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Les Normands

Publié le 06 juin 2013 par Rolandbosquet

Normands

   Alexandre Vialatte aimait à user de fulgurants raccourcis. Ainsi écrivait-il que la Normandie se compose, en gros, de pommiers en fleurs et d’auberges normandes. C’était, en gros, fort bien vu. Les bocages normands étaient hier encore tapissés d’une multitude de fleurs. Elles donneront à l’automne le meilleur cidre du monde. Pour fêter la récolte de leurs pommes, les Normands se retrouveront alors dans leurs fameuses auberges autour d’immenses tablées pour des banquets pantagruéliques dignes, c’est un comble, des ripailles gauloises de jadis. Ces derniers mobilisaient alors le ban et l’arrière ban des populations plusieurs jours durant autour des fameux sangliers qui étaient surtout des cochons sauvages. C’était leur manière à eux de communier avec les dieux. Les Normands, eux, tout à fait acquis de nos jours au politiquement correct, assurent communier ainsi avec la nature ! Et la nature, ils la connaissent grâce à leur fameux cidre emprunté jadis aux Vascons, grâce à leur lait si goûtu en cette saison printanière et grâce à leur crème épaisse et onctueuse, à leur beurre fermier et à leurs moutons de prés salés.  En un mot, un repas n’est chez eux qu’une longue suite d’offrandes à Gaïa, Déméter et Chloris. On y entre par des langoustes ou des homards puis viennent les soles noyées dans la crème fraîche et les escalopes de veau, à la mode normande bien sûr, c'est-à-dire avec beaucoup de crème.  Suivent le sorbet à la vanille enseveli sous une avalanche de crème chantilly  et le célèbre petit verre de calvados, dit le trou normand, indispensable pour dégraisser l’œsophage et préparer la future digestion. Peut alors commencer le repas proprement dit. Andouille de Vire, tripes à la mode de Caen, tête du veau dont on a déjà goûté aux escalopes, trou normand et gigot de mouton. On ne saurait oublier, dans les meilleures maisons, le camembert, le vrai, bien sûr, qui n’a souffert d’aucun régime minceur ni été aseptisé. Une pause est alors recommandée sous la forme d’un trou normand avant de s’engager dans les desserts. Les recettes en sont en général plutôt légères et frugales tels le Crumbles aux pommes et au calvados, le bourdelot à base de pomme et de gelée de groseille enrobées d’une pâte feuilletée, le douillon à base de poire de Domfront et de cannelle enrobées d’une pâte brisée, l’omelette Vallée d’Auge garnie de pommes dorées au beurre et flambées au calvados et accompagnée de crème fraîche et, bien entendu, la tarte normande à la crème flambée au calvados. Il arrive parfois que d’aucuns fassent l’impasse sur la teurgoule. C’est évidemment grand dommage. La teurgoule, à base de riz, de lait et de cannelle et laissée à cuire dans sa terrine enfournée dans la cuisinière pendant au moins quatre heures, est véritablement le point d’orgue qui ponctue avec panache tout festin de baptême, première communion, mariage ou enterrement. Alexandre Vialatte, qui avait bien compris l’âme normande, rapporte qu’après de telles agapes, l’homme se sent moins seul. Le Normand souffre en effet d’un besoin inextinguible de convivialité pour compenser la longue teinte grise du ciel et de la mer qui l’enveloppe trois cents cinquante jours par an. Bien que le gris de la mer puisse, parfois, être nacré ; ce qui ajoute une touche de poésie à l’humidité irisée des choses. Car, si la croisette ressemble à un décor d’opéra à la saison du mimosa, la Normandie, elle, fait sérieux avec les lumières subtiles de ses bocages et les nuances mordorées du couchant sur la mer. C’est elle, en fait, qui a sculpté l’image du viril paysan normand que l’on connaît. C’est elle qui l’a doté de la trempe brumeuse du pécheur de hareng sur ses bateaux qui donnent affreusement le mal de mer. La tapisserie de Mathilde exposée à Bayeux le prouve brillamment. Observez les soldats de Guillaume, encore bâtard à cette période sa vie. Ils se préparent à envahir le pays d’Harold et de ses Saxons installés de l’autre côté du Channel. Harnachés de pied en cap, ils fixent fièrement l’horizon tout en surveillant leurs chevaux bleus et leurs juments roses. Sans craindre ni tangage ni roulis et moins encore les sombres traîtrises de la perfide Albion. Gageons qu’ils auront embarqué après avoir sacrifié, une fois au moins, au trou normand ! En un mot, les Normands étaient vraiment prédisposés à inventer le cidre et le calvados, la crème fraîche et le camembert. On comprend mieux pourquoi les Forces Alliées ont choisi ses côtes pour débarquer un certain 6 juin 1944. 


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