Les filles de l'ouragan de Joyce Maynard en poche !

Par Theoma

Ruth, Dana et le tourbillon de la vie.

C'est un beau roman. Les non-dits, les secrets de famille qui anéantissent lentement. Joyce Maynard possède le talent des écrivains qui, sans artifice, réussissent à en dire beaucoup avec peu. L'air de rien, les mots s'insinuent progressivement pour résonner avec force.

J'ai aimé suivre ces deux femmes, Ruth et Dana, percevoir leur vision des éléments, leur compréhension du monde qui les entoure, assister à l'évolution de leur parcours. Les personnages sont intenses, la maîtrise narrative bluffante, parce que même si on pressent les évènements, la claque est réelle.

Un roman contemporain doux-amer à ne pas manquer. La famille... ces situations déchirantes qui passent pour banales à force d'être ignorées. Le besoin de reconnaissance, d'être aimé de ses parents, qu'importe son âge. C'est aussi une belle histoire sur l'amour de la terre, sur cette sensation grisante de semer la vie, de laisser une trace de son passage.

Oui, beaucoup de choses sont dites dans Les filles de l'ouragan. Et avec élégance.

10-18, 360 pages, 2013, traduit de l'anglais par Simone Arous

Extrait

« Mon père me disait que j'étais un bébé de l'ouragan. Cela ne signifiait pas que j'étais née au cours d'un ouragan. Le jour de ma naissance, le 4 juillet 1950, se situe bien avant la saison des ouragans.

Il voulait dire que j'avais été conçue pendant un ouragan. Ou dans son sillage.

«Arrête ça, Edwin», intervenait ma mère chaque fois qu'elle le surprenait à me raconter cette histoire. Pour ma mère, Connie, tout ce qui avait à voir avec le sexe ou ses conséquences (à savoir ma naissance, ou du moins le fait de relier ma naissance à l'acte sexuel) ne pouvait être un sujet de discussion.

Mais quand elle n'était pas là, il me racontait cette nuit où il avait été appelé pour dégager la route d'un arbre abattu par la tempête, il me décrivait la pluie battante, le vent impétueux. «Je n'ai pas été comme mes frères faire la guerre en France, disait-il, mais j'ai eu l'impression de livrer une bataille, en luttant contre ces bourrasques qui soufflaient à cent cinquante kilomètres à l'heure. Et là il se passe une chose bizarre. Craint-on vraiment pour sa vie dans des moments pareils ? Mais c'est à de tels moments que l'on se sait vivant.»

Il me racontait cette pluie qui s'abattait si violemment sur la cabine du camion qu'il n'y voyait plus rien, comme son cœur battait fort alors qu'il progressait dans l'obscurité, et ensuite - exposé au déluge, il coupait l'arbre et dégageait les grosses branches sur le bord de la route, ses bottes lourdes de pluie s'enfonçaient dans la boue, ses bras tremblaient.

«Le bruit du vent avait quelque chose d'humain, se souvenait-il, comme le gémissement d'une femme.»

Plus tard, me remémorant la façon dont mon père me racontait cette histoire, je me rendis compte que les mots qu'il utilisait pour décrire la tempête auraient aussi bien pu évoquer un couple faisant l'amour. Il imitait le bruit du vent, et je me jetais contre sa poitrine pour qu'il me protège de ses bras puissants. Je frémissais rien qu'à l'idée de ce qu'avait dû être cette nuit.

Pour une raison que j'ignorais, mon père se plaisait à me la raconter - pas à mes sœurs ni à notre mère, mais à moi, son unique public. Bon, il y avait peut-être une raison. J'étais sa fille de l'ouragan. Sans la tempête, aimait-il à dire, je ne serais pas là.

J'étais née neuf mois plus tard, au jour près, à la maternité du Bellersville Hospital, en pleine Fête nationale, juste après la fin des premières moissons et alors que les fraises étaient à leur apogée. »

(J'annonce les sorties poches des livres que j'ai aimé, celui-ci a déjà été chroniqué ici.)