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Syrie, gaz et droit international

Publié le 07 juin 2013 par Egea
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La campagne de presse menée par Le Monde cette semaine, au sujet du gaz syrien, est surprenante. Qu'il soit bien clair que ce billet ne vise pas à absoudre le régime syrien des crimes de guerre qu'il commet depuis maintenant plusieurs mois. De même, je le crois fort capable d'utiliser des "gaz" dans les affrontements armés. Il n'en reste pas moins que l'enquête publiée suscite beaucoup de remarques.... Et pour être tout à fait clair, si on se place du côté du droit, il y a beaucoup de "maladresses" dans cette campagne.

Syrie, gaz et droit international
source : le premeir article du Monde sur le sujet

1/ Nous avons déjà signalé la mise en scène photographique qui a illustré cette enquête. Qu'elle impressionne l'opinion publique est une chose, mais un œil un peu averti a du mal à ne pas y voir une mise en scène. Certains lecteurs d'égéa ont commenté la chose, d'autres m'ont envoyé des mèls... Mais après tout, une photo n'est pas une preuve.

2/ Sur le rôle des journalistes qui prennent "parti", on pourra également s'interroger. Je ne crois pas que les prochains journalistes qui iront sur les zones de combat seront accueillis comme des "témoins impartiaux qui viennent rendre compte de ce qu'ils voient", et ne seront pas soupçonnés d'être des agents à la solde d'intérêts "étrangers". Je ne mets pas en cause ici leur bonne foi. Je questionne simplement les conséquences qui seront tirées. Autrement dit encore, arriver avec une carte de presse du Monde ne sera plus, comme cela pouvait être autrefois, un sauf-conduit. (l'actualité me rattrape : en écrivant ce billet, j'apprends la disparition de deux journalistes français en Syrie... du côté des rebelles, d'ailleurs).

3/ Passe encore la façon dont les éléments de preuve ont été rassemblés, le compte-rendu de J.-Ph Rémy ne cache pas les difficultés, les imprécisions, les obstacles : là encore, il ne s'agit pas de mettre sa bonne foi en doute, mais simplement de noter que cela ne saurait, nulle part, consister en une "preuve" devant n'importe quel tribunal...

4/ Il y a ensuite plusieurs aspects : techniques, juridiques, médiatiques, géopolitiques.

5/ Techniquement, il semble bien que le gaz employé ne soit pas du sarin pur, mais probablement des doses incluses dans des gaz "de maintien de l'ordre". Le sarin pur provoque en effet des morts immédiates. Il est probable qu'il s'agit là de tester la fameuse ligne rouge dressée par le président Obama au début de l'année, alors que le régime syrien reprend peu à peu l'avantage. Une manière de tester le dispositif avant la "conférence internationale" qui doit se tenir... un jour.

  • Au passage, le laboratoire de la DGA est-il un laboratoire d'analyse bio-médicale ? ceci est très surprenant, et on aurait plutôt attendu les conclusions d'un laboratoire dépendant du service de santé des armées.....

6/ Juridiquement, à propos de la convention sur les armes chimiques, "La Syrie n'a jamais ratifié cette convention mais elle a ratifié le protocole de Genève qui comporte un engagement moral à ne pas utiliser d'armes chimiques dans un conflit armé." (cité par Le Monde himself).

  • Accessoirement, et comme cela déjà été signalé sur égéa, un Etat a le droit d'utiliser des gaz de maintien de l'ordre à l'intérieur de son pays : or, selon le point de vue de la Syrie, c'est bien ce dont il s'agit : un conflit intérieur, non un conflit international. Autrement dit encore, on n'entre pas là dans le cadre du droit des conflits armés, me semble-t-il...
  • L'état français, signataire de la convention et, il le rappelle 5ème contributeur du budget de l'agence, pourrait surtout soutenir une procédure "opposable" telle que scrupuleusement établie par l'OPCW : la France devait demander à l'organisation de dépêcher des experts pour recueillir des "échantillons authentiques", lesquels peuvent être physiologiques. (voir la onzième partie de l'annexe sur les vérifications, annexe à la convention).

7/ Médiatiquement : Estimer que puisque la voie légale ne marche pas et qu'il faut faire "autre chose" est une option, c'est celle que choisit Le Monde. Cela étant, nous avons tous le souvenir de Colin Powell agitant un flacon aux NU en 2003.... et nous nous sommes tous jurés (et Le Monde aussi à l'époque) que nous ne partirions plus en guerre sans des preuves irréfutables et juridiquement opposables. Les preuves fournies par le Monde ne sont pas irréfutables, elles visent donc à peser sur une diplomatie. De ce point de vue, cela a marché (à court terme) puisque la France déclare être convaincue de l'utilisation de gaz par le régime syrien, suivie en cela par la Grande-Bretagne. Notons que cela gêne non seulement le président américain (c'était peut-être le but recherché) mais aussi l’unité européenne, puisque les autres pays européens ne sont pas sur cette ligne (pas plus qu'ils n'étaient d'accord avec FRUK sur la levée de l'embargo).

  • Toutefois, la grosse caisse se déploie sans cesse. S'étonnera-t-on si les consommateurs croient de moins en moins les médias
  • Enfin, comment ne pas s'étonner que l'arrestation, en Turquie, de quatre militants d'Al Nosra (des rebelles, donc) porteurs de plusieurs kilo de sarin, ne suscite qu'un petit entrefilet totalement négligé ... (voir ici, puisque je ne le retrouve même pas sur le site du Monde)

8/ Géopolitiquement, le résultat le plus immédiat a été le report de la conférence internationale à juillet. La France et le Royaume Uni, qui veulent à tout pris "revenir dans la course" au règlement n'ont, de ce point de vue, pas forcément marqué des points. Pendant ce temps, Le pouvoir syrien a repris la localité de Qoussair. Autrement dit, cela aura surtout servi à cantonner la position française dans un coin de l'échiquier (à supposer qu'elle soit encore sur l'échiquier, en fait).

Bref, tout ceci n'est pas très convaincant.

O. Kempf


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