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Urgences françaises, de Jacques Attali

Publié le 19 juin 2013 par Jlhuss

Urgences françaises, de Jacques AttaliOn ne sort pas premier de Polytechnique et troisième de l’ENA pour écrire évasif et raisonner fouillis. Comme son titre le suggère, le dernier ouvrage de Jacques Attali, Urgences françaises, avance ferme pour dresser un diagnostic et prescrire un traitement à notre pays, ce « grand corps malade ».

L’analyse progresse rondement en dix chapitres titrés, sous-titrés, étayés de chiffres et suivis de graphiques, un peu comme un rapport (M. Attali en a dirigé plusieurs) qui chercherait l’efficacité pratique plutôt que la séduction. Les deux premiers chapitres dressent l’inventaire des atouts de la France, « terre de promesses », dans un monde en mutation ; les six suivants sonnent le tocsin des menaces qui pèsent sur le pays : « la France s’enfonce » ; les deux derniers -« rien n’est perdu »- recensent les réformes urgentes qui pourraient permettre le sursaut.


Oui, estime l’auteur, la France est un des pays les mieux dotés pour conserver son rang dans les turbulences. Elle est « une exception climatique, une grande puissance agricole et touristique, la deuxième puissance maritime du monde, l’héritière d’une histoire culturelle dont la trace est visible dans chaque église, chaque château, chaque paysage ». Elle peut se prévaloir encore d’« un des meilleurs systèmes de santé, d’éducation et de sécurité ». Elle dispose d’institutions solides, d’une armée qui compte, de bonnes infrastructures, d’une qualité de vie exceptionnelle, de talents innombrables (56 prix Nobel), et d’une langue parlée par 220 millions  d’hommes à travers le monde. Et voici cependant qu’ « elle traverse une crise très profonde, à la fois économique, sociale, politique et surtout morale. (…) Elle se recroqueville, comme hébétée devant l’ampleur de la tâche. Et le monde, qui la regardait avec admiration, la jauge désormais avec ironie, stupeur et désolation ».

Les causes de cet abaissement sont multiples, au premier rang desquelles ce que l’auteur  nomme l’« idéologie de la rente ». La vénération des avantages acquis et statuts garantis, le refus de la mobilité, le pouvoir excessif des seniors, l’hypertrophie de l’Etat, la méfiance à l’égard du monde,  la peur de la réforme, ont comme conséquences, dit notre docteur en sciences économiques, tous les boulets qui nous plombent : l’inadaptation scolaire, l’explosion du chômage et de la dette, l’aberration des collectivités locales, l’exode des forces vives, les délocalisations, j’en passe, dans l’impuissance d’une classe politique timorée toujours hantée par la prochaine élection. La France n’avancerait donc depuis 1780 qu’à coups des révolutions et contre-révolutions. Faute de réformes profondes, une nouvelle révolution mijote et peut éclater « dans un mois, dans un an ». Attali en dessine les divers scenarii, plus inquiétants que ceux du passé, car le pays, dit-il, se trouve dans « une situation inédite dans laquelle aucune classe sociale ne semble assez forte pour prendre la tête d’un bouleversement politique organisé ».

Mais, à l’exemple de plusieurs pays qui ont su à telle ou telle période récente réagir vigoureusement, la France peut se ressaisir. Il serait trop long d’énumérer ici dans le détail les dix chantiers qui, s’ils étaient conduits sans tiédeur ni atermoiement, pourraient selon l’auteur assez rapidement remettre le pays à flots : « cinq d’entre eux destinés à restaurer la capacité d’action de l’Etat, (…), cinq autres à faire repartir la croissance et l’emploi. » Toutes ces mesures, touchant les institutions, la fiscalité, le système éducatif, le travail, l’organisation du territoire, le fonctionnement de l’Europe, -et l’auteur ne croit pas déchoir en infusant l’urgence réformatrice jusque dans la rénovation des canaux ou le développement massif du covoiturage-,  « si le Président et la majorité les mettaient en œuvre, ils pourraient perdre les élections à venir. Et alors ? », demande non sans panache notre conseiller des princes. « De toute façon, en l’état, s’ils ne les mettent pas en œuvre, ils les ont déjà perdues. »

Ce livre a plusieurs mérites. L’auteur entre souvent dans la cuisine au lieu de se borner, comme tant d’autres, à pérorer lyriquement du haut du balcon. Aussi éloigné des autruches que des Cassandre, Jacques Attali opte pour une sorte de pessimisme méthodique, « condition préalable du réalisme, et, par là, de l’optimisme ». On apprécie que sa lucidité désabusée  (« Le plus plausible est qu’aucune des réformes que je propose ici ne soit mise en œuvre »)  ne l’empêche pas de garder la confiance : « J’aime assez la France et je crois assez en elle pour penser qu’elle voudra choisir l’urgence du bonheur ». Il faut lui reconnaître aussi le mérite de ne pas être esclave de ses préférences partisanes, conseiller de Mitterrand et de Jospin comme de Sarkozy, pourvu qu’on veuille l’entendre : « Je suis certes de gauche : dans le contexte français actuel, cela veut dire quelque chose. Mais ce n’est pas le moteur qui m’anime ici : je ne m’intéresse qu’à la France et à ce qui doit pouvoir être accepté par tous ».

L’ouvrage présente aussi des défauts. Dans certains chapitres, le déversement des chiffres statistiques finit par décourager l’attention. Plusieurs affirmations font sursauter, comme de lire  que « la place du français s’améliore dans le monde », ou qu’il faut compter au nombre de nos atouts « l’exceptionnelle capacité d’intégration dont font preuve les minorités en France », ou que « la sécurité des personnes et des biens semble s’être notablement améliorée ». Où habite donc M. Attali ? On sourit lorsqu’on le voit ranger  « l’édification de l’Opéra Bastille » au nombre des grandes réformes de François Mitterrand. On soupire en  comprenant qu’il plaide lui aussi pour que le redressement de la France passe par le renforcement de l’intégration européenne. Je lui en veux personnellement de ne pas avoir, dans sa petite rétrospective des révolutions et réformes,  une seule fois mentionné le nom du général de Gaulle, préférant évoquer anonymement les grandes avancées de 1945, et laconiquement celles de 1958 : « Un autre coup d’état permet de réaliser de nombreuses réformes ». Est-ce une vieille rancœur de l’enfance algérienne interrompue, ou l’effet d’un sur-moi socialiste : Madame Royal, dans son dernier livre, omet pareillement  d’évoquer Charles de Gaulle parmi les figures de courage.

Au bilan des défauts et qualités, il me semble pourtant que le solde d’Urgences françaises soit positif. Ce livre globalement de bonne foi et d’acuité peut redonner espoir à ceux qui pensent que la France agonise. Au chevet de la malade toutes les bonnes volontés sont bien venues. Mais que dire à ceux qui craignent  qu’elle ne sorte du lit que pour ne plus se reconnaître dans la glace ?

ARION


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