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Europe : Requiem pour une génération perdue?

Publié le 24 juin 2013 par Lino83

Luis Santos Pinto

Professeur d'économie, HEC Lausanne

Requiem pour une génération perdue? Publication: 22/06/2013 06h00  

Si vous avez entre 16 et 25 ans et que vous vivez en Europe de nos jours, votre vie est tout sauf facile. Vous risquez fort d'être confronté au chômage et si vous avez la chance de décrocher un emploi, vous ne serez sûrement pas rémunéré à la hauteur de vos compétences et passerez un grand nombre d'heures au bureau. Vous serez certainement concerné par la précarité de l'emploi et aurez peu de perspectives d'évolution de carrière puisque vous aurez signé un contrat soit à durée déterminée soit à temps partiel. Vous payerez des impôts élevés mais l'Etat vous fournira des biens et des services de qualité médiocre. Et si vous envisagez de quitter le domicile parental ou si vous avez besoin d'un crédit pour monter une affaire, acheter une voiture ou - Dieu vous en garde - acquérir un bien immobilier, les banques vous imposeront un by Text-Enhance"> by Text-Enhance"> by Text-Enhance"> by Text-Enhance"> by Text-Enhance">taux d'intérêt élevé, et ce, parce que votre revenu est faible et que vous présentez un risque significatif de défaut de paiement. Cerise sur le gâteau: vos cotisations sociales ne vous assureront même pas une retraite raisonnable le moment venu.

La sphère politique a-t-elle noué un pacte faustien avec les banques sur le Vieux Continent? L'Europe sauve-t-elle le secteur bancaire au prix du bien-être de ses citoyens, notamment de la jeune génération? On relève un parallèle saisissant avec le tableau de Francisco Goya, Saturne dévorant l'un de ses enfants, qui représente le mythe grec du Titan Saturne (ou Cronos) mangeant son fils après sa naissance...

Le législateur européen s'est engagé activement dans la sauvegarde des by Text-Enhance"> by Text-Enhance"> by Text-Enhance"> by Text-Enhance"> by Text-Enhance">banques, sous couvert de défense de l'euro. Selon lui, les banques étant de trop grande envergure pour faire faillite, nous devons tous payer pour leurs erreurs. Après tout, nous avons bénéficié de crédits à bas taux: n'est-il pas logique que nous courbions l'échine et que nous en subissions les conséquences? Mais la vérité, c'est que les banques européennes sont en difficulté car elles ont failli à leur mission, à savoir gérer et surveiller les risques. Elles ont prêté des sommes excessives à des Etats, à des ménages et à des entreprises déjà fortement endettés. Elles ont abusé de l'effet de levier pour optimiser leurs bénéfices, s'exposant ainsi à un risque d'insolvabilité de leurs débiteurs.

Jusqu'à présent, les politiques mises en œuvre par les élites politiques européennes ont conduit à une redistribution massive des revenus et des richesses des travailleurs et des épargnants vers les coffres des banques. L'austérité a tout d'abord contraint de nombreux pays européens à augmenter drastiquement les impôts afin de pouvoir s'acquitter de leur dette auprès des banques. De plus, bien qu'ayant accès à des fonds de la Banque Centrale Européenne à un taux historiquement bas, les établissements bancaires pratiquent des taux d'intérêt élevés sur les nouveaux emprunts. Le mécanisme de la transmission monétaire est ainsi rompu et de nombreux pays font face à une pénurie de crédits.

Il n'est donc guère surprenant que ces initiatives aient engendré une forte contraction de l'activité économique en Europe. Et le poids de ce resserrement s'est abattu de façon disproportionnée sur les épaules de la jeune génération. Selon Eurostat, en 2012, le pourcentage de chômeurs âgés de 16 à 25 ans était de 55,3% en Grèce, 53,2% en Espagne, 37,7% au Portugal, 35,3% en Italie, 30,4% en Irlande et 24,3% en France - et la tendance devrait s'aggraver à court terme.

Cependant, le chômage des jeunes n'a pas augmenté partout en Europe. Si le taux a progressé à l'échelle du continent, il a reculé en Allemagne ces dernières années et s'est stabilisé dans un certain nombre de pays, parmi lesquels l'Autriche, la Finlande, les Pays-Bas et la Suède. Pourquoi la situation est-elle bien pire en Europe méridionale qu'ailleurs?

La réponse à cette question se trouve peut-être dans les fresques d'Ambrogio Lorenzetti. Conservées au Palazzo Pubblico de Sienne, en Toscane, elles sont connues comme les Allégories du Bon et du Mauvais Gouvernement. Sur place, on peut lire dans la brève description de la fresque du Mauvais Gouvernement: "Le Mauvais Gouvernement (...), qui cherche à protéger ses propres intérêts en dépit du Bien Commun, est habité par les pires vices. Afin de poursuivre ses intentions égoïstes, il a neutralisé la justice, foulant aux pieds ses règles et sa dignité même. Le Mauvais Gouvernement est profondément néfaste (...) et attise une peur primaire chez les citoyens, qui voient leur propriété, leurs activités et leur vie mises en péril, tandis que le Bon Gouvernement offre sécurité et garanties."

Suite à l'introduction de la monnaie unique, les hommes politiques d'Europe méridionale ont préféré maximiser leurs bénéfices personnels plutôt que d'engager les réformes structurelles nécessaires pour stimuler la croissance et maintenir la compétitivité de leur pays au sein de la zone euro. Ils ont promu des investissements publics inefficaces dans les infrastructures dans le but de servir leurs propres intérêts et ceux des lobbies qui les soutiennent (et qui leur proposent bien souvent un emploi lorsqu'ils quittent leurs fonctions). Ils ont conçu des systèmes d'assistance sociale non pérennes sur le plan financier et fait à leurs concitoyens des promesses électorales qu'ils savaient pertinemment ne pas pouvoir tenir.

Il semble aujourd'hui que le Mauvais Gouvernement soit omniprésent. L'ensemble des décideurs européens doit se montrer honnêtes et reconnaître que les mesures d'austérité dans le Sud se sont révélées contre-productives. L'Europe méridionale s'enfonce de plus en plus dans la récession tandis que sa dette publique en pourcentage du produit intérieur brut approche de niveaux d'insolvabilité. Et sans un virage politique à 180 degrés, le chômage des jeunes continuera de croître.

Récemment, François Hollande et d'autres leaders européens ont annoncé la mise en place de programmes de lutte contre le chômage. Cependant, ces promesses ne sont que de la poudre aux yeux des électeurs. Les montants engagés sont totalement dérisoires face à l'impact des politiques d'austérité en cours et à venir.

Il faut mettre en place pour toute la zone euro un programme d'ajustement réaliste, intégré et équitable qui placera les intérêts des citoyens avant ceux des banques et des politiciens. Premièrement, les pays du cœur de l'Europe doivent engager une politique fiscale expansionniste (c'est-à-dire baisser les impôts) pour stimuler la demande privée et aider les pays de la périphérie à sortir de la récession grâce aux exportations - une initiative totalement sûre dans la mesure où les taux d'intérêt sont proches de zéro pour les pays principaux. Deuxièmement, le fardeau de la dette dans les pays actuellement soumis à des programmes d'ajustement doit être ramené à un niveau soutenable via une procédure de restructuration. Troisièmement, ce processus exposant certaines banques à de lourdes pertes, il faut instaurer une union bancaire dotée d'un mécanisme de résolution ad hoc pour protéger les déposants.

S'abstenir d'agir reviendrait à sacrifier nos enfants, tel Saturne avec sa progéniture, et à plonger l'Europe dans l'abysse. Comme le Titan, nous verrons l'émergence d'un ordre nouveau: le requiem pour une génération perdue est en passe de devenir celui de l'Europe.


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