable. Il est exact que le concept de civilisation est malaisé à appréhender, et que toute description se heurte surtout à la question des limites. Constatons pourtant que par souci de réalisme, Huntington a voulu simultanément appréhender le complexe, donc ne pas retenir qu’un seul facteur (l’aire géographique ou la religion ou la langue), et en même temps simplifier. Il en résulte unece rtaine schématisation, selon l’approche quasi déterministe qui ressort des pères de la géopolitique (McKinder et Spykman).

Pourtant, une lecture attentive d’Huntington laisse entrevoir un primat du religieux, même si celui-ci n’apparaît pas de prime abord. Ainsi, les civilisations « territoriales » laissent entrevoir des données religieuses prévalant : l’Amérique latine ne serait pas simplement occidentale, d’une part à cause des contacts avec des civilisations préexistantes (indiennes et aztèques) mais aussi à cause d’une prédominance du catholicisme… Quant à l’Afrique, elle est marquée par un animisme sous-jacent. Le Japon est quant à lui isolé parce qu’il ne peut être simplement bouddhiste mais aussi shintoïste.

Il reste que ce sont les civilisations les plus marquées par le facteur religieux qui posent problème, chez Huntington : ainsi, parler de civilisation occidentale en notant son inspiration chrétienne, mais en isolant d’un côté l’orthodoxie, de l’autre un catholicisme sud-américain reste gênant : l’Occident serait donc un protestantisme élargi ? Mais quid des catholiques d’Europe et d’Amérique, quid des juifs ? Réduire le sous-continent indien à l’hindouisme est également gênant. Enfin, unifier l’islam en une seule civilisation témoigne d’une simplification majeure qui peine à décrire le réel.

Sur ce dernier point, l’actualité récente ne cesse de nous donner des contre-exemples de cette unité de l’islam : ainsi, le conflit en Syrie (mais aussi, désormais, en Irak) ne peut que s’expliquer par la lutte entre sunnisme et chiisme. Pareillement, les émeutes de juin 2013 en Turquie sont surtout le fait d’une minorité alévie (une branche du sunnisme) envers la pratique dominatrice du parti islamiste (et sunnite) au pouvoir à Ankara.

Autrement dit, cette reductio ad relgionem, quoique séduisante apparemment, peine à rendre compte de la complexité du réel. Si la religion est certainement un des facteurs civilisationnels, ce ne peut être le seul et surtout, elle doit être mise en perspective avec d’autres facteurs. Ce constat, de nombreux critiques d’Huntington l’ont dressé.

Réf

  • ce billet sur la crispation des religions
  • La catégorie Grands auteurs (de géopolitique)
  • La catégorie Religion

O. Kempf


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Egea 3534 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines