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Comme en 1936, la dissolution des groupes fascistes s’impose

Publié le 13 juin 2013 par Lepinematthieu @MatthieuLepine

Actes islamophobes, agressions homophobes, crime politique dans les rues de Paris, de violents groupes d’extrême droite font régner depuis quelques années un climat de terreur dans de nombreuses villes de France. Jean-Luc Mélenchon et le Front de gauche demandent depuis plusieurs mois¹ la dissolution de ces groupuscules fascistes et antirépublicains. La mort tragique de Clément Méric semble avoir convaincu le gouvernement. Cependant, certains jugent cette solution inutile et inefficace. Il est évident qu’un tel dispositif ne fera pas disparaitre la haine. L’expérience de 1936 permet malgré tout de démontrer l’efficacité de cette méthode.

 

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La menace des ligues fascistes dans les années 30

Dans les années 30, la crise économique, sociale et politique qui touche l’Europe, s’accompagne d’une montée des groupes fascistes. En France, ceux-ci prennent la forme de ligues, souvent composées de milices paramilitaires. Croix de Feu, Ligue d’Action française, Parti Franciste, Camelots du roi, ces organisations d’extrême droite prônent la haine et l’antiparlementarisme.

Elles profitent de la situation de crise et du mécontentement du peuple pour diffuser leurs idéologies fascistes, antisémites, ultra-catholiques, anticommunistes ou encore monarchistes. Elles vont mener durant l’entre-deux guerres des actions violentes dans toute la France. La plus célèbre d’entre elle, reste la tentative de coup d’Etat de 1934.

Le 6 février 1934, une grande manifestation antigouvernementale est organisée à Paris. Près de 30 000 personnes sont présentes dans les rues de la capitale. Parmi elles, les ligues d’extrême droite, accompagnées de leurs milices. Clairement antirépublicains ces militants n’ont qu’un souhait, renverser le pouvoir en place. L’insurrection débute à la fin du rassemblement. Une partie des milices armées décident alors de s’attaquer à la Chambre des députés (Assemblée nationale).   Les affrontements violents qui les opposeront à la garde républicaine feront une dizaine de mort et plus d’un millier de blessés.

Face à la menace des ligues fascistes et à la violence de leurs actions, la République et plus particulièrement la gauche, socialiste et communiste, va réagir.

La dissolution des ligues et de leurs milices

Le 16 novembre 1935 à Limoges, un militant de gauche trouve la mort après un affrontement avec  des membres des Croix de Feu. Cet événement sanglant, provoque un débat à la Chambre concernant les milices paramilitaires. Plus que le désarmement, c’est la dissolution de ces groupes armés qui est votée le 6 décembre. Impulsée par l’opposition de gauche, et notamment par Léon Blum, l’élimination des ligues fascistes, est alors en marche.

Un mois plus tard, le 10 janvier 1936², les députés votent purement et simplement une loi permettant la dissolution de ces groupes d’extrême droite menaçant la République. Plusieurs critères³ sont alors édictés, afin de définir le cadre légal des dissolutions à venir (provocation à des manifestations armées, atteinte à l’intégrité du territoire…).

Les premières ont lieu le 13 février 1936. En fin de matinée, plusieurs membres de la Ligue d’Action française tentent de lyncher Léon Blum4 en plein Paris. Trainé hors de sa voiture, le député socialiste s’en sort finalement avec de sérieuses blessures à la tête. Cette agression violente, va conduire le ministère de l’intérieur à décréter dans les heures qui suivent la dissolution de plusieurs ligues (Ligue d’Action française, Camelots du Roi…).

Arrivé au pouvoir en juin, le Front populaire emboite le pas et met fin au Parti Franciste ou encore aux Croix de feu.

L’utilité de la dissolution des ligues 

Pour François Bédarida, les effets des différentes dissolutions sont « considérables ». Elles mettent fin définitivement aux ligues. Certaines d’entre-elle se reconvertiront certes en partis politiques, mais leur influence sera minime.

 «  La dissolution des ligues, ordonnée dès juin 1936 par le gouvernement du Front populaire, donne naissance à des partis nationalistes, radicaux qui ajoutent à leur programme politique des préoccupations sociales destinées à attirer les masses.

La dissolution des Croix-de-Feu conduit le colonel de La Rocque à créer le Parti social français qui (…) accentue son attitude légaliste, acceptant désormais la République et se proposant de parvenir au pouvoir en jouant le jeu légal des institutions (ce que la gauche voit cependant comme une ruse pour séduire les électeurs).

La transformation en partis politiques des autres ligues, Jeunesses patriotes ou Francisme, ne donnera naissance qu’à des petits groupes sans véritables audience dans l’opinion »5.

A la différence de bon nombre de nos voisins (Espagne, Italie, Allemagne…), la France ne verra pas le fascisme prendre le pouvoir dans les années 30. Elle le doit très certainement en partie à ces dissolutions.

Certes, les mesures prises entre 1935 et 1936 ne feront pas disparaître la haine, l’antisémitisme ou la violence, mais elles porteront des coups sévères aux les ligues, sèmeront le trouble dans leur rang, les désorganiseront et les affaibliront de façon significative.

Pourquoi dissoudre aujourd’hui les groupuscules d’extrême droite ?

Le contexte actuel n’est pas celui des années 30. Cependant personne ne peut nier que depuis quelques années et plus particulièrement ces derniers mois, la France est violemment touchée par l’action des groupuscules d’extrême droite.

La mort de Clément Méric n’est pas un acte isolé, elle est venue révéler une réalité bien présente sur notre territoire. Un grand nombre de groupuscules organisés et composés de services d’ordre violents agissent chaque jour dans nos quartiers, dans nos rues.

Ces organisations qui prônent la haine de l’autre (homophobie, islamophobie, antisémitisme…) sont connues. Les dissoudre, c’est fermer leurs locaux, faire disparaitre leurs sites internet, leurs blogs, leurs comptes sur les réseaux sociaux, les empêcher de manifester sur la voie publique, les sanctionner financièrement en cas de non respect de la loi…

Tant de dispositions qui permettront de les désorganiser, de briser leur élan, de ralentir leur développement et surtout d’entraver la diffusion de leurs idées.

Cependant, les dissolutions ne feront pas tout. La dédiabolisation du Front national et la marginalisation de son discours, dont les médias et une partie de la classe politique sont responsables, ont indéniablement joué un rôle dans l’essor de ces groupuscules.

La lutte contre l’extrême droite n’est donc pas seulement judiciaire, elle est aussi politique. Cette lutte, nous devons la mener chaque jour, sur nos lieux de travail, sur les marchés, dans nos repas de famille, sur internet, dans les médias… Pas un centimètre carré ne doit être cédé à la haine !

 

¹ En octobre 2012, Jean-Luc Mélenchon demandait par exemple la dissolution de Génération identitaire qui appelait à la « reconquête » et avait  occupé le chantier d’une futur mosquée à Poitiers. En novembre, Ian Brossat, président du groupe PCF-PG au Conseil de Paris, réclamait quant à lui la dissolution de Civitas après l’agression de journalistes et de militantes des Femen à Paris.

² Une loi mise à jour à plusieurs reprises depuis 1936 (1972, 1986,1992) qui fait aujourd’hui partie du Code de sécurité intérieure.

³ En 1972, la provocation à la discrimination, à la haine et à la violence est rajoutée parmi les critères de dissolution.

4 L’Action française se posera en victime dans cette affaire, prétextant que le véhicule de Blum s’était rué sur la foule (une attitude qui n’est pas sans rappeler celle des JNR suite à la mort de Clément Méric). Les ligueurs iront même jusqu’à affirmer avoir sauvé le leader socialiste de la vindicte populaire en s’opposant aux manifestants les plus violents… (Lacouture Jean, Léon Blum, Seuil, 1977)

Serge Berstein, Pierre Milza, Histoire de la France au XXe siècle: 1930-1945, 2003


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