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Syrie: des chiffres, et quelques perplexités

Publié le 29 juin 2013 par Jcharmelot

Dans un communiqué récent, l’Observatoire syrien des droits de l’homme a calculé que le conflit en Syrie avait fait, en un peu plus de deux ans, 100.000 morts. L’Observatoire est un organisme installé à Londres, et animé par son fondateur Rami Abdoul Rahman, qui ne cache pas sa sympathie pour la rébellion contre le pouvoir de Bachar al Assad. La presse et les organisations internationales, comme l’Onu, reprennent les bilans annoncés par l’Observatoire, qui dit s’appuyer sur un réseau de correspondants en Syrie. Avec le temps, ces bilans sont devenus un baromètre du conflit, et sont utilisés par des capitales étrangères comme justification de leurs condamnations de la brutalité du régime, et de la nécessité d’armer ses opposants.

Pour la première fois, le New York Times a publié les détails de ce bilan global, et les chiffres avancés sont intéressants.  Le premier groupe de victimes est composé de militaires syriens et de miliciens favorables au régime : un total de 42.718 tués, répartis entre 25.407  soldats et 17.311 miliciens. Vient ensuite, selon l’Observatoire, le groupe des civils tués: 36.661, dont 8.000 femmes et enfants. Enfin, toujours selon l’Observatoire, il y aurait eu 13.539 rebelles tués, et 2.015 défections dans les rangs de l’armée régulière.

Ces chiffres, s’ils doivent être pris au sérieux, appellent quelques questions.

Comment se fait-il que l’armée régulière et les combattants pro-régime, supposés être mieux équipés et plus nombreux,  soient les premières victimes des combats? Par contraste, la rébellion, qui assure qu’elle est sous-équipée et ne peut tenir tête aux troupes de Damas aurait subi trois fois moins de pertes. Le bilan des civils est lourd mais l’Observatoire ne précise par comment ces civils sont morts: dans des tirs croisés, victimes de bombardements des uns ou des autres, exécutés dans des représailles des deux camps?  Une autre remarque a également sa place dans une analyse de ces chiffres. En appliquant un ratio très bas de un à trois au rapport entre tués et blessés, une donnée constante d’un champ de bataille, il apparaît qu’outre quelques 25.000 tués, l’armée régulière syrienne aurait également perdu quelques 75.000 blessés. En tout, donc, un tiers des militaires du régime seraient hors de combats. Ce qui rend son apparente résilience encore plus inexplicable.

La question se pose aussi de comprendre pourquoi ces détails sont mis en relief en ce moment, alors que des efforts sont en cours pour tenter de réunir une conférence de paix sous le patronage des Etats-Unis et de la Russie. Doit-on y voir une tentative de la rébellion de démontrer que la victoire est proche et que les pertes du régime sont telles qu’il ne pourra plus tenir très longtemps? Un argument peu convainquant après les gains récents de l’armée et de ses alliés sur le terrain. Doit-on y voir la démonstration que le régime est tellement aux abois qu’il lance dans la bataille des hommes qui vont à leur mort certaine face à un ennemi bien retranché dans ses bastions et suffisamment bien armé pour repousser les assauts des forces régulières? Là encore le récit des récents affrontements semble contredire cette approche.

Ce qui est clair à la lecture de ces chiffres, c’est qu’il va être plus difficile de plaider pour une fourniture accélérée d’armes aux rebelles s’ils sont déjà capables d’infliger de telles pertes à une armée régulière, censée être bien entraînée et soutenue par des alliés de poids, comme la Russie et l’Iran. D’autant plus que cette supériorité affichée dans l’élimination physique des forces d’Assad n’a pas conduit à des gains territoriaux qui feraient de ce bilan l’illustration d’une victoire stratégique. Une deuxième constatation s’impose: si le conflit en Syrie a fait deux fois plus de morts dans les rangs des combattants que parmi les civils, il va être également difficile de présenter la violence dans ce pays comme le massacre systématique de la population par un tyran qui aurait perdu toute légitimité.

La publication de ces chiffres curieux représenterait-elle une préparation du terrain avant une éventuelle conférence de paix? Les tenants de la ligne dure, les « interventionnistes », ceux qui parlent d’une « zone d’exclusion aérienne », et d’un armement lourd à fournir aux rebelles vont avoir plus de mal à défendre leur point de vue. En l’occurrence, les chiffres conduisent à une conclusion paradoxale: si un groupe doit être protégé parce qu’il est la première victime des violences, ce devrait être l’armée! Les protagonistes qui pensent qu’une solution politique incluant le président Assad doit être trouvée auront donc des arguments supplémentaires, face à l’extrémisme des états du Golfe, comme le Qatar et l’Arabie saoudite, et à l’agitation diplomatique de pays comme la France ou la Grande-Bretagne, qui a bien du mal à se traduire par des actes.

Bien sûr, toutes ces interrogations sont inutiles si les chiffres de l’Observatoire ne doivent pas être pris au sérieux. Mais alors, pourquoi l’ont-ils été depuis le début du conflit qui détruit la Syrie?


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