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Réformer l’Etat et les retraites : mission impossible ?

Publié le 17 juin 2013 par Delits

En France, le préambule de la Constitution de 1946, repris par celle de 1958, proclame que « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». Dans sa loi fondamentale faisant échos à l’esprit du Conseil national de la Résistance, l’Etat en France endosse le rôle d’un Etat protecteur à l’égard de ces citoyens.

L’Etat providence : une exigence sociale et démocratique

A la fois impératif social et démocratique, l’Etat providence et le mode de protection sociale qui lui est lié sont en pleine mutation. La raison : en France comme ailleurs, la nature et le poids relatif des risques sociaux ont changé : la vieillesse n’est plus un risque mais fait partie intégrante de l’existence en raison de l’allongement de l’espérance de vie ; les politiques de la santé, de la famille, de l’emploi se transforment alors que de nouveaux risques, liés à la précarité, à l’exclusion et au chômage prennent une place croissante.

Si l’Etat-providence n’a pas de prix, il a un coût qu’il doit maitriser. Au moment ou le discours gestionnaire de François Hollande axé sur le redressement du pays se trouve fragilisé, la question du sens des réformes se trouve donc posée avec acuité avec un cas pratique exemplaire : celui des retraites, qui concerne toutes les générations. A l’heure de l’individualisme triomphant et du repli sur soi, la société acceptera-t-elle encore de payer le prix de la solidarité ? Ces réformes sont elles subies ou soutenues par les Français ? Comment les Français envisagent-ils l’avenir de l’Etat providence ?

67% des Français pensent que si l’on continue, le pays court à la catastrophe

Les Français sont sans illusion quant à la gravité de la situation. Ils considèrent que « si l’on continue, le pays court à la catastrophe » (67%) et demandent que l’on aille plus loin dans les réformes (74%). Ainsi, ils reprochent à nos dirigeants passés de n’avoir jamais eu le courage de faire les réformes indispensables (80%). Quelles réformes prioritaires faut-il mener pour nos compatriotes ? D’abord celles de l’État, avec une réduction drastique de la dépense publique (59 %), et ensuite une valorisation de l’innovation et de l’esprit d’entreprise (46 %) selon une étude BVA pour le Monde. Pourquoi ce souhait d’une réforme profonde de l’Etat ? Parce bon gré mal gré, 44% des Français considèrent que la qualité de nos services publics et de notre modèle social sont un atout pour l’avenir. Bien conscients du potentiel d’un Etat protecteur, les Français semblent donc s’être résignés à faire des efforts pour le sauvegarder. Une appropriation du changement lente à infuser les esprits, comme en témoigne le serpent de mer de la réforme des retraites.

Le cas d’école : la réforme des retraites, un long processus de prise de conscience

En 1993, E. Balladur serrait la vis pour le secteur privé. En 2003, F. Fillon s’attaquait au secteur public. En 2008, les régimes spéciaux étaient visés. En 2010, l’âge du départ à la retraite reculait. Quel visage aura la cinquième réforme des retraites ? En deux décennies, l’opinion publique française est donc passée d’une simple prise de conscience de la problématique du financement des retraites, perceptible dès 1995, à l’acceptation résignée de sacrifices individuels pour les sauvegarder. En 2010, c’est même le symbole de la retraite à 60 ans qui a fini par être remis en question, après avoir longtemps fait office de ligne rouge infranchissable. La dernière enquête Ifop en date, confirme que l’opinion semble avoir franchi cette ligne, et s’en est même éloignée davantage ces trois dernières années : l’âge moyen jusqu’auquel les personnes interrogées se disent prêtes à travailler pour avoir une bonne retraite, qui s’élevait déjà à 61,9 ans en janvier 2010, a augmenté de 1,4 ans, pour atteindre 63,3 ans en juin 2013. Aujourd’hui, près de la moitié des personnes (49%) affirment même être prêtes à travailler au-delà de 65 ans, contre 43% en 2010. Autre évolution majeur, désormais près de la moitié des jeunes âgés de moins de 25 ans pensent qu’ils n’arriveront pas à partir à la retraite avant 70 ans.

Autre point, l’alignement des régimes publics et privés suscite désormais l’approbation massive des Français. Cette mesure évoquée dans le rapport Moreau est soutenue par plus de trois Français interrogés sur quatre, et même par près d’un salarié du public sur deux, signe que les opinions ont évolué sur le sujet. Alors que le débat commence à peine, les agents de la fonction publique n’apparaissent donc totalement opposés à cette mesure, ce qui ne veut pas dire que si cette voix était retenue, il n’y aurait aucun mouvement social à attendre. De la même façon, on constate que 80 % des sympathisants du PS et 59 % de leurs homologues du Front de Gauche se disent favorables à cette mesure, alors qu’on aurait pu s’attendre à davantage d’opposition de la part de l’électorat de gauche sur ce sujet éminemment sensible. Comme lors de la réforme Fillon en 2003, celle-ci pourrait être l’argument utilisé par le gouvernement pour mener à bien une réforme d’ampleur demandant, par ailleurs, des efforts à tous au nom de l’égalité.

80% des Français seraient prêts à accepter des sacrifices à condition que les efforts soient justement répartis et que la direction proposée soit claire

Si les Français semblent avoir intégré la nécessité de réformer l’Etat providence en même temps que les sacrifices que cela peut nécessiter, ce constat ne doit pas cacher d’autres questions sous-jacentes susceptibles de remettre en cause le pacte social : comment demander aux jeunes salariés de s’acquitter de cotisations retraites s’ils sont convaincus de ne jamais en bénéficier ? Comment perpétuer le contrat social et la solidarité entre les générations, si la retraite par répartition qui lie les âges semble devoir disparaître ? Enfin, cette inquiétude généralisée ne marque-t-elle pas une perte de confiance dans l’Etat providence comme dans la capacité du politique à agir sur l’histoire. N’oublions pas que la crise du politique survient quand il n’est plus possible de se projeter de manière crédible dans un avenir différent et meilleur. Si cela était le cas, cela serait à n’en pas douter une sévère remise en cause des solidarités collectives. Nous n’en sommes pas là mais, comme le note le sociologue Serge Guerrin, « dans ces périodes de mutation où le pouvoir d’achat baisse et où la confiance en l’avenir bat de l’aile, il y a comme un débat entre la tentation du repli sur soi et celle d’inventer de nouvelles formes de solidarité et d’échange. C’est le pari de la bienveillance qu’il faudra relever ».


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