Magazine Journal intime

Le passage 17

Par Emia

17. Des chocs sourds, des cliquetis et des martèlements finirent par avoir raison de mon sommeil. Une nuit de bronze luisait tant à l’intérieur du compartiment qu’au-dehors. Déjà habillées et coiffées, deux femmes bavardaient près de la fenêtre : c’étaient mes compagnes de voyage ; elles n’étaient donc pas descendues en cours de route, ce n’avait été qu’un rêve.

- Nous arrivons à Lotos, m’annoncèrent-elles gaiement.

Le train ralentissait. De pâles lueurs couraient sur les murailles. J’empoignai mes bagages et rejoignis la file des voyageurs s’apprêtant à descendre. Nous partîmes par la gauche, empruntâmes un escalier et nous éparpillâmes sur un ponton. Il fallut enjamber une série d’échafaudages ; nous empruntâmes d’autres marches ; je crus monter encore ; finalement, nous débouchâmes dans un hall violemment éclairé où se pressaient salarimans et pilotes de moto-rickshaws avides de clientèle. L’un d’eux promit de m’amener à l’hôtel que je lui avais indiqué : illico, chantonnait-il, lets go-go.

Nous nous sommes élancés dans l’avenue déserte. Des deux côtés de la chaussée, des façades couvertes de panneaux et d’affiches s’étageaient à perte de vue. Pancartes, posters et lettrages compliqués défilaient comme les images d’une lanterne magique, me rappelant, je ne sais pourquoi, la mort de Silver – ce n’étaient que remous figés, placardés en trompe-l’œil, faisant effet de fenêtres flottant dans un ciel zébré de feuillages et d’oiseaux étranges. Nous contournâmes un troupeau de licornes mastiquant des lambeaux de papier ; couchées sur la chaussée déserte, elles s’y trouvaient comme dans un pré ; elles remuèrent à peine sur notre passage. J’avais froid ; mon hôtel approchait ; j’en avais reconnu le nom, au loin, parmi d’autres néons blafards.

Dans l’entrée, un escalier abrupt grimpait jusqu’à une loge exiguë, aux parois vitrées engluées de crasse. J’y trouvai le concierge qui,  d’un voix morne, m’attribua une chambre -  la dernière, précisa-t-il. Je gravis quelques marches et empruntai un corridor plus sombre que tous ceux parcourus jusqu’alors. Sur une porte, un numéro luisait : c’était le mien, le numéro 9.

La chambre me fit une impression bizarre. Les  murs aux teintes passées, les volets où perçait le jour naissant, le sol blanchâtre – mon regard s’y enfonçait, et la pièce répondait par de paisibles palpitations.

Dans mon lit, je somnolais, emportée par les balancements d’un convoi d’images insipides. Je parlais. Je répondais : Silver bavardait tout en me fixant de ses yeux moqueurs. Silver, dis-je, Silver – je tentais de le rejoindre – mais il balaya mes efforts d’un geste discret : ça claquait et cahotait. Il est temps de rentrer, ne cessait-il de dire, il se fait tard, et alors que j’essayais encore d’accrocher, dans sa pupille, le rappel désespéré d’une émotion, son visage lentement se ferma de douceur.


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