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Le pape est-il un citoyen français ?

Publié le 20 juin 2013 par Rolandlabregere

C’est l’exemple d’événement dont on pensait qu’il était d’un autre temps. Dans le contexte d’une actualité toute en soubresauts, l’information n’a été au mieux que mentionnée dans les médias qui suivent l’actualité dans son ensemble. Quand cela a été fait, un silence bienveillant s’est installé. Pourtant l’information mérite un petit arrêt sur image.

L’AFP et Le Nouvel Observateur (15 juin 2013) rapportent que le pape qui recevait au Vatican une délégation de sénateurs et députés français a invité les élus à « abroger » les lois afin « d’apporter l'indispensable qualité qui élève et anoblit la personne humaine ». Cette petite opération de harcèlement théologique intervient un mois après la promulgation de la loi Taubira qui autorise le mariage et l'adoption pour les couples de même sexe. Outre cette référence à peine voilée à une loi honnie, le pontife a aussi fait allusion aux législations perçues comme contraires aux principes de l’Eglise. Le pape a demandé aux parlementaires de « proposer des lois, à les amender ou même à les abroger » faisant pleinement allusion à l’interruption de grossesse, à la fin de vie et à la bioéthique. Il faut, a-t-il martelé, que ces lois reçoivent « un supplément, un esprit, une âme qui ne reflète pas uniquement les modes et les idées du moment, mais qui leur apporte l'indispensable qualité qui élève et anoblit la personne humaine ». Ces suppléments d’âme, on le devine sans peine, ne peuvent être que d’inspiration romaine. La revendication laïque n’est pas non plus absente du discours papal. « Le principe de laïcité qui gouverne les relations entre l'État français et les différentes confessions religieuses ne doit pas signifier en soi une hostilité à la réalité religieuse, ou une exclusion des religions du champ social et des débats qui l'animent ». On imagine le courroux des médias et des leaders d'opinion si des responsables d'autres spiritualités s'étaient mêlés d'affaires intérieures d'un pays. En quoi, le pape est légitime à entamer une démarche de coaching et de supervision d'élus français ?

En s’en prenant aux lois de la République française, le nouveau locataire du Vatican affermit une tradition que l’Eglise n’a jamais véritablement abandonnée. Elle est fondée sur une appréciation erronée de la Laïcité, toujours associée à une hostilité aux cultes qu’elle ne porte nullement. Cette appréciation est une imposture utile au projet de conquête des esprits de l'Eglise catholique. La laïcité n’est en aucune manière antireligieuse : son principe premier est celui de la liberté de conscience. Elle protège celui qui se réfère à un dogme et dans le même temps soutient le principe de la liberté absolue de conscience, c’est à dire le droit pour tous de choisir entre les diverses options spirituelles, (monothéismes ou autres appartenances), le droit à l’agnosticisme ou le choix de l’humanisme athée. La Laïcité ne peut pas être antireligieuse car ses principes essentiels sont ceux de  la coexistence entre les courants spirituels et de leur respect mutuel.

Aujourd’hui, l’Eglise a besoin pour se reconstruire de se trouver un espace d’affrontement. La mobilisation contre le droit au mariage pour tous a sans doute amorcé la pompe. N’empêche que le chemin de la modernité et celui de l’humanisme sont longs et délicats pour une Eglise qui refuse de considérer la perte de sa position hégémonique. Le Vatican, comme puissance financière, est-il le mieux placé pour continuer à faire la morale aux démocraties ? Du côté de l’Amérique latine, il y aurait quelques pudeurs à se souvenir que lorsqu’une partie du clergé s’est engagée dans des mouvements de soutien à des communautés de paysans, le Vatican a fait la sourde oreille et s'est  opposée à la théologie de la libération. Le pape François pourrait relire ses fiches. Un état souverain et multiculturel ne peut accepter le magistère de cultes qui entendent peser sur l’organisation de la vie des citoyens.

Victor Hugo termine son «Discours à l’Assemblée sur la liberté de l’enseignement », le 15 janvier 1850, par la dénonciation du parti clérical qu’il est judicieux de situer dans son ampleur :

«  Nous vous connaissons ! Nous connaissons le parti clérical. C’est un vieux parti qui a des états de  service.  C’est lui qui monte la garde à la porte de l’orthodoxie.  C’est lui qui a trouvé pour la vérité ces deux étais merveilleux, l’ignorance et l’erreur. C’est lui qui fait défense à la science et au génie d’aller au-delà du missel et qui veut cloîtrer la pensée dans le dogme. Tous les pas qu’a faits l’intelligence et l’Europe, elle les a faits malgré lui. Son histoire est inscrite dans l’histoire du progrès humain, mais elle est inscrite au verso. Il s’est opposé à tout.

C’est lui qui a fait battre de verges Prinelli pour avoir dit que les étoiles ne tomberaient pas. C’est lui qui a appliqué Campanella vingt-sept fois à la « question » pour avoir affirmé que le nombre des mondes était infini et entrevu le secret de la création. C’est lui qui a persécuté Harvey pour avoir prouvé que le sang circulait.

De par Josué, il a enfermé Galilée ; de par Saint Paul, il a emprisonné Christophe Colomb. Découvrir la loi du ciel, c’était une impiété ; trouver un monde, c’était une hérésie. C’est lui qui a anathématisé Pascal au nom de la religion, Montaigne au nom de la morale, Molière au nom de la morale et de la religion. Oh ! oui, certes, qui que vous soyez, qui vous appelez le parti catholique et qui êtes le parti clérical, nous vous connaissons.

Voilà déjà longtemps que la conscience humaine se révolte contre vous et vous demande : Qu’est-ce que vous me voulez ?  Voilà longtemps déjà que vous essayez de mettre un bâillon à l’esprit humain. »

  


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