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La vie n'est pas si grise, finalement.

Publié le 16 juin 2013 par Francisbf

Il est des moments dans la vie d'un homme où il regarde derrière lui et se dit que franchement, pfff, quoi. Puis il regarde autour de lui et là, c'est pas mieux. Assis devant son clavier, il pousse un soupir chargé de vapeurs de coca et de kebab et se dit ralala, non mais franchement, pfff, quoi.

Peut-être a-t-il une bonne raison de se dire cela et de pousser un gros soupir. Peut-être voit-il arriver au galop la fin de son contrat, peut-être s'y est-il pris vachement tard pour essayer de vendre son mobilier avant de rentrer vivre, à vingt-neuf ans passés, chez papa-maman et se sent-il piégé par sa commode Ikéa trois tiroirs, sa bibliothèque Billy dont il a fixé le fond à l'envers (ce qu'il a cherché à planquer derrière un tas de bouquins et de bande-dessinés de bon aloi) et sa table en bois. Peut-être a-t-il négligé de répondre à des offres d'emploi en se disant que de toute façon, pffff, à quoi bon de toute façon il est nul et il saura pas faire ces trucs et en plus ç'a même pas l'air intéressant. Peut-être se doute-t-il qu'il ne trompe personne en écrivant à la troisième personne du singulier.

Mais toutes les bonnes raisons du monde ne sauraient suffire à ébranler cette tour d'acier à toute épreuve qu'est son optimisme béat en sa bonne étoile. Et l'homme relève la tête, et va sur facebook, et se dit qu'il va crier à la face du monde qu'il n'est pas battu, qu'il est encore là, malgré les épreuves, malgré sa commode et sa table en bois, et que rien ne saurait l'empêcher d'être encore là demain, et après-demain, et les jours suivants !

Mais rien ne vient ; et la tour d'acier commence à branler sous les coups de boutoir du manque d'inspiration.

L'homme baisse la tête, vaincu.

Et contemple ses pompes.

Elles sont marrons, comme toutes ses pompes depuis qu'il a l'âge de choisir autre chose que des tennis blanches. Elles sont usées, parce qu'il les porte depuis pfiou. Au moins. Il les avait déjà au Sénégal, c'est dire. Avant son contrat qui s'achève. Qu'il a trouvé neuf longs mois après son retour du Sénégal. Et c'est déjà fini. Et il va devoir trouver quelqu'un à qui fourguer sa commode et sa bibliothèque et sa table et ses chaises.

Un sanglot monte dans sa gorge.

Et se brise.

Car il a remarqué un détail qui lui était sorti de la tête. Son regard, brouillé par les larmes, a perçu une raison d'espérer. La preuve de sa valeur. Le témoignage inaltérable de ses capacités.

Ses lacets.

Car oui, depuis ce qui lui semble la nuit des temps, l'homme avait des lacets trop longs à ses chaussures, il marchait tout le temps dessus, il râlait, il faisait pffff mais bon sang c'est pas vrai ces lacets franchement quoi, et il se penchait, et il se disait oups, on va voir ma raie des fesses, et il allait trouver un banc pour poser son pied et avoir à moins se baisser, et il refaisait ses lacets, avec des grandes boucles pour pas que ça traine trop.

Mais l'avant-veille, il avait pris un grand couteau, et tranché ces saletés de lacets qui avait encore fait un nœud super serré, mais encore plus que d'habitude. Puis il avait mis des chaussures de randonnée encore plus vieilles que celles sans lacets, et il était allé manger avec son petit papa et sa petite maman au resto libanais, et il était allé ensuite au bazar acheter de l'anti-fourmi et des lacets neufs.

Et ces lacets neufs, il les a maintenant sous les yeux, dans les œillets de ses chaussures marrons qui lui ont causé tant de peines et de tracas.

Ils sont parfaits. Pile-poil à la bonne taille pour pas marcher dessus quand il marche. Tellement parfaits qu'il n'y avait même pas fait attention de toute la journée, tellement il n'a pas marché dessus.

Voilà une raison d'espérer. Voilà un haut fait à clamer à la face du monde. Voilà un statut facebook pas geignard à poster.

Mais maintenant qu'il a posté son statut facebook, que des gens y ont répondu, il se sent coupable. Coupable, parce qu'il n'a fait qu'un statut facebook de ce qui pouvait largement faire une note de blog, blog qu'il délaisse depuis de longues semaines.

Alors, il lance son logiciel de traitement de texte et se lance. Avec confiance. Il sait qu'il arrivera à faire une note de blog.

La vie n'est pas si grise, finalement.


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