Récemment, la Chine est devenue le premier client de Bagdad pour l’achat de son brut, et son premier partenaire pour les investissements dans le secteur pétrolier mis à mal par un quart de siècle de sanctions, de guerres et de violences. Pékin achète plus de la moitié de la production irakienne, qui s’établit à quelque 3 millions de b/j, et les opérateurs chinois ont investi deux milliards de dollars sur les douze derniers mois dans de nouvelles installations d’exploration et d’exploitation. « Nous avons perdu », reconnait candidement un ancien responsable du Pentagone. « Les Chinois ne se sont pas mêlés de la guerre. Mais d’un point de vue économique, c’est eux qui en profitent, et c’est notre 5ème flotte et notre aviation qui assurent la sécurité des livraisons ».
Cette situation en Irak illustre un rééquibrage global des échanges énergétiques dans le monde, aux conséquences stratégiques et sécuritaires fondamentales.
Au début de l’année 2013, la Chine est devenue le premier importateur mondial d’hydrocarbures, dépassant les Etats-Unis. Ce changement est dû a l’explosion de la demande en Chine — elle a quasi quadruplé en dix ans –, et à la nouvelle indépendance de l’Amérique à l’égard des énergies fossiles importées. La révolution technologique du « fracking » aux Etats-Unis a permis de libérer de nouveaux gisements de gaz et de pétrole prisonniers de sous-sols schisteux. Washington annonce une indépendance totale dans le domaine de l’énergie fossile en 2030, et le Président Barack Obama, dans son discours sur l’état de l’Union, au début de l’année, a salué un formidable succès.
Les importations de pétrole de la Chine proviennent en majorité des pays du Golfe, l’Arabie Saoudite, l’Irak, le Koweit, et les Emirats. Une part non négligeable provient également d’Iran, mais les chiffres rééels sont en débat dans la mesure où un embargo international et un régime de sanctions imposées par les Etats-Unis et l’Europe frappent les exportations iraniennes, et menacent les entreprises étrangères qui commercent avec la République islamique. Pékin semble avoir diminué ses achats de brut et de gaz iraniens, mais sans les interrompre.
Cette nouvelle donne énergétique mondiale préoccupe l’Arabie Saoudite, qui depuis sa création joue le rôle unique de premier exportateur et de grand régulateur des prix du marché de l’oir noir. Le royaume doit sa survie à la protection militaire des Etats-Unis qui assurent également la libre circulation des super tankers dans le détroit d’Ormuz, par où passent 25 pc des exportations d’hydrocarbures mondiales, et 80 pc des exportations destinées à l’Asie et principalement à la Chine. Récemment, un dirigeant d’Aramco s’est voulu rassurant et a expliqué au Financial Times que même si du pétrole et du gaz étaient produits en quantité loin des rives du Golfe, la région resterait essentielle pour le développement économique de la Planète.
Mais si, dans un proche avenir, le Golfe n’est plus pour les Etats-Unis ce lieu stratégique qu’ils ont défendu et à contrôlé depuis un demi-siècle, leur niveau d’engagement militaire pourrait y être remis en cause. Pour Washington, la perspective d’un retrait « à la britannique » — la fermeture des bases britanniques à l’est d’Aden, en 1971 — présente bien des avantages: la réduction de dépenses militaires extravagantes, l’éloignemenet de zones à risques, et surtout la fin d’un grand écart diplomatique qui dure depuis plus de 60 ans entre le soutien indéfectible à Israël, et l’appui à des régimes pétroliers qui refusent de faire la paix avec l’état hébreu. Et financent, en sous main, des organisations qui ont juré sa perte.
Cette évolution se ferait au détriment des rois, des émirs, et des princes qui comptent sur l’amitié indéfectible de l’oncle Sam pour résister à l’Iran, aux islamistes, et sans doute aussi aux tentations de démocratisation de leurs propres sujets, notamment les chiites saoudiens et bahreinis. Mais elle serait tout à fait en harmonie avec la stratégie »pivot to Asia », le virage vers l’Asie, annoncée depuis des mois par la Maison Banche. Pour le Pentagone, il s’agit de réorganiser la sécurité de l’Océan Indien, de la Mer de Chine méridionale, de le Mer de Chine orientale et de la mer du Japon, face à ce que les miitaires américains, mais aussi Taiwan, le Japon, et la Corée du sud, considèrent comme une nouvelle affirmation politique et sécuritaire des Chinois dans ces mers qui leur sont voisines.
Aujourd’hui, une rapide analyse établit que le déséquilibre des forces au large de l’Asie est toujours en faveur des Etats-Unis. Le programme internet qui permet de suivre les mouvements des portes-avions américains indique que quatre géants, le Nimitz, le Dwight Eisenhower, le John Sternning, et le George Washington, ont été à quai ou ont patrouillé dans la région sans discontinuer pendant les premiers mois de l’année, alors que l’unique porte-avions chinois, le Liaoning, vient à peine d’être livré et aura besoin de quelques années de préparation pour être opérationnel.
Il est donc encore temps d’éviter les rhétoriques belliqueuses, et de considérer avec réalisme les intérêts bien compris des différents protagonistes. Les Etats-Unis, gendarme tout puissant du Golfe et du sous-continent indien, régions devenues vitales pour la Chine, doivent éviter de voir comme un défi l’affirmation légitime des impératifs de développement chinois. Les deux géants doivent chercher cette semaine à Rancho Mirage, en Californie, des mécanismes de coopération, y compris militaires, pour assurer la paix d’une zone qui s’étend de la Mer Rouge à la Mer Jaune, en un arc maritime aux infinis dangers.