Il fut commenté avant d'être publié. Il fut assimilé à la future réforme des retraites. Il est enfin disponible et les critiques contradictoires sont nombreuses. Le rapport Moreau, qui assemble
De toutes les critiques, il y en a une existentielle: faut-il travailler plus longtemps si l'on vit plus longtemps. Gérard Filoche, l'une des figures émérites de l'opposition de
gauche à l'intérieur de la majorité gouvernementale, le résume très bien: "'Quand on vit plus longtemps, on peut travailler
plus longtemps !' C’est ce que vient, malheureusement de déclarer
notre ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine. Cette phrase est inexacte. On peut mais on ne doit pas !"
C'est un choix de société, ou qui ne se poserait pas avec la même acuité
si la pénibilité était réellement prise en compte dans nos régimes
actuels. On vit plus longtemps, certes. Mais on ne vit pas en bonne
santé plus longtemps.
A droite et sans surprise, on râle. Le 18 juin, triste symbole, Laurence Parisot lance sa charge, l'une des dernières avant qu'elle le lâche les reines du MEDEF. Elle est en colère. On lui a préparé les éléments de langage qui vont bien. Le rapport est qualifié d'inacceptable, inenvisageable,
irresponsable. "A court terme, les leviers d'action envisagés sont une fois de plus des pistes fiscales, de hausse des cotisations
des employeurs et des salariés. (...) C'est faire comme si personne n'avait entendu parler de
la chute de la compétitivité des entreprises françaises, du décrochage
de l'économie et de la régression du pouvoir d'achat des salariés." Elle est en fureur. "La piste de l'âge et celle de la durée de cotisation sont considérées marginalement"
Plus grave, plus sérieux, plus légitime, le collectif des Economistes atterrés s'inquiète de la "mollesse"
des propositions. Il dénonce même la démarche: pourquoi donc vouloir
équilibrer les comptes publics en période de récession ? La crise, et surtout elle, serait responsable de nos tracas: le déficit "provient essentiellement de la profondeur de la récession". Pourquoi donc, sommes-nous tentés de répondre, a-t-il fallu quatre réformes (de droite) depuis 20 ans pour remédier à la chose ?
L'un de leurs chefs de file détaille son atterrement. Il exècre la désindexation des pensions suggérée par les auteurs du rapport - de façon exceptionnelle. Jean-Marie Harribey ne comprend pas non plus pourquoi il faudrait tenter de rapprocher les régimes publics et privés. Après tout, le rapport Moreau conclut (1) que "le taux de remplacement médian est proche pour la génération 1942 entre
les salariés du privé (74,5%) et les salariés civils du secteur public
(75,2%)"; (2) que les salariés du privé, s'ils liquident en moyenne plus tardivement leur retraite (61,3 ans contre 57,5 an dans le publics), ont
en fait "cessé de travailler quasiment au même âge (à 58,8 ans contre
58,2 ans)."
En d'autres termes, pourquoi nous embête-t-on avec ces fichues inégalités entre fonctionnaires et salariés du privé ? C'est bien là l'une des heureuses (et fausses) trouvailles du récent débat: on comprend peu à peu que les métiers de la Fonction Publique sont structurellement différents de ceux du privé: policiers, militaires, enseignants, professions qualifiées, etc. Justement, là est la vraie critique fondamentale qu'il faut apporter à ce rapport, que cet Economiste Atterré ne porte pas: il fallait une remise à plat générale, considérer les métiers en fonction de leur pénibilité, de leurs rémunérations, et en déduire - qu'importent les statuts - un système lisible et pérenne.
Pour éviter de toucher les seuils d'âge de départ à la retraite (minimal ou à taux plein), les auteurs du rapport préfèrent l'augmentation de la durée de cotisation: de 41,5 ans actuellement à 44 ans en 2050. L'Economiste n'apprécie pas. Il argumente, allonger cette durée est vain à cause du chômage. Reprenons le point: deux années et demi supplémentaires de cotisations d'ici ... 37 ans, est-ce donc si dramatique ?
Notre économiste atterré et sans doute indigné s'énerve sur les ressources supplémentaires proposées par le rapport: alignement des taux de la CSG des retraités (6,6%) sur celui des actifs (7,5%) ; suppression progressive de l’abattement fiscal de 10% pour frais professionnels ; et fiscalisation des majorations de pension pour trois enfants et au-delà de trois. Une logique "libérale", assure-t-il, qui pénalise les petits aux détriments des gros. Pour le coup, l'argument tient difficilement la route.
Il fallait lire l'analyse presque objective conduite par Frédéric Cazenave pour le Monde.
Le journaliste a simulé une à une l'impact des principales propositions
du rapport Moreau, sur quatre catégories schématiques de retraités
d'aujourd'hui: ex-smicard, ex-salarié médian, ex-cadre; ex-cadre
supérieur.
On en retient que tout le monde paiera.
L'augmentation
des cotisations est marginale - moins d'une cinquantaine d'euros de
cotisations annuelles supplémentaires pour nos cadres. Le pire est la
désindexation des retraites: entre 100 et 200 euros de moins par an pour
un retraité ex-Smicard. L'alignement de la CSG sur le taux des actifs
couterait 100 euros annuels de plus aux mêmes petits retraités. Mais pour les plus grosses retraites - celles de nos cadres dans l'exemple suscité - l'impact est évidemment plus important. Au passage, on oublie ce que le rapport ne contient pas, comme la fiscalisation supplémentaire de ce pan de la solidarité sociale, via une énième augmentation de la TVA sous des prétextes sociales.
Au final, que retenir ?
Qu'il faudra écouter, juger, débattre. Qu'il s'agit d'une décision économique qu'il faut faire. 10 à 20
milliards de déficit annuel, c'est autant de plus dans une dette qui
s'aggrave.
Mais qu'aucune petite retraite ne mérite d'être affaiblie d'un euro.