La crise que traverse actuellement la zone euro a donné lieu à une flambée de théories du complot plutôt saugrenues.
Par Fabio Rafael Fiallo.
Attribuer les déboires économiques à des forces obscures opérant en coulisses a toujours eu son charme et ses adeptes en Europe. Mentionnons en guise d’exemple les invectives lancées par le Général de Gaulle contre ce qu’il appela les « gnomes de Zürich », autrement dit les marchés financiers, coupables à ses yeux des difficultés du franc français dans les années 60 du siècle dernier.
La crise que traverse actuellement la zone euro a donné lieu à une flambée de théories du complot plutôt saugrenues.
Au départ de la crise, faut-il le rappeler, se trouve le fait que la dette souveraine des pays de la « périphérie » de la zone euro (Europe du Sud) avait atteint des niveaux permettant de douter de leur solvabilité. Tout naturellement, craignant ne jamais recouvrer leur capital, les investisseurs internationaux augmentèrent considérablement les taux d’intérêt qu’ils demandaient pour continuer à prêter aux gouvernements de ces pays.
Mais les tenants des théories du complot voyaient le problème autrement. Pour eux, la crise avait son origine dans un pervers désir, de la part de forces agissant en coulisses, d’assujettir les pays de l’Europe du Sud, voire l’ensemble de la zone euro.
Parmi les partisans de cette interprétation on trouvait des figures de taille, comme le Premier Ministre grec au moment du début de la crise, George Papandreou, et en France la présidente du Medef, Laurence Parisot. Et ils ne furent pas les seuls, tant s’en faut, à soutenir ce point de vue.
Preuve flagrante de la conspiration selon les théoriciens de complots : les marchés s’étaient mis à vendre à découvert des euros, poussant à la baisse la valeur de la monnaie unique. Et si les marchés agissaient de la sorte, d’après cette école de pensée, ce n’était pas parce qu’ils anticipaient des moments difficiles pour cette devise à cause des turbulences autour de la dette souveraine de nombre de pays de la zone, mais parce que ces marchés avaient le désir sournois de faire couler l’euro.
Curieusement, parmi ceux qui dénonçaient un stratagème inavouable visant à pousser l’euro à la baisse, il y en a beaucoup qui aujourd’hui plaident justement en faveur de la dépréciation de l’euro en tant que moyen de rendre plus compétitifs les produits de la zone.
C’est à y perdre son latin. Comment les marchands de complots peuvent-ils vitupérer des mois durant contre les ventes à découvert de l’euro parce que cela pousse cette monnaie à la baisse, alors qu’ultérieurement, quand il fut question de proposer des solutions à la crise, beaucoup d’entre eux se mirent à plaider pour une dépréciation de l’euro ? Comment se fait-il, alors qu’hier ils dénonçaient l’existence d’un plan perfide pour faire couler la valeur de la monnaie unique, ils accusent maintenant la Banque centrale européenne de ne pas faire baisser la valeur de l’euro vis-à-vis des autres devises ?
Quoi qu’il en soit, les efforts de rigueur budgétaire menés par les pays endettés, avec le soutien financier du Mécanisme européen de stabilité, ont dans une certaine mesure redonné confiance aux marchés. Les pressions sur l’euro se sont ainsi atténuées.
Les marchands de complots ont-ils abandonné leurs théories ? Eh non. Ils ont tout simplement changé de cible.
La conspiration ne viserait plus à détruire la monnaie unique mais à démanteler le « modèle social » européen, et ce au moyen de politiques d’austérité « criminelles », « sadiques », que l’on impose aux pays de la périphérie de la zone.
Mais quel intérêt y aurait-il à démanteler le « modèle social » ? Les marchands de complots ont une réponse toute faite : le but serait de forcer à privatiser les systèmes de retraite et autres prestations sociales (assurance maladie), et ce au profit des fonds de pensions privés et des grandes sociétés d’assurance.
Une telle argumentation ne tient pas debout. Si les comptes publics des pays endettés se maintenaient en déficit, les retraites par répartition et la sécurité sociale ne pourraient plus être fournis par l’État. Aussi redresser les comptes publics est-il le moyen de sauver les prestations sociales financées par l’État.
Ce qui peut conduire le « modèle social » européen à la banqueroute, ce n’est pas la rigueur mais le laxisme budgétaire.
Audace ultime des marchands de complots : ils prétendent nager à contrecourant, se présentant comme les pourfendeurs de la pensée dominante (« conventional wisdom » en anglais).
Or, en réalité, s’il y a quelque chose qui représente la pensée dominante en économie aujourd’hui dans le monde, c’est moins les politiques d’« austérité » que son contraire, à savoir : les politiques de relance mises en place par le président Obama aux USA et le premier ministre Shinzo Abe au Japon, ainsi que l’usage de la planche à billets ou assouplissement monétaire (« quantitative easing ») pratiqué par les banques centrales des États-Unis et du Japon.
Loin de s’opposer à la pensée dominante, les marchands de complots sont en phase avec celle-ci.