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Lettre ouverte à M. le Présent

Par Alainlasverne @AlainLasverne

 

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e vous demande de prendre des précautions. Il y a quelque chose de très difficile à écouter, entendre est une gageure, comprendre, un risque surhumain.

Ce que je dis là relève-t-il de la Culture, de la culture des éboulis, du vent qui passe sans message ou de l'insensé qui chancelle en pissant le long du mur ?...Je ne sais.

Je vous demande, donc, M. le Présent d'être là, juste là, mais bien assis ou bien attaché. Il pourrait vous venir des ébranlements dans vos certitudes.

Enfin, je ne suis rien de plus qu'un autre, c'est-à-dire un homme qui écoute ses entrailles, voit de la politique dans les rires et comprend le silence du soir dans la cité, à l'heure où l'on sent que le voisin n'est plus incontrôlable.

C'est bien que vous soyez là, encore. En buvant une bière ou deux, on se dit que ça fait longtemps qu'on ne vous a pas vu. Même les rues sont prêtes à partir dans tous les sens vers des quartiers qu'on ignore. Elles nous oublieront, qui sait, nous condamneront à l'impasse, l'ombre enclavée.

On vous disait parti. On vous disait trop occupé. On vous disait trop grand et important et officiel pour demeurer avec nous. Certains oiseaux aux ailes mécaniques prétendaient que vous aviez au contraire délaissé nos campagnes car on n'y marchait plus droit, on n'y vivait plus tout rond en ignorant l'au-delà cinq cent mètres. Certains mêmes disaient le pays tenté par l'avenir ou quelque chose qui le faisait fondre et pleurer par tous les bouts, comme si les larmes aidaient à bien garnir les heures et faire des tas jusqu'à demain, et pas des tas de projets. Et, donc, que ça vous avez peu plus, et même déplu, ces gens un pied dans la boue et l'autre dans le vide.

Alors, moi, je suis individu indivis. Oui, c'est tout à fait présent, hein...On se rejoint là-dessus. Mais je sais que moi je suis là tout juste, M. le Présent. Pas sûr, finalement, que c'est bien moi qui trace. Par contre certain que ça fait du bien d'aller son chemin dans ce grand blanc.

C'est un petit bout de moi qui vous parle. C'est bien vous, je le sais. Peut-être un petit peu de vous, mais juste en face de moi. Pas de brumes, pas de ravin, pas de brouillage, hein..Je me suis dit je ne sais trop quoi en vous écrivant. Que ça vous ferait du bien comme à moi, Et quand on est bien, on est vivant plus, comme les grenouilles en été, vous savez. Elles chantent en chœur.

Même si vous êtes parti loin, comme on vous écoutait pas, dites-vous bien qu'il y a de place pour vous encore, ici, maintenant. Mais ne tardez pas. On connaît la vie, on sait qu'elle a une fin. On sait qu'on a faim aussi. Vous êtes peut-être honteux avec toutes ces ombres à vos basques. Vous leur avez sucé la roue, comme ils disent dans cette cave à lumière sombre qui prétend que vous vivez dedans elle, que chaque jour à heure fixe c'est vous qui parlez à nous comme s'il n'y avait pas de distance en haut et en bas, et même entre nous, même si on s'aime un peu vous et nous.

D'accord, hein, vous revenez. On laisse partir ceux qui sont pas nés et ceux qui sont morts-nés. On s'occupe de nous, là tout de suite. On peut parler ensemble, côte à côte, comme de vrais individus indivis. On s'appelle personne et on parle attablé comme des humains qu'ils sont pareils et ensemble.

On oublie les faux-bonds, les lunettes à voir trouble et les mains tendues vers devant ou les poings dans le dos. Vous avez eu peur, vous vous êtes trompés, vous n'avez pas cru encore que vous existiez. La force c'est d'exister. Mais nous pareil, on n'existe pas demain ni hier, hein, c'est bête à dire, mais c'est si vrai. C'est juste remettre un bon coup de peinture sur les mots qui étaient vrais et qui sont devenus faux parce qu'on leur a trop dit qu'ils étaient vrais.

Revenez, quoi ! Je vais pas me déboutonner trop longtemps pour vous appeler, j'aurais l'air de quoi. Un vieux con qui appelle son ombre. Je sais bien qu'il n'y a d'ombres que dans le vide. C'est un grand vide, allez, je vous dois bien ça. Un grand vide que vous laissez. Il se remplit pas, ce putain de vide. On a même plus l'envie d'y mettre des trèfles à quatre feuilles ou des cœurs en papier avec des initiales dessus. Il nous mange, ce vide qui est votre image sépia. Résultat on maigrit, on finit peu les fins de mois, on a même pas la place de travailler. Parce que les heures aussi, elles se croient tout permis, elles filent vers quelque endroit où on empile les heures. A quoi bon, hein.

Juste un peu de vous, on voudrait, tous les copains qui marchent à dos d'homme le disent. Bien sûr, il y a les autres qui ont mis du tissu et du métal sur eux et entre eux, ils veulent pas de vous. Mais c'est juste des individus. Personne ne vit en-dehors, en vrai. Ils sont perdus et mal. Mauvais, traversés par une ombre qui les pourrit. Moi, je veux pas savoir ce que c'est cette mauvaise qui s'active.

Ils appellent demain, eux. Ils appellent à leur fenêtre sans rideaux, du fond de leurs grottes plantés sur du sable. Ils s'habillent avec paillettes et rubans, se mettent la lumière au-dessus de leur tête. Mais quand ils hurlent, ils ne convoquent même pas la lune. On les voit tomber de leurs fenêtres au matin et fuir, piteux et démembrés.

Vous êtes là, hein. Je sais votre palais au milieu de la Terre. C'est pas un palais, hein. Ou ça compte pas. Vous êtes une personne dans un palais. Vous êtes, vous dans une vraie maison à habiter, avec des gens autour pareil à vous. Ça fait si longtemps qu'on vous raconte à votre place, qu'on vous imite que, parfois, je me sens partir vous comprenez.

Alors, arrêtez maintenant de faire l'absent et revenez, hein.


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