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Le plus beau jour de pêche de ma vie

Publié le 16 juin 2013 par Ziril

Comme c’est la fête des pères et que ce truc est un joyau, je me suis dit qu’il fallait le ressortir des archives de 2008 pour tous ceux qui ne l’auraient pas lu…. CK

D’aussi loin que je me souvienne, avec mon père, ça a toujours été le pugilat, verbal.

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 Je crois que ce qui le défrisait surtout, était l’indifférence que j’affichais pour la passion de sa vie : le Parti Communiste. Ça, il ne pouvait pas l’accepter. Ensuite, sur la liste des « trahisons » venait mon émigration à New York. « Le territoire de l’ennemi » et, pour couronner le tout, mon mariage avec une « Capitaliste ». Ça, c’était la cerise sur le gâteau ! Nous ne manquions jamais, mon père et moi, de trouver n’importe quel prétexte fallacieux pour déterrer la hache de guerre? Pour ça, nous étions champions. Nous démarrions, lui et moi, au quart de tour. Ma bonne mère essayait bien de calmer l’ouragan: « Pourquoi pas une bonne tasse de café et des biscuits à la pâte d’amande ? » proposait-elle avec fourberie, à fin de limiter les dégâts. Rien ne marchait, rien n’aurait pu arrêter ces avalanches de slogans définitifs et ces tapages de poings sur la table de la salle à manger. N’importe quel sujet était un bon sujet pour remonter nos manches. Un jour, même, il il m’entreprit sur le thème « La Marijuana, c’est l’Opium du Peuple » ou quelque chose dans ce goût là.

-Au fait, lui demandais-je, passablement énervé, as-tu déjà fumé un joint, dans ta vie ?

-…euh…non…pourquoi ?

- Donc tu ne sais pas de quoi tu parles ?!

Ce n’est même pas le peine de gaspiller de la salive ! Répliquais-je avec toute la mauvaise foi dont je suis capable (je suis le Roi de la mauvaise foi !).

Quelques années plus tard, mes parents avaient pris leur retraite à Golfe Juan, sur la Côte d’Azur. Mon père avait un petit bateau de pêche ancré au port…La belle fin de vie.

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 Cette visite que je leur rendis ce jour là, je ne suis pas prêt de l’oublier. C’était à  la fin d’une journée caniculaire de Juillet. Trop étouffante pour rester une minute de plus enfermé dans l’appartement.

- On irait pas faire une petite partie de pêche ? Me proposa mon père, en s’essuyant le front avec son mouchoir.

- Jamais de refus !

Une demie-heure plus tard, ancrés à seulement deux cent mètres de la plage, nous nous trouvions comme des marins d’eau douce, assis l’un en face de l’autre, une canne à la main. On a tout essayé…les moules, les vers, les piades, ces sortes de Bernard-l’Hermite dont les poissons, d’habitudes, raffolent. Pas une seule touche. Pas l’ombre d’une girelle, pas l’arrête d’un saran ou d’un rouquier, le désert de Gobi… Au bout d’une heure de ce jeu idiot, mon père posa sa canne, entra dans la cabine du bateau et en ressortit avec une vieille boite de pastilles Pulmoll qu’il ouvrit délicatement. Au fond, enveloppé dans du papier de chocolat se trouvait…un morceau de haschich.   La vache ! Comment il avait fait pour se procurer cet interdit, tient toujours du mystère. À soixante dix ans, je vous garantie que mon père n’avait rien d’un hippie. Toujours cravaté et costume…même à la pêche

- Bon, toi qui connais – me fit-il-…tu roulerais pas un joint ?  Sûr que je devais ouvrir des yeux de merlan frit, une drôle de bobine…

- Euh…bien sûr..euh…t’aurais pas du papier à rouler ?

Mon père jusqu’à la fin de sa vie, du matin jusqu’au soir, avait pour habitude d’empester la maison avec ce tabac « Caporal » qui lui servait à fabriquer ses cigarettes. Ma mère avait beau rouspéter, rien n’y faisait. Du papier à rouler ?  C’est pas ce qui manquait ! En m’appliquant comme je peux, je me mets à rouler ce joint;  un joint important; un joint capital. Le dernier de ma vie, en fait… Pendant ce temps, mon paternel range les cannes et sort de l’habitacle deux coussins douteux, puants le gas-oil et le poisson, et « son » transistor crachotant, dans lequel il introduisit une cassette et nous voilà tous les deux, les deux ennemis de classe, à téter ce joint à tour de rôle, allongés sur les plats bords du bateau, bercés par les clapotis de l’eau sur la coque et la symphonie numéro machin de Beethoven (il adorait Ludwig, mon père !) . Le soir commençait de tomber doucettement sur le père et son traître de fils, complètement défoncés, riants comme deux imbéciles heureux. Ce fût la première et la seule fois où nous fûmes VRAIMENT ensembles.

Il avait plus de soixante dix ans, j’en avais trente cinq passé et, ce moment de magie, le plus beau jour de pêche de ma vie. Je ne suis pas prêt de l’oublier.

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