Combien de révolutions faudra-t-il pour que les Égyptiens réalisent que leur démarche est erronée ?
Par Stéphane Montabert.
Les Égyptiens sont frustrés et déçus.
De la même façon, côté égyptien la déception est à la hauteur des espoirs – immense. Mais qu'espéraient donc d'autre les électeurs portant au pouvoir un président islamiste ? Mohamed Morsi a été prévisible sur toute la ligne.
On peut bien sûr justifier ce retournement de l'opinion par l'examen critique de la politique de Morsi, pour peu surprenante fut-elle. Accusé de favoriser son clan et d'islamiser le pays, le pantin des Frères a vite pris le pli du pouvoir en s'octroyant des prérogatives exceptionnelles. L'économie ne va pas bien ; touristes et investisseurs boudent l’Égypte. Le chômage et l'inflation sont en hausse et les pénuries de carburant et d'électricité s'ajoutent à celles des biens de consommation courante. Pour fonctionner, l’État n'a rien trouvé de mieux que d'emprunter au FMI.
Les drames s'écrivent longtemps à l'avance. Aujourd'hui, alors que Mohamed Morsi n'a accompli qu'un quart de son mandat, les Égyptiens sont dans la rue par millions et réclament le départ de celui qu'ils portaient aux nues la veille. Pour qu'une révolution ait lieu, il faut des jeunes et des estomacs vides, l’Égypte possède les deux en abondance. Révolution il y aura.
Et après ?
L’Égyptien moyen pense sans doute que là où Mohamed Morsi a échoué, un autre pourrait réussir, mais qui ? En Égypte comme dans la plupart des pays musulmans, le pouvoir se divise en trois factions : les socialo-communistes, auto-proclamés démocrates laïques et éclairés (et qui ont bien sûr droit à tous les honneurs de nos médias occidentaux) ; les islamistes, très présents dans les campagnes conservatrices et dans les couches populaires ; et les nationalistes à travers l'armée et la police, arbitres des deux camps précédents et occasionnellement pourvoyeurs de tyrans ambitieux.
Il paraît évident qu'aucun individu issu de ces groupes ne parviendra à sortir l’Égypte du sous-développement, la dictature étant la forme d'organisation la plus élevée qu'ils puissent atteindre. Il existe bien des commerçants, des entrepreneurs et des hommes d'affaires égyptiens, mais les plus doués se sont enfuis pour faire fortune ailleurs et les autres tâchent de rester discrets ou vivent en symbiose avec la corruption en place. Pire, certains des rares brillants esprits locaux ont le mauvais goût de ne pas être musulmans.
Les manifestants de la place Tahir et du reste du pays ont beau se réunir par millions, combien d'entre eux comprendraient l'idée que la richesse ne peut naître que de l'individu et de sa liberté ? Combien d'entre eux seraient prêts à laisser vivre autrui comme il l'entend et à respecter ses croyances, sa liberté d'expression et un mode de vie différent du leur ? Combien accepteraient que leur voisin travailleur et entreprenant s'enrichisse plus qu'eux, même si leur propre condition allait s'améliorant ? Combien comprendraient et accepteraient le principe du laissez-faire ?Ils ne seraient guère nombreux. Que quelqu'un parvienne à leur passer le message, ils le rejetteraient par conservatisme, piété religieuse, méfiance et conformisme. Voter oui, accepter la diversité des opinions et la liberté des autres, non. Il faut du temps et des échecs pour que les esprits évoluent à l'échelle d'une population.
Mohamed Morsi est un coupable facile : ce n'est pas l'homme providentiel qu'il fallait à l’Égypte. Les braves manifestants se mettent donc à la recherche d'un nouvel homme providentiel. Combien de révolutions faudra-t-il pour qu'ils réalisent que leur démarche est erronée ?
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