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La novlangue, l’homophobie, les gogos

Publié le 17 juin 2013 par Cdsonline

La novlangue, l’homophobie, les gogosJaquette réalisée par Adrien Christian Martin, cours d'art graphique, e-artsup 2012

"Ne voyez-vous pas que le véritable but de la novlangue est de restreindre les limites de la pensée ?
À la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer.
Tous les concepts nécessaires seront exprimés chacun exactement par un seul mot dont le sens sera rigoureusement délimité.
Toutes les significations subsidiaires seront supprimées et oubliées.
Déjà, dans la onzième édition, nous ne sommes pas loin de ce résultat. Mais le processus continuera encore longtemps après que vous et moi nous serons morts.
Chaque année, de moins en moins de mots, et le champ la conscience de plus en plus restreint.
Il n’y a plus, dès maintenant, c’est certain, d’excuse ou de raison au crime par la pensée.
C’est simplement une question de discipline personnelle, de maîtrise de soi-même.
Mais même cette discipline sera inutile en fin de compte.
La Révolution sera complète quand le langage sera parfait.
Le novlangue est l’angsoc et l’angsoc est le novlangue, ajouta-t-il avec une sorte de satisfaction mystique.
Vous est-il jamais arrivé de penser, Winston, qu’en 2050, au plus tard, il n’y aura pas un seul être humain vivant capable de comprendre une conversation comme celle que nous tenons maintenant ? (…)

Les prolétaires ne sont pas des êtres humains, dit-il négligemment.
Vers 2050, plus tôt probablement, toute connaissance de l’ancienne langue aura disparu.
Toute la littérature du passé aura été détruite.
Chaucer, Shakespeare, Milton, Byron n’existeront plus qu’en versions novlangue.
Ils ne seront pas changés simplement en quelque chose de différent, ils seront changés en quelque chose qui sera le contraire de ce qu’ils étaient jusque là. Même la littérature du Parti changera.
Même les slogans changeront.
Comment pourrait-il y avoir une devise comme « La Liberté, c’est l’esclavage » alors que le concept même de la liberté aura été aboli ?
Le climat total de la pensée sera autre.
En fait, il n’y aura pas de pensée telle que nous la comprenons maintenant. Orthodoxie signifie non-pensant, qui n’a pas besoin de pensée. L’orthodoxie, c’est l’inconscience."
George ORWELL, 1984. Traduction de Amélie AUDIBERTI, Éditions Gallimard, Folio, Paris, 2008 (pp. 74-75)

Le fascisme se reconnaît en premier lieu dans l'instrumentalisation de la langue qui, sous couvert des meilleures intentions du monde, par exemple l'établissement d'une égalité de droits civiques, est en vérité une manipulation idéologique liberticide puisque son but est d'"évacuer" le sujet, le sujet qui parle, le sujet qui souffre, le sujet qui jamais ne se résume aux histoires qu'il peut se raconter sur lui-même et sur le monde, autrement dit le sujet de l'inconscient, le sujet de la psychanalyse, celui dont l'émergence ne peut avoir lieu QUE parce que le différence sexuelle est RÉELLE (c'est à dire impossible à articuler en termes symboliques, signalant un écart, un vide, un trou…)

Les mauvais philosophes essaient de boucher les trous de l'univers avec les pans de leur robe de chambre, les journalistes, les "politologues", les psychologues, les "scientifiques" etc. les propagateurs ultra-majoritaires du discours universitaire ne se rendent même pas compte que c'est la vacuité de leur propre existence qu'ils essaient de combler avec leurs approximations logiques, leurs pseudo-concepts et la platitude convenue de leurs énoncés.

Ce qui importe dans le concept de novlangue, c'est son aspect instrumental, qu'elle soit considérée comme un objet que l'on peut manipuler, alors que dans la théorie psychanalytique authentique, subversive, révolutionnaire, elle manifeste l'ordre symbolique qui détient le secret de la place d'où le sujet est toujours lui-même déjà parlé...

Dans la perspective freudienne, l'homme c'est le sujet pris et torturé par le langage. Après la lecture freudienne de Lacan, la psychanalyse peut être considérée comme la science du langage où est pris le sujet. La science du particulier donc. Il n'y a pas d'autre universel que cet universel là, l'universel singulier.

La seule lutte contre les totalitarismes qui soit valable aujourd'hui c'est celle qui prend la défense de cet universel singulier. À notre époque, la lutte passe par le rejet de la Gender Theory et la réaffirmation du RÉEL de la différence sexuelle, qui est la "mère" de toutes les différences. (cf. http://www.valas.fr/Christian-Dubuis-Santini-1984-c-est-maintenant,313 )

« Le national-socialisme n'a pas anéanti la presse, mais la presse a produit le national-socialisme. En apparence seulement, comme réaction, en réalité comme accomplissement. » Karl Kraus

La définition la plus élémentaire de l'idéologie est probablement celle de Marx, le célèbre "cela, ils ne le savent pas, mais ils le font".
On attribue donc à l'idéologie une certaine naïveté constitutive : l'idéologie méconnaît ses conditions, ses présuppositions effectives, son concept même implique un écart entre ce qu'on fait effectivement et la "conscience fausse" qu'on en a.
Le but de l'analyse critico-idéologique est donc de détecter, derrière l'universalité apparente, la particularité d'un intérêt qui fait ressortir la fausseté de l'universalité en question : l'universel est en vérité pris dans le particulier, déterminé par une constellation historique concrète.
Mais à notre époque, l'idéologie fonctionne de plus en plus de manière cynique, qui rend inopérant un tel procédé critico-idéologique.
La formule de la raison cynique serait donc, rapportée au monde d'aujourd'hui, : "Ils savent très bien ce qu'ils font, et cependant ils le font quand même…"
La question que nous devrions nous poser n'est-elle pas alors : comment devons-nous considérer ce qui se passe actuellement, ce forçage de la Gender Theory qui va infiltrer le quotidien de nos vies? Sommes-nous de simples naïfs enthousiastes manipulés par des hypocrites adroits? Ou suis-je un sujet qui à la question "Où étais-tu au moment du crime? ne pourra pas faire autrement que de répondre "sur le lieu du crime"?

Pour illustrer notre propos, prenons des exemples récents de ce que Karl Kraus appelait "die Katastrophe der Phrasen"…

J'ai abordé le problème posé par le slogan à succès de ces derniers mois, le fameux "pour tous", laissant entendre qu'il s'agit d'un combat "de gauche", visant un universel, alors que c'est en vérité une pure formule émanant du Discours Capitaliste (sens lacanien) qui concerne essentiellement des enjeux de pouvoir basés sur le développement de niches marketing cf. ici => http://cdsonline.blog.lemonde.fr/2013/02/07/divorce-pour-tous-ni-pour-ni-contre-au-contraire/

Prenons aujourd'hui le cas du mot "homophobe" par exemple.

Cette "invention" médiatique récente est devenue entre autres la riposte — infâmante pour celui à qui elle s'adresse ! — des promoteurs de la Gender Theory qui sont incapables d'opposer une démonstration logique à un détracteur sérieux. Si tu mets en cause le caractère universel de la Gender Theory, c'est que tu es… homophobe! (!!!) (On remarquera que ce genre de "non-raisonnement" foireux — dont le lecteur appréciera la "logique" — pouvait déjà se retrouver concernant certains médiocrates en place: si tu ne souscris pas au génie philosophique de Bernard-Henri Lévy, c'est que tu es… antisémite !!!)

À l'opposé de ces fariboles, une rigueur logique digne de ce nom serait celle qui permettrait d'apporter une réponse convaincante à la question de la neutralisation des termes "père" et "mère" en "parent" dans le Code civil, question qui pourrait être formulée ainsi : "Comment une régression sur le plan de la précision et de la diversité lexicales pourrait-elle constituer un progrès sur le plan de la liberté et de la justice? "

Mais l'argumentation se trouve immanquablement ravalée au niveau d'une opinion, du pour ou contre, de l'opposition stérile, non-dialectisable, croyant pouvoir masquer son absence de rigueur logique par l'insulte adressée à l'autre (anti-homosexuel, anti-sémite, raciste, bigot, etc. …et puis quoi encore?)

Homophobe est une construction typique de la novlangue qui détourne l'étymologie, "homo" ça ne veut pas dire homosexuel dont c'est l'abréviation, mais "le même" et "phobe" ça ne veut pas dire "qui n'aime pas" mais "qui a peur de" "qui fuit"… Ainsi "homophobe" qui devrait logiquement signifier "qui fuit le même, qui a peur du même"… se trouve aujourd'hui avoir chuté dans la signification médiatique dominante de "qui est contre les homosexuels" et par extension qui est "réactionnaire", "de droite", "fasciste", etc.

Churchill toujours lucide faisait déjà remarquer dès la fin de la dernière guerre  "Les fascistes de demain se nommeront eux-mêmes anti-fascistes", voici donc aujourd'hui le monde de nos "little brothers", ceux qui veulent notre bonheur, ils ont à la bouche les mots "tolérance", "égalité", "antifascisme", et… ils se frottent les mains!

Remarquons cependant que la novlangue n'est pas l'apanage des pseudo-socialistes au pouvoir du moment, le processus a commencé depuis longtemps, les aveugles étaient déjà devenus des malvoyants, les sourds des malentendants, laissant apparemment les cons sur le bord du chemin en résistance à leur passage au statut de malcomprenants.

Outre les syntagmes et autres euphémismes douteux qui ont commencé à effacer les mots, nous sommes entrés depuis un bon moment dans la "culture de l'évaluation", la "com" est venue en lieu et place de la "politique" pour nos sociétés justement post-politiques du capitalisme numérique, la "transparence" entre autres exemples devenant une pseudo-valeur intéressante à la bourse de tous ces mots vidés de leur substance, objectalisés, instrumentalisés…

Voilà donc la forme contemporaine qu'a prise l'intuition orwellienne, ce qu'avait déjà parfaitement anticipé Karl Kraus…  et dénoncé un certain John Swinton, célèbre journaliste qui à New York, le 25 septembre 1880, s'était fâché tout rouge lors d'un banquet quand on lui a proposé de faire un toast à la liberté de la presse :

« Il n’existe pas, à ce jour, en Amérique, de presse libre et indépendante. Vous le savez aussi bien que moi. Pas un seul parmi vous n’ose écrire ses opinions honnêtes et vous savez très bien que si vous le faites, elles ne seront pas publiées. On me paye un salaire pour que je ne publie pas mes opinions et nous savons tous que si nous nous aventurions à le faire, nous nous retrouverions à la rue illico. Le travail du journaliste est la destruction de la vérité, le mensonge patent, la perversion des faits et la manipulation de l’opinion au service des Puissances de l’Argent. Nous sommes les outils obéissants des Puissants et des Riches qui tirent les ficelles dans les coulisses. Nos talents, nos facultés et nos vies appartiennent à ces hommes. Nous sommes des prostituées de l’intellect. Tout cela, vous le savez aussi bien que moi ! »
(Cité dans : Labor’s Untold Story, de Richard O. Boyer and Herbert M. Morais, NY, 1955/1979.)

Quelques gouttes de vérité dans l'océan médiatique du mensonge organisé?
Kraus, Orwell, relevez vous! Votre heure a sonné!


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