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La qualité de vie au travail : Une chimère en temps de crise mais une nécessité pour les réformes à venir ?

Publié le 21 juin 2013 par Delits

Alors que vient de se tenir la 10ème édition de la semaine de la qualité de vie au travail organisée par le réseau ANACT (l’Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail), plusieurs études ont tenté d’appréhender ce concept et sa perception par les salariés français et européens. Cette 10ème édition s’est déroulée dans un contexte économique plus que morose, marqué par la montée continue du chômage et l’entrée en récession de la France au 1er trimestre 2013. Dans ce cadre, comment les salariés jugent-ils la qualité de vie sur leur lieu de travail ? Et quelles attentes expriment-ils en direction de leur entreprise ou administration ? A l’heure où de nombreuses réflexions sont menées sur le marché du travail et les retraites, cette notion de « qualité de vie au travail », loin d’être accessoire, se révèle primordiale, tant elle apparait au cœur des préoccupations sociales et tant elle pourrait permettre d’aborder avec un peu de recul et de bénéfices les réformes à venir.

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Des salariés français qui dénoncent majoritairement une dégradation de la qualité de vie au travail et qui apparaissent démotivés

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Le constat établi par les salariés français en matière de qualité de vie au travail est aujourd’hui assez sombre : en effet, dans l’enquête réalisée par TNS Sofres pour l’ANACT, les 1000 salariés actifs et occupés interrogés donnent à leur qualité de vie au travail la note moyenne de 6.1 sur 10, plus d’un sur cinq optant pour une note inférieure à la moyenne. Outre cette note passable, 68% estiment que la qualité de vie au travail des Français s’est dégradée au cours des cinq dernières années, près d’un sur deux (48%) considérant également que sa propre qualité de vie au travail s’est détériorée depuis le début de son exercice professionnel. Ce sentiment est particulièrement répandu parmi les salariés du secteur public et les professions intermédiaires, ainsi que parmi les personnes travaillant au sein d’une grande entreprise et les salariés âgés de 35 à 49 ans. Une large frange de la population active, et particulièrement au sein des « classes moyennes » et des tranches d’âge intermédiaire, indique ainsi être touchée par une détérioration notable des conditions de travail. Celle-ci est principalement imputée au contexte de crise économique entraînant une pression accrue sur les salariés tandis que les marques de reconnaissance – financières ou autres – se tarissent.

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Plus qualitativement, les enquêtes menées auprès des salariés semblent indiquer que ces derniers ont de plus en plus le sentiment que leur identité n’est pas prise en compte, et même parfois niée, dans le cadre de leur exercice professionnel et que les logiques financières président plus à leur destinée que leurs propres souhaits ou compétences. Ainsi, dans une enquête Harris Interactive pour l’Humanité Dimanche, 48% des salariés et chômeurs indiquent avoir l’impression que leur vie professionnelle est soumise à la conjoncture économique, sans marges de manœuvre possibles sur leur carrière. Ainsi, nombre de Français ont le sentiment de ne pas contrôler leur vie professionnelle, ce sentiment étant plus prégnant parmi les seniors, les chômeurs et catégories populaires, les précaires, les peu ou pas diplômés, les salariés du privé et les personnes travaillant dans l’industrie et la construction.

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De ce fait, nombre de salariés peinent à entretenir leur motivation au travail. En effet, selon le Baromètre Edenred-Ipsos sur le bien-être et la motivation des salariés en Europe, 38% des salariés français déclarent voir aujourd’hui leur motivation professionnelle décroître. Certes, cette proportion est quasi-identique à celles relevées en 2008 et 2012 mais sa persistance laisse entrevoir une motivation profondément et durablement affectée. De plus, cette proportion française est la plus élevée, les salariés de l’Hexagone apparaissant ainsi un peu plus démoralisés lorsqu’ils se rendent au travail que leurs voisins italiens (35%) et espagnols (32%), qui connaissent pourtant des situations économiques encore plus dégradées, et beaucoup plus démotivés que les Allemands (22%), les Belges (27%) et les Britanniques (27%). Or, comme le notent les responsables de l’étude, cela est d’autant plus dommageable que les Français entretiennent un rapport quasi « émotionnel » à leur travail, quand les Britanniques le perçoivent davantage de manière distante, voire « opportuniste », et quand les Allemands nourrissent un rapport plus « contractuel » à leur emploi. Tout se passe comme si un cercle vicieux s’était enclenché dans le pays, la crise aggravant un manque de reconnaissance à l’origine d’un désengagement des salariés, constituant lui-même sans doute un facteur supplémentaire de la crise ou de la difficulté d’en sortir. Et l’on a du mal à entrevoir comment cette dynamique négative pourrait être brisée, alors que la productivité des salariés français constitue un des principaux ressorts de notre compétitivité.

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Des salariés en attente d’une reconnaissance tout autant humaine que financière et d’une écoute managériale

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Dans la période actuelle, les salariés français font bien entendu état de prétentions salariales  mais ont bien conscience que celles-ci seront difficiles à satisfaire. En effet, 50% des salariés français indiquent aujourd’hui que leur principale préoccupation professionnelle réside dans leur niveau de salaire mais cette proportion est en recul de près de dix points depuis 2008. Dès lors, quels sont les autres leviers sur lesquels il est possible de se concentrer afin de stopper, voire de renverser, ce sentiment de dégradation des conditions de travail ? Les salariés indiquent compter d’abord sur eux-mêmes puis sur les dirigeants ainsi que sur les partenaires sociaux pour améliorer la qualité de vie au travail et attendre d’autres formes de reconnaissance, notamment humaine. Ils se retournent donc vers l’ensemble de la chaîne de direction pour bénéficier de cette reconnaissance ainsi que d’une forme de réassurance. Les attentes en termes de communication dans l’entreprise apparaissent dès lors centrales dans l’enquêté commanditée par l’ANACT. Invités à s’exprimer spontanément sur ce qu’il faudrait pour faire progresser la qualité de vie au travail, nombreux sont ceux qui citent : « un management plus à l’écoute », « une meilleure communication entre dirigeants et salariés », « une bonne communication avec la hiérarchie », « des concertations », « plus de dialogue entre la base et la direction ».

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Dans une enquête menée par  Harris Interactive et l’agence Meanings, la parole en entreprise est également présentée comme un élément contributeur de la confiance dans l’avenir de l’entreprise et son propre avenir professionnel, et ainsi de la qualité de vie au travail. Les salariés semblent regretter que leur PDG ne parle jamais ou presque « des conditions de travail », « de l’ambiance de travail », « des aspects RH : formation, salaires, évolution professionnelle », ou encore de leur destin personnel dans l’entreprise. Or, leurs attentes portent précisément sur ces aspects : en effet, ils aimeraient que leur direction prenne la parole précisément sur les aspects RH (48%), les conditions de travail (47%) et l’avenir de chacun (41%), avant même qu’elle aborde la stratégie de l’entreprise (36%). Or, on constate dans l’enquête de TNS Sofres que ce sont ces dimensions-là, très quotidiennes ou personnelles, qui ont le plus partie liée avec la qualité de vie au travail selon les salariés (par exemple, 85% en ce qui concerne l’environnement physique de travail, 82% l’organisation du travail, 80% les perspectives professionnelles), là encore devant la situation économique ou la stratégie de l’entreprise (respectivement 78% et 59%). L’enquête Harris Interactive/Meanings  démontre que plus les prises de parole en entreprise sur ces sujets se multiplient, plus les salariés expriment leur confiance envers les acteurs de l’entreprise. De là, il n’y a qu’un pas pour dire que communication et action sur ces dimensions sont susceptibles d’enrayer la chute de motivation des salariés français.

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Des réformes difficiles à mener sans une réflexion approfondie sur la qualité de vie au travail

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Il est assez évident qu’en temps de crise, l’insécurité qui règne et les conditions économiques qui se durcissent créent un climat peu propice à la qualité de vie au travail. Pourtant, lorsqu’il est impossible de jouer sur les motifs de satisfaction liés à la rémunération, il est nécessaire de trouver d’autres mobiles pouvant contribuer à maintenir, voire à développer, la qualité de vie au travail. Cela apparait d’autant plus nécessaire que de profondes réformes se concrétisent ou se profilent concernant le marché du travail et les retraites. Or, on voit mal comment les salariés français accepteraient des efforts dans le cadre de ces réformes si la qualité de vie au travail ne s’améliore pas. Un article récent de Délits d’Opinion mettait en exergue le fait que les enquêtes mesurent que les Français préfèrent désormais envisager l’augmentation des cotisations plutôt que l’allongement de la durée de cotisation ou le report de l’âge légal de départ à la retraite pour réformer le système de retraite et maintenir le niveau des pensions, ce qui était loin d’être le cas il y a encore trois ans. On peut penser que cette évolution des opinions découle au moins pour partie de la dégradation de la qualité de vie au travail. Comment imaginer travailler plus longtemps lorsqu’on constate une détérioration des conditions de travail et l’absence de perspective professionnelle personnelle ?

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Idem concernant la réforme du marché du travail. Le baromètre Ipsos met en avant la fidélité « par défaut » des salariés à leur entreprise. Les salariés déclarent en effet ne pas vraiment chercher à trouver un autre emploi (58% indiquent ne pas songer à quitter leur entreprise, proportion en hausse  de six points depuis 2008), et dans le même temps, estiment majoritairement qu’il leur serait difficile de retrouver un emploi comparable s’ils venaient à perdre leur emploi actuel (également 58%). Cet immobilisme forcé tend à rendre les salariés attachés à leur poste actuel (« on sait ce que l’on perd, mais on ne sait pas ce que l’on gagne ») et rend difficilement concevable toute modification des contrats de travail ou toute mesure en faveur d’une plus grande mobilité et flexibilité sur le marché du travail.

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Ainsi, concevoir les réformes à venir seulement d’un point de vue comptable, et mobiliser essentiellement des arguments démographiques (« on vit plus longtemps, il faut travailler plus longtemps ») ou capitalistes (« il faut une flexisécurité française pour rassurer Bruxelles et les agences de notation »), risque de conduire à une crispation des salariés et par conséquent à des impasses. En revanche, prendre conscience que, pour faire progresser dans l’esprit des Français l’idée d’une durée de travail plus longue ou d’une mobilité accrue, il faut plutôt appréhender de manière holistique l’expérience du travail dans la société française et accroitre la qualité de vie professionnelle, constituerait sans aucun doute un axe de réflexion ambitieux mais potentiellement prometteur. Plus concrètement, il s’agirait dès lors d’améliorer les conditions de travail matérielles mais aussi de permettre à chaque salarié de se réapproprier son activité pour en faire un motif de construction de l’identité, de la carrière et de la fierté professionnelles. Cela pourrait notamment passer par un effort accru sur la formation professionnelle, 72% des salariés y ayant eu accès affirmant que cela leur a permis de progresser professionnellement.


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