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La mairie d’Aubagne cible des extrémistes

Publié le 02 juillet 2013 par Thierry Gil @daubagnealalune
(photo : Amir Kaljikovic)

(photo : Amir Kaljikovic)

Pour avoir alerté le préfet sur le risque de « trouble à l’ordre public » que faisait courir la venue de Jean-Marie Le Pen dans sa ville, le maire d’Aubagne se retrouve dans le collimateur de sympathisants du FN qui, sous couvert d’anonymat, font d’internet leur terrain de chasse favori.

Le 27 juin dernier, Joëlle Melin, la candidate FN aux municipales 2014, invitait le patriarche du clan Le Pen à inaugurer son local de campagne. L’information s’était répandue rapidement sur les réseaux sociaux soulevant l’indignation de nombreux Aubagnais. Pour avoir alerter la Préfecture sur le risque de troubles à l’ordre public que représentait la venue de Jean-Marie Le Pen, le maire d’Aubagne Daniel Fontaine est aujourd’hui visé personnellement par une campagne de harcèlement, dont on ne connaît pas encore les effets, orchestrée sur internet par des extrémistes et sympathisants du Front National sous couvert d’un courageux anonymat. Son adresse email a été postée le 26 juin sur un site appartenant à un réseau de blogs identitaires, islamophobes, furtivement antisémites et catholiques intégristes et un appel à la « mobilisation contre la mairie d’Aubagne » a été lancé. Objectif affiché : pourrir la vie à son premier magistrat. La méthode utilisée consiste à harceler la cible désignée à la vindicte en l’inondant de courriers postaux ou de emails contestant une décision, une prise de position ou une opinion. Le maire d’Aubagne n’est pas la première et probablement pas la dernière victime de ces réseaux extrémistes.

Selon le sujet de leur action, les destinataires sont des magistrats, des élus municipaux, des maires, des députés, des sénateurs, des prêtres et évêques du clergé catholique, tous soupçonnés de sympathie avec l’Islam. Les journalistes accusés d’être des « trotskistes » formés à bonne école sont aussi l’une de leurs cibles préférées. Mais peu de monde échappe à leur inquisition. Sont également pointés du doigt les artistes, les philosophes, les dirigeants du sport – le football est considéré à leurs yeux comme le « vecteur principal vantant les avantages du multiculturalisme et de la diversité (sic) » – les musulmans et « toute l’engeance altermondialiste ». Sur leur liste de cibles potentielles, on trouve des personnalités aussi diverses qu’Edwy Plenel, le directeur de Mediapart, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls, l’évêque d’Angoulême Monseigneur Dominique Lebrun, le maire PS de Strasbourg Roland Ries pour son initiative en faveur du droit de vote des étrangers, le commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe Thomas Hammarberg, la journaliste Rafaële Brillaud pour un article sur les Croisades dans le magazine Sciences & Vie qui a déplu à ces inquisiteurs de la pensée, le président socialiste de la région PACA qualifié de « traître à la patrie », le maire PCF d’Annemasse, l’émission Envoyé Spécial, la CGT…

Cela fait beaucoup de monde et la liste n’étant pas exhaustive, ces courageux anonymes n’ont que l’embarras du choix pour déverser leur haine. Pour les y aider, des lettres types leur sont même proposées. Tout cela sent évidemment mauvais car si le moyen d’action – la pétition publique – est légal et utilisé ailleurs pour des causes que ses signataires estiment justes, il revêt là un caractère nocif. La nature tendancieuse de ces actions ciblées qui instaure un climat de guerre civile et l’anonymat autorisent toutes les lâchetés et de nombreuses dérives qui ont conduit nombre des destinataires à porter plainte.

Des menaces déguisées

En 2011, le maire de Sochaux Albert Matocq-Grabot était visé par deux lettres anonymes menaçantes et un tract d’extrême-droite. En vendant un terrain sur lequel devait être érigée une mosquée, l’édile avait exacerbé les rancoeurs d’une frange hostile et prête à surfer sur des courants glauques. Le maire de Sochaux avait pourtant fait remarquer que depuis 30 ans l’association islamique sochalienne se réunissait dans la cave d’un foyer. En l’espace de deux jours, il recevait deux courriers anonymes où il était question de « honte » et de « collaboration avec l’ennemi ». La seconde missive, signée d’une Croix de Lorraine, s’achevait par cette phrase lourde de sens : « Viendra le jour où les islamo-collabos devront rendre des comptes » (source : L’Est Républicain). Le lendemain, le maire décidait de porter plainte et faisait distribuer dans les boîtes à lettres un courrier intitulé : « Les loups sont de retour ». En homme de culture, le maire rappelait : « Dans une très belle chanson, Serge Reggiani comparait le fascisme à des loups. Les Loups sont entrés dans Paris. 70 ans après, si nous n’y prenons pas garde, ils sont toujours prêts à rentrer ».

Plus récemment, en mars 2012, Alexis Corbière, un proche de Jean-Luc Mélenchon, a été lui aussi pris pour cible et a reçu plusieurs menaces de mort dont certaines à son domicile. « Tu mériterais d’être égorgé », lui a signifié l’un de ses correspondants, tandis qu’un autre a évoqué ses enfants, au milieu de reproductions d’articles de presse (source : L’Express).  Alexis Corbière mettait en cause des « extrémistes de droite complètement excités par des sites internet ». En août 2012, c’est le recteur de la mosquée de Lyon qui était menacé de mort dans un courrier islamophobe. Un peu plus tard c’est la boîte à lettres de l’Hôtel de Ville d’Annemasse qui était inondée de courriers vindicatifs suite à la signature entre la municipalité et l’association du centre culturel des musulmans de la commune d’un compromis de vente d’un terrain destiné à accueillir le projet de mosquée. En novembre, c’est le maire de Sablet, village provençal d’un millier d’habitants environ qui quittait son poste après avoir été harcelé pendant plusieurs semaines, victime d’une tentative d’incendie de son domicile, de lettres anonymes et de menaces de mort par téléphone. Ces actes malveillants se multiplient sur le territoire et sont affichés comme des faits d’armes sur les sites d’extrême-droite faisant la promotion de ces actions. On imagine aisément quelles conséquences dramatiques pourrait engendrer la mainmise sur nos institutions de ces gens-là.

F.V

NDLR : Pour des raisons de sécurité des personnes visées par ces courriers et pour ne pas faire la publicité à ces réseaux d’extrême-droite, nous avons fait le choix de ne pas communiquer les liens de ces sites.

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