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La source ou la femme fontaine...

Publié le 21 juin 2013 par Philippejandrok

La Source

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Quand j’étais enfant, je regardai souvent les toiles des grands peintres que mon père avait dans son manuel d’instituteur. Je tournai secrètement les pages pour découvrir des paysages, des héroïnes ou des rêves d’Endymion, endormis dans un sous-bois, dans un salon, mais ce qui retenait mon attention plus que tout autre était une œuvre de Gustave Courbet, une toile peinte d’un bel effet. L’auteur représentait son amour de la beauté féminine et je découvris avec plaisir et enchantement « La Source » lutine de mes désirs enfantins. Femme plantureuse aux formes avantageuses, recevant sur la poitrine, le jet tendre et naturel d’un cours d’eau frais et rebelle, dans la plus sensible intimité de l’être dévoilé.

Nue dans les bois, cette « chaste Suzanne » prenait son bain ou recevait son baptême par Mère nature elle-même. La terre sainte et l’eau pure, à son corps défendant et dénudé, dans le plus simple appareil, dévoilant sa sublime beauté au regard concupiscant de la spectatrice que j’étais, voyeuse impénitente, gourmande de belles choses, dans mes instants de solitude coquine, parfois sombres, souvent moroses.

Sous mes doigts, la page se faisait lourde, j’avais beau forcer ma volonté, mes yeux ne pouvaient s’en détacher. J’étais témoin agissante, pionnière de la tourmente et j’aurais voulu être elle, « La Source » du plaisir, être comme elle, grande, forte et puissante, charpentée comme ces femmes d’une époque, qui croquent l’amour à pleine dent et qui en redemandent après mille assauts inassouvis d’une forteresse de l’envie.

Mais, j’étais squelettique, peut-être un peu anorexique, de visage, j’étais plutôt jolie, d’autres me trouvaient belle. J’avais de longues jambes, de beaux cheveux, des hanches fines et deux petits seins ravissants, rien de comparable à « La Source » qui était plus femme que moi, et plus désirable aussi.

On me disait sotte parce que j’étais naturelle, et que je disais ce qui me passait par la tête, moi,  j’acceptai mon sort, dans l’abnégation d’une intelligence qui dort. Il est vrai que je ne comprenais pas tout, je pensais différemment, je m’étonnais de ce qui était simple pour les autres et sibyllin pour moi, j’étais, pour ceux qui me jugeaient une bêtasse et je ne m’en plaignais pas.

Vers vingt ans, je trouvai un parti, enfin, c’est lui qui me trouva pour être plus juste, peut-être n’était-il pas si bon pour moi, quoi qu’il en soit, sans discuter il m’épousa. Il n’était pas très grand, mais il était beau, et surtout, il avait du talent. Le crayon était le prolongement de son doigt et il fit tant de dessins de mon corps juvénile, que je me sentis « La Source » plus d’une fois fragile entre ses doigts agiles.

J’étais la muse d’un peintre qui adorait caresser mon corps de sa mine de plomb, la couleur, il l’appliquait avec le bout de sa langue sur la pointe du téton. Il m’aimait muette et m’adorait sur les murs de son panthéon, oubliant que j’étais là, debout sous son toit à plonger mon regard vers le ciel à travers la lucarne.

Le jour, il était bon, la nuit, comme un démon. Il buvait jusqu’à noyer sa tempête dans un verre de vin, il étouffait son chagrin d’enfance, me voyant juste un peu moins. Dès qu’il s’apercevait de ma présence, je devenais souffre-douleur et je recevais sur mon dos, une averse de maux, songe de terreur. Au petit matin, il m’aimait comme le bon pain, et courte il avait la mémoire de sa nuit triste, de sa nuit noire.

Chaque nouvelle aube, blessée, je n’ai pu oublier, la meurtrissure passée. J’aurais pu renaître de mes cendres, encore eut-il fallut les prendre, mais, je les ai dispersées au gré des vents. Nous eûmes pourtant quelques bonnes années, au début, il m’appelait « ma bien aimée », avec le temps, les difficultés et le sentiment vint à changer. Je lui offris une fille, elle avait son esprit, elle avait ma beauté, mais je demeurais la sotte aux heures du vin.

Dans mes instants de solitude, je contemplai « La Source » et je rêvai… combien Courbet devait l’avoir aimé toutes ces années, la source de son désir, combien avait-il pu l’adorer pour ainsi la représenter ?

Nue de dos ou de face, allongée là avec une autre, son rubis noir, brûlant comme l’âtre et rebaptisé : « L’Origine du Monde » ; et c’était tellement vrai, mon sexe était à l’origine du monde, je rêvai d’amour et je n’éprouvai aucun plaisir, pas avec ce mari, le père de mon enfant. Il aimait mon corps en carte postale, dépréciant mon âme sans hésiter.

Notre enfant grandissait autant que notre éloignement, et de mon corps meurtri, le plaisir s’évanouit finalement. Avec lui, je n’éprouvai plus rien et je lui refusai l’endroit nacré entre mes cuisses, celui qui a tant fait rêver Ulysse. Nous étions deux étrangers vivant côte à côte, sachant que l’amour nous dévorait l’un et l’autre. Une décision fut prise, celle de profiter du hasard chacun de notre coté, pour tenter d’éprouver l’amour ailleurs, ou du moins, ce qu’il en restait.

Il avait des activités nocturnes, dans certains bars avec une brune puis, mon tour fut le suivant, et je sortis de temps en temps. Sans le chercher absolument, je fis la rencontre d’un amant, il était grand, il était beau, il m’embrassait langoureusement, il portait le nom d’un ange, Sandro Del Avalanche ; Ses doigts me caressaient avec tendresse, sans crayon, ni paresse, il m’aimait tout simplement, sans me juger autrement. Je l’ai un peu aimé et quand je l’ai quitté, je l’ai beaucoup pleurée. Mais, une nouvelle vie s’offrait à notre famille, une chance au parfum de vanille, un choix, une décision, partir et tout recommencer.

Ce mari, je n’étais plus capable de l’aimer, mais plus que je ne pouvais endurer, c’était un devoir d’essayer. J’ignore où il allait trouver son plaisir, le mien, dans ce petit village de saphir, seule, je devais le découvrir à l’heure où l’on s’endort, même s’il était toujours mon époux, le père de mon trésor.

Alors, dans la secrète alcôve, je commençai à effleurer les lèvres nacrées de mon jardin secret, à me toucher la nuit d’une main ferme, lorsque après une bonne bouteille de rouge, j'espérai que plus personne ne bouge, je l’entendis ronfler sur le canapé du salon, j’étais seule avec ma vie, là, sous les draps, sans pantalon. Au début, je n’éprouvai pas grand-chose, mais j’avais tant besoin d’amour… Du plaisir, je n’en avais pas éprouvé depuis si longtemps. J’avais mal dans mon ventre et cette éternelle attente de pouvoir jouir enfin entre les mains de quelqu’un… Mais, je ne trouvai personne à qui m'offrir.

Un beau jour, j’eu quarante ans, ma jeunesse fuyait lentement, je regardai « La Source », elle n’avait pas même une ride, et moi, j’étais toujours Sylphide. « Comme tu as du être aimé », disais-je à ma belle adorée. Et si j’avais été plus forte en chair et en matière, j’aurais trouvé à me fourrer, un chasseur ou un trappeur, qui m’aurait sincèrement aimé, j'aurais été son adorée. Mais non, belle et toujours désirable, j’étais frigide comme l’Érable.

Et puis un jour, c'est arrivé, à force de me tripoter, une sève blanche coula de mon « origine ». Passant des heures à me branler, à chercher l’endroit caché, entre mes cuisses, j’ai caressé le bouton rose apprivoisé, soudain, un éclair de lune posa sur mes cuisses enflammées, une jouissance aussi violente qu’instantanée. Succombant aux secousses répétées, moi, pauvre femme assassinée sous cette douleur d’immédiateté, je disparus, vaporisée. Et de mon malheur de solitude, le destin choqua ma plénitude. L’orgasme découvert, une source à l’odeur âcre colla sur mon corps comme le vin d’une fête dionysiaque. Le sol, maculé de ma semence, je ne tenais plus debout, l’émotion m’avait achevée.

C’est arrivé la première fois en son absence, mais cela s’est reproduit depuis, autant que cela me surprit. Comme fontaine, un jet de moi est sorti et s’est répandu sur le drap de lit, c’était comme une sensible brûlure, couvrant ma plainte, ma tessiture. Un tremblement violent me secouant un long moment.

Épuisée après l’électrocution sublime, j’ai contemplé ce jet de sirop nacré, j’étais moi-même impressionnée, par ce qui venait de me frapper. J’avais honte de moi, comment avais-je pu faire cela, je pensais que j’aurais dû mettre une couche, mais, comment imaginer la grâce qui me touche.

J’ai découvert le plaisir à cet instant, cet élixir, aspect troublant. Étrange matière sur le dessus de ma litière, liquide visqueux étalé devant mes yeux. La jouissance a donc cette couleur, ce jus amer sort de mon cœur ? Curieuse de nature, je glissai l’index contre l’éruption pour goûter cette passion, ce n’était pas de l’urine, mais de la jouissance câline. Seule, j’avais obtenu ce que des milliers de femmes attendent de l’amour, j’étais devenue, femme fontaine, femme jouisseuse sans trop de peine, j’étais enfin parvenue à rivaliser avec « La Source », mais je l’avais conquise seule, sans partenaire, sans amour, dans l’ombre solitaire de mon désespoir d’un soir.

Depuis, je suis femme fontaine, à chaque jouissance, un flot de larmes par centaine, je dois me protéger, une serviette de bain juste à mes pieds, pour essuyer la flaque d’amour après chaque branlée. Je suis gênée et j’ai honte de jouir en rêve humide, mais il a fallu ma quarantième année, pour éprouver ce plaisir sensible. Sans hommes et sans accessoires, la femme peut jouir de son pouvoir.

Je suis « La Source » de mon plaisir, je puise « La Source » du plaisir. N’ayant plus besoin de personne, je suis seule, comme une nonne ; comme si la jouissance était à présent une punition indigne, un signe atroce du destin pour me dire qu’à jamais elle sera mon salut.

Je suis femme fontaine par accident ou par hasard, j’aurais pu être n’importe qui d’autre, mais à présent, dès que je touche, le plaisir me prend, il bourdonne dans ma tête, frétille sur ma bouche, et je me sens partir, incapable de retenir ce flot d’amour inconvenant, qui fait de moi, spectre émouvant. Je suis une femme mariée et mon seul amant est cette main passionnée qui me chatouille dans mes instants secrets. Ma main et moi sommes tourmentés, de simplement envisager, que je pourrais peut-être un jour, découvrir le mot, amour…

 

Fin

P-A. Jandrok, droits réservées. 


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