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Before Midnight (Richard Linklater)

Par Interstella_fr

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J’ai découvert Before Sunrise au début des années 2000, c’est-à-dire plus tard que beaucoup, mais un peu avant qu’il ne devienne un film culte sublimé par sa suite, Before Sunset. Je connaissais Julie Delpy et Ethan Hawke de leurs carrières réciproques, avec un petit surplus de sympathie pour la petite Française, dont la réussite aux États-Unis forçait l’admiration. Ethan Hawke, c’était encore à l’époque pour moi le jeune garçon timide mais tellement touchant du Cercle des poètes disparus, l’un des rares films que j’ai vus au cinéma petite. J’ai revu depuis, peut-être, je ne sais plus, ce premier opus de la relation Céline-Jesse, mais j’en ai peu de souvenirs précis, si ce n’est le sentiment d’un film de tonalité mineure, mais où tout sonne juste, ou tout est un peu fragile, en demi-teinte, où rien ne s’impose facilement.
Before Sunset avait la grâce de quelque chose d’inattendu et d’exceptionnellement abouti, tout en restant subtil. Le romantisme fou du synopsis (10 plus tard, ils se retrouvent et comprennent que derrière les occasions ratées, les divergences d’opinion, ils sont faits l’un pour l’autre) faisait de cette suite un film quasiment parfait, rythmé par les dialogues précieux issus du travail intensif du trio Linklater-Delpy-Hawke, et bercé par la toile de fond paradisiaque de la Promenade Plantée, des quais de Seine, des escaliers interminables et autres petites pépites du décor parisien.

Pour Before Midnight, le défi était de taille : sauter, de nouveau, une dizaine d’années dans la vie de personnages pour lesquels, manifestement, le plus romantique de leur vie amoureuse est derrière eux, que ce soit leur première rencontre ou leurs retrouvailles. Comment dépasser cela ? La première qualité du film est son honnêteté : pas d’artifices ou de péripétie improbable qui insufflerait un renouveau romanesque sorti de nulle part. Le point de départ est franc, Jesse et Céline ont deux filles, plus le fils que Jesse avait eu de son côté auparavant ; cette première donnée leste forcément la sérénité du couple. Le fils adolescent qui vit avec sa mère dans un autre pays et pose des difficultés affectives et logistiques évidentes (pour son père, plus que pour lui ?), et les deux petites jumelles à gérer : reste-t-il du temps à Jesse et Céline pour eux ? Communiquent-ils encore ? Savent-ils toujours exprimer ce qu’ils ressentent ? S’aiment-ils encore ?

Le début du film se veut rassurant : oui, Jesse et Céline sont toujours ensemble, leurs petites filles sont adorables, et ils parlent toujours, sans relâche, dans une voiture qui, symboliquement, traverse des ruines sans avoir le cœur ou le courage de s’y arrêter. Déjà, des anicroches apparaissent, des différends ; mais c’était déjà le cas il y a 10, 20 ans… Céline parle pourtant immédiatement de rupture. Là où certains verront seulement l’hystérie du personnage féminin, c’est en fait simplement la preuve que le couple de nos héros est dans une position de fragilité extrême, malgré l’amour, malgré la complicité.

La scène dans la « superbe maison en Grèce où plusieurs couples habitent ensemble dans la plus grande harmonie et parlent sans tabou de leur vie intime et de généralités sur la vie et l’amour en faisant à manger des choses extrêmement saines produites sur place » n’est pas à mes yeux le meilleur passage du film, qui le fait pencher du côté de mauvais films italiens ou de mauvais Woody Allen. Fantasme un peu américain de la vie européenne « tellement authentique ». Il y a cependant un très beau moment avec les hôtes les plus âgés, dans cette évocation de la disparition de l’être aimé, après une longue vie commune, qui serre la gorge.
Puis c’est l’angoisse : les amis ont « programmé » pour Jesse et Céline un rendez-vous en amoureux. Ce qui apparaît comme une bonne intention scintille immédiatement comme une épée de Damoclès : l’obligation de s’amuser, et de s’aimer, et de passer un bon moment, sur commande. Eh oui, les enfants, les contraintes : adieu la spontanéité. Et si tout semble bien commencer par une promenade à pied, on sent néanmoins, à tout moment, que le dérapage n’est pas loin, que les réponses de Jesse se font lisses pour échapper aux pièges de Céline… Cherche-t-elle vraiment à le piéger ? Parce qu’elle est hystérique et féministe ? (oui, souvent dans la tête des gens les deux adjectifs vont de pair, ne me dites pas que vous le découvrez…) Ou n’est-elle pas plutôt, comme la Céline des deux opus précédents, toujours à la recherche d’un idéal, d’un absolu, d’une perfection morale et sentimentale, qu’elle peine manifestement à retrouver dans son couple, et dans sa vie entière ?

L’arrivée dans l’hôtel moderne et luxueux accentue le sentiment d’angoisse. Et en effet, après un début idyllique très cinématographique où les deux héros finissent même par tomber en arrière sur le lit – on y croit, leur vie intime est donc intacte ! mais on craint le pire -, une simple interruption suffit, évidemment, à faire dérailler le programme. Le dialogue se densifie, sans relâche, et Céline, les nerfs à fleur de peau, rebondit sur la moindre imperfection de discours de son partenaire. Certes, elle est un peu folle, comme Jesse le lui dit clairement. C’est ce qu’il y a de plus dur dans Before Midnight : cette acuité sur les petits et grands défauts des protagonistes ; intransigeance, hypersensibilité, égoïsme, mollesse, désengagement (je vous laisse attribuer quoi à qui). Et puis il y a ce moment très émouvant où Céline évoque sa profonde détresse à la naissance des filles. Sublime Julie Delpy, mère elle-même depuis 2009, qui se fait porte-parole d’une ribambelle de mères qui, dépassées par leur nouveau rôle, par leur nouveau corps, par leurs nouvelles tâches, sont encore plus accablées par l’absence ou l’aide minimale de leur compagnon. Ce nœud complexe, souvent indicible, qu’est la solitude extrême des mères. Féministe ? Effectivement.

Mais on ne veut pas voir Jesse et Céline se déchirer, ou, pire, se séparer. On veut y croire. On sait que déjà que la vie est dure, que les mariages finissent par des divorces. On a les médias pour nous le seriner, on ne veut pas que Linklater, Delpy et Hawke nous le disent à leur tour, ou nous parlent, tels les magazines féminins, du quotidien qui tue tout, des enfants qui détruisent les couples, des femmes qui doivent faire des efforts pour entretenir la flamme. Heureusement, il n’est pas question de tous ces poncifs simplistes ici.
Alors on regarde le soleil qui baisse, baisse, baisse, jusqu’à en capter le dernier rayon ; il faut être sûr de le voir. Avec ce doute permanent : le reverra-t-on demain ? On regarde l’autre, fatigué de son fonctionnement, de ses jeux, connus par cœur. Et pourtant, oui, au fond, de quoi s’agit-il ? De cette impossibilité de nous connaître, de le connaître, de la connaître, mais se rappeler des moments miraculeux où l’on a touché un peu de cette « essence » de l’autre, qu’on a aimée, qu’on aime toujours.  L’effort que cela implique, de se rappeler ça, sera-t-il toujours possible ? Le trio nous en reparlera-t-il dans une dizaine d’années ? (Et le souhaitons-nous ?)

Note : 5/6


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