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Le tournis nous reprend. Ils se sont littéralement servis. Leur chef fait mine de prendre un air pincé comme s'il découvrait la chose. Quelques proches dénoncent une chasse à l'homme. Il s'agit pourtant de dévoiler la vérité, fut-elle au prix d'une carrière politique.
Eric Woerth, l'ancien ministre du Budget de Sarkofrance, s'indigne: "je pense qu'un système anti-Sarkozy est en train de s'organiser. (...) Là dessus, c'est quelque chose qui me choque profondément. Les membres du gouvernement devraient faire très attention quand ils parlent de l'ancien Président, de l'ancien gouvernement..." Il a la mémoire courte: "Quand une affaire est devant la Justice, laissons la Justice, encore une fois sereinement, avec indépendance, dire les choses..." Quand le scandale Bettencourt éclata, au cours de l'été 2010, le gouvernement auquel il appartenait consacra toute son énergie à freiner les révélations. Un procureur conciliant, fidèle ami du chef de Sarkofrance, avait été dédié à étouffer l'affaire. Des journalistes trop curieux furent même écoutés clandestinement.
Trois ans plus tard, Eric Woert espère que l'affaire Bettencourt, finalement dépaysée à Bordeaux en 2011, sera à nouveau transféré ailleurs. Le juge Gentil est trop méchant. Sept avocats, dont ceux de Sarkozy et Woerth, ont réclamé son désaisissement. D'après Mediapart, le procureur de Bordeaux a récusé leurs arguments.
L'inquiétude de ce proche de Nicolas Sarkozy est réelle. L'affaire Tapie se dévoile jour après jour. Elle donne le tournis. Dans son édition du 18 juin, Le Monde publie ses dernières révélations. Elles sont signées par Gérard Davet et Fabrice Lhomme. L'arbitrage qui procura 403 millions d'euros bruts à Bernard Tapie dans son litige avec le Crédit Lyonnais était "pipé" écrivent les deux hommes.
1. L'un des juges n'était pas indépendant. Sa nomination a été suggérée par l'avocat de Bernard Tapie dont il était un proche. La relation entre Maurice Lantourne, avocat de Bernard Tapie, et Pierre Estoup, qui sera l'un des trois arbitres nommés pour juger le litige est désormais prouvée. Elle a été cachée. Même Christine Lagarde s'en est étonnée. Pierre Estoup connaissait également très bien Bernard Tapie : les enquêteurs ont trouvé les numéros de téléphone de l'arbitre dans l'agenda de Tapie, tout comme une dédicace de l'homme d'affaire à l'ancien juge datant de 1998: "votre soutien a changé le cours de mon existence". Dix ans avant d'être nommé arbitre, Estoup avait donc laissé grande trace dans la mémoire de Tapie. Il facturait même des honoraires de conseil à l'avocat de Tapie de l'époque. Pire, il a même conseillé Tapie ... dans son litige contre le Crédit Lyonnais !
2. La décision de recourir à l'arbitrage privé fut "politique" et "initiée à l'Elysée par Nicolas Sarkozy et Claude Guéant". Un autre ex-conseiller, François Pérol, est aussi visé, mais il dément. "La police a identifié trois niveaux d'intervention : la décision est politique, initiée à l'Elysée par Claude Guéant et Nicolas Sarkozy. Deux architectes sont désignés, Stéphane Richard, directeur du cabinet de Mme Lagarde, et Jean-François Rocchi, patron du CDR, l'organisme chargé de gérer le passif du Crédit lyonnais, tous deux mis en examen. Et deux maîtres d'oeuvre gèrent l'arbitrage : Me Maurice Lantourne, le conseil de M. Tapie, et M. Estoup."
3. Estoup, l'ami de Tapie, a bien manoeuvré, écrivent les journalistes. Des courriers saisis par la police, on retient comment l'arbitre Estoup s'est employé à éviter tout recours de l'Etat contre la décision favorable à l'homme d'affaires. Il tient aussi la plume davantage que ses deux autres collègues arbitres, "neutralisés" par des honoraires confortables (près de 400.000 euros chacun). Ces derniers ont confirmé à la police qu'Estoup avait été celui qui avait écrit la plupart des actes de cette procédure.
4. Christine Lagarde, dont le Monde a publié un édifiant courrier manuscrit de soutien à Nicolas Sarkozy, s'est "défaussée" sur son ancien directeur de cabinet Stéphane Richard. Devant les membres de la Cour de Justice de la République, elle a confié: "M. Richard paraissait très favorable à l'arbitrage." Pire, elle a affirmé qu'un courrier capital, , donnant instruction au président de l'EPFR, la structure chapeautant le CDR, d'accepter l'arbitrage, a été "rédigé à son insu".
5. Nicolas Sarkozy est désormais le principal suspect. Quand il était ministre, Bernard Tapie lui avait chiffré ses prétentions. Entre mi-2007 et fin 2008, il s'est rendu 22 fois à l'Elysée, dont 4 fois pour des têtes à têtes avec Sarkozy lui-même. "M. Sarkozy est désormais ouvertement soupçonné d'avoir, depuis au moins 2004, oeuvré en faveur d'une solution profitable à M. Tapie" écrivent les deux journalistes. Une fois l'arbitrage lancé puis décidé, ses proches ont multiplié les interventions pour décourager les opposants et les critiques.
Revenons à l'inquiétude de nos proches de Sarkofrance. Eric Woerth, comme Henri Guaino, fustigent ces attaques qu'ils estiment "orientées". Xavier Bertrand, interrogé par France Inter mardi 18 juin, avait la grimace aux lèvres quand il fallait commenter l'affaire. François Fillon préfère prendre encore davantage ses distances avec l'ancien monarque - et de fustiger la ligne buissonnienne qui sied encore tant parmi les partisans de la Droite forte.
Reconnaissons-le, il y a bien un système anti-Sarkozy qui se construit à fur et à mesure des découvertes inouïes que nos juges réalisent. Dévoiler et comprendre l'ampleur de Sarkofrance nécessite une approche systémique.
Quitte à en avoir le tournis.