Décidément, l’écologie n’est pas le fort du hollandisme. La fille politique
de Julien Dray et de Ségolène Royal s’est autodissoute après un an d’exercice ministériel sans éclat.
Peu à peu, le gouvernement écolo-socialiste perd ses ministres. Après
Jérôme Cahuzac, Delphine Batho.
Convoquée à Matignon à 16h30 le mardi 2 juillet 2013, en pleine séance à l’Assemblée Nationale dans un débat
qui la concernait, comme une vulgaire collaboratrice à un entretien préalable au licenciement, la Ministre de l’Écologie Delphine Batho (40 ans) a été démissionnée sans ménagement par le
Président François Hollande, réputé pour sa mollesse et son indécision, dans un sursaut d’autoritarisme.
Dès le lendemain matin, au conseil des ministres du 3 juillet 2013, le chef de l’État a enfoncé le clou en
évoquant le « principe majeur de solidarité gouvernementale ». La porte-parole du gouvernement Najat Vallaud-Belkacem a rapporté : « Ce n’est ni une question de personne ni une question de sujet. (…) Le débat peut avoir lieu à
l’intérieur, mais une fois arbitré, les ministres sont collectivement comptables des décisions prises. ».
L’affaire a été menée tambours battants, avec l’humiliation publique rudement communiquée dans les réseaux
sociaux, pour avertir les autres ministres que serait appliquée la fameuse loi édictée le 2 février 1983 par Jean-Pierre Chevènement : « Un ministre, ça ferme sa gueule ; si ça veut l’ouvrir, ça démissionne ! ».
Un mauvais budget 2014
L’objet du litige, c’était ses déclarations du matin au micro de RTL. Elle critiquait son propre budget 2014,
qu’elle prétendait en baisse de 7% (« C’est vrai que c’est un mauvais budget. (…) Il y a un affichage qui n’est pas bon. »), regrettait
l’absence de vision écologique du gouvernement (incapable de « faire la démonstration de la volonté de faire de la France la nation de l’excellence
environnementale »), et proposait même de nouveaux impôts.
Elle donnait ainsi raison à tous les électeurs socialistes sceptiques qui ne s’étaient pas déplacés pour les
candidats socialistes dans les huit législatives partielles désastreuses : « On est dans un moment où les Français doutent. Il y a une déception
à l’égard du gouvernement et il y a un doute sur notre volonté de changement. ».
Crime de lèse-cap budgétaire ! Non seulement l’Élysée a été immédiatement rouge de colère (ou vert de
rage ?) mais ses conseillers y ont vu un dérapage de mauvaise foi de la part d’une ministre considérée déjà comme incompétente jusqu'au sein de son propre cabinet où le turn-over des
conseillers est très important.
On explique notamment : « Son budget n’était pas en baisse
de 7% mais de 3,5%. (…) Elle le sait, la preuve, c’est qu’elle n’avait pas demandé d’arbitrage de Matignon. (…) Elle a eu envie de se placer en victime… » ("Le Figaro" du 2 juillet
2013). Un autre conseiller reconnaît : « Il y a un principe en politique qui s’appelle la reconnaissance du ventre. Batho est en difficulté à la
tête de son ministère. Alors, elle tape sur le budget. Je n’ai jamais vu ça ! ».
Sur France Info, ce mercredi 3 juillet 2013, le Ministre du Budget Bernard Cazeneuve a enfoncé le clou : « Le budget, c’est ce qui engage la politique d’un gouvernement, c’est ce qui définit ses priorités. En ce qui concerne l’environnement, c’est une
priorité. ».
Bouc (ou chèvre) émissaire ?
Du côté de la ministre débarquée, on crie au machisme et aussi à la mauvaise foi : « Elle n’a pas dit que Ayrault faisait chier avec son aéroport ! » comme l’avait dit Arnaud Montebourg en décembre 2012.
À l’évidence, François Hollande et Jean-Marc Ayrault ont
pris de la fièvre au cours d’une crise d’autoritarite aiguë car les propos de Delphine Batho étaient moins graves, pour la cohésion gouvernementale, que les propos de Vincent Peillon en faveur du cannabis (Ministre de l’Éducation nationale !), de Cécile Duflot aussi pour le cannabis, de son parti EELV contre le TSCG, d’Arnaud Montebourg sur Mittal ou Dailymotion contre les directives du Ministre de l’Économie Pierre Moscovici, ou encore du sous-ministre Kader Arif qui avait annoncé prématurément, en séance devant les
députés le 21 février 2013, la libération d’otages français en Afrique que le Quai d’Orsay avait dû démentir quelques minutes après (imaginons le moral des familles)…
Deux poids et deux mesures. Mais peut-être justement que Delphine Batho n’a aucun poids politique : ni
chef de parti, ni candidat à la primaire, ni élément-clef du dispositif présidentiel. Maillon faible, en quelques sortes.
Une militante et apparatchik avant tout
Elle fait partie justement de cette génération actuelle de députés et de jeunes ministres socialistes qui ont
construit toute leur existence comme des "apparatchiks" du PS. Delphie Batho, qui était sortie brillamment du lycée Henri-IV à son baccalauréat, avait abandonné ses études pour se consacrer
pleinement à ses activités de militante : FIDL (syndicat étudiant) puis SOS-Racisme (vice-présidente), et, découverte par Julien Dray, elle a travaillé pour lui au sein du Conseil régional
d’Île-de-France sur les questions de sécurité dont elle est devenue la spécialiste au sein du PS.
Ce n’est d’ailleurs pas par hasard qu’elle a pu occuper à partir de 2001 (date de première élection de
Bertrand Delanoë comme maire de Paris) un appartement de 108 mètres carré pour 1 524 euros par mois,
un loyer bien inférieur au prix du marché (selon "Le Monde" du 21 mars 2012).
Députée et ministre par la grâce du couple Royal-Hollande
C’est pendant la campagne présidentielle de 2007 où Delphine Batho a commencé à se faire connaître du grand
public, comme porte-parole de la candidat Ségolène Royal. Cette dernière l’a tellement appréciée qu’elle
l’a imposée dans sa deuxième circonscription des Deux-Sèvres pour lui succéder le 17 juin 2007 (le candidat local du PS, Éric Gautier, qui était alors le suppléant de Ségolène Royal, avait dû
s’effacer au cours d’une primaire très partagée devant les militants de la circonscription). La circonscription de Melle est en or pour le PS : Delphine Batho a été élue députée au second
tour avec 57,4% et le 10 juin 2012, elle est même réélue dès le premier tour avec 53,2%.
Le 16 mai 2012, après avoir été porte-parole du candidat François Hollande après avoir soutenu loyalement
Ségolène Royal pendant la primaire socialiste de 2011, Delphine Batho est consacrée comme ministre
déléguée auprès de la Ministre de la Justice Christiane Taubira.
Mais les deux ministres ne se sont pas entendues (relations conflictuelles) et dès le 21 juin 2012, elle a quitté Place Vendôme pour reprendre le Ministère de l’Écologie d’où fut déjà débarquée
la très scrupuleuse Nicole Bricq (recasée au Ministère du Commerce extérieur). Ce fut une surprise puisqu’elle ne connaissait aucun dossier de ce ministère.
Conflit Royal
En 2012, Ségolène Royal a souhaité reprendre sa circonscription pour se faire élire au perchoir, mais
Delphine Batho a refusé obstinément et a tout fait pour conserver sa circonscription. L’ancienne candidate à l’élection présidentielle a alors dû se parachuter elle-même à La Rochelle avec le
succès que l’on sait.
Depuis un an, d’ailleurs, les deux femmes ne peuvent plus se voir. Chacune s’évite dans les diverses
manifestations locales. Un élu local UMP a raconté son amusement : « À chaque fois que j’ai un contact avec Royal, je parle de Batho, et
inversement. Il n’y a jamais de réaction, pas même un battement de cil. Juste une grande froideur ! ».
Le 4 mars 2013 sur France Inter, Ségolène Royal n’avait pas hésité à taper sur son ancienne dauphine :
« On a encouragé les Français pendant des années à acheter des voitures diesel, on ne va pas du jour au lendemain leur taper sur la tête avec un
impôt supplémentaire. Je considère que l’écologie ne doit pas être punitive. Si à chaque fois qu’on fait de l’écologie, on met un impôt supplémentaire, alors les Français se détourneront de
l’écologie. ».
Le 2 juin 2013 sur France 5, l’ancienne marraine avait jugé sévèrement l’action de la ministre qui n’avait
pas renouvelé le parc automobile de son ministère avec des véhicules électriques construits …par une entreprise charentaise en difficulté (Heuliez) : « C’est dramatique de ne pas croire à la mutation écologique ! ». Un conseiller ministériel confirmait : « Delphine Batho est députée dans le département où sont fabriqués les Mia Electric. Elle n’en a pas acheté une. ».
Ségolène Royal peut donc aujourd’hui savourer sa petite revanche, d’autant plus que le 2 juillet 2013 sur
RTL, Delphine Batho est revenue à la charge lourdement, en envoyant la grosse cavalerie : « Honnêtement, je n’ai pas voulu répondre [aux
critiques émises en juin] pour la raison suivante : Ségolène Royal souffre, après un certain nombre d’échecs difficiles. (…) Mais la limite de cette souffrance, c’est que l’individu ne doit
pas l’emporter sur le collectif. (…) La gauche, c’est un combat collectif, et une des leçons qu’il faut retenir des échecs que je rappelais, c’est qu’on ne réussit pas en tirant contre son
camp. ».
Ségolène a-t-elle appelé son ancien compagnon François pour régler le sort de Delphine ? Qu’en pense
Valérie ?
Pas grand chose à son actif
Sa principale action comme Ministre de l’Écologie fut l’adoption chaotique de sa loi sur la tarification énergétique, systématique repoussée par le
Sénat grâce à une alliance improbable entre communistes et UMP, et dont la principale mesure, aberrante d’un point de vue du droit, le malus/bonus (j’y reviendrai plus tard), fut heureusement invalidée par le Conseil Constitutionnel.
La gestion du nouvel aéroport de Nantes (Notre-Dame-des-Landes), chasse gardée du Premier Ministre, a été
également chaotique, en se mettant à dos les écologistes et certains autres alliés de gauche.
Quant à son projet de loi sur la biodiversité, il n’a même pas vu le jour malgré son annonce. Plus
globalement, beaucoup d’associations de défense de l’environnement lui reprochent de ne pas avoir réussi à s’imposer au sein du gouvernement.
Il faut dire que l’écologie ne fait visiblement pas partie des priorités de François Hollande. C’est le seul
ministère qui a changé de titulaire depuis son arrivée au pouvoir, et trois titulaires en un peu plus d’un an (après l’éviction de Nicole Bricq). On est loin du superministère supervisant les
Transports, le Logement, l’Énergie, etc. qui avait été confié à Jean-Louis Borloo puis Nathalie Kosciusko-Morizet dans le quinquennat précédent.
Philippe Martin
Le nouveau Ministre de l’Écologie s’appelle Philippe Martin (59 ans), aux faux airs de Stéphane Collaro,
député PS depuis le 19 juin 2002 et président du Conseil général du Gers depuis le 23 mars 19978, à ne pas confondre avec le député UMP de la Marne, Philippe (Armand) Martin (64 ans), qui fut le
tombeur de Bernard Stasi le 28 mars 1993.
Philippe Martin est lui aussi un "apparatchik" dans le sens où il a commencé sa carrière dans de nombreux
cabinets ministériels socialistes de l’époque Mitterrand (Roger Quilliot, Paul Quilès, Michel Charasse),
puis, au tour extérieur, a été nommé préfet du Gers de 1992 à 1994, et des Landes de 1994 à 1995, s’investissant dans l’action politique en 1998 pour devenir directement président du Conseil
général du Gers (il en fut le préfet quatre ans avant !) cumulant avec son mandat de député à partir de 2002.
Ce proche de Laurent
Fabius a pour carte de visite écologique son action contre les OGM par le vote d’une résolution dans son département le 11 juin 2004 qui fut infirmée et confirmée par différentes procédures
administratives s’étendant jusqu’au 30 décembre 2009.
Lors de sa passation des pouvoirs le 3 juillet 2013, Philippe Martin a voulu rassurer les écologistes :
« Mon travail sera de faire que l’écologie soit effectivement à la place qui lui revient dans la politique du gouvernement, c’est-à-dire une place de
choix. ».
Ils protestent mais gardent leurs ministères
Car il y a eu un petit piment pour corser le tout : attaqués au vif sur leurs préoccupations
écologiques, les écologistes du gouvernement ont tenu mardi soir une "réunion de crise" (sic) à trois (Cécile Duflot, Pascal Canfin et Pascal Durand). Jean-Vincent Placé avait même menacé en prétendant qu’ils étaient sur le point de quitter le pédalo.
Finalement, ce ne fut qu’une tempête dans un verre d’eau… Les leaders d’EELV ont préféré conserver leurs
maroquins, la France respire !
Un nouveau courant ?
Très remontée contre François Hollande, Delphine Batho tiendra une conférence de presse demain, jeudi 4
juillet 2013, à 15h00, au cours de laquelle elle s’expliquera sur son limogeage, des circonstances et des conséquences. Elle devrait pouvoir retrouver son siège de député sans élection (le PS
fera tout pour éviter une nouvelle élection législative partielle).
Si elle en avait l’envergure, il ne lui resterait plus qu’à créer un nouveau courant au PS pour rassembler
tous les déçus du hollandisme révolutionnaire, et reprendre le flambeau d’Henri Emmanuelli, Benoît Hamon,
Marie-Noëlle Lienemann, Arnaud Montebourg…
Même au sein du gouvernement, les socialistes ne sont pas d’accord sur la politique à suivre. Alors, pourquoi
le demander à leurs électeurs ? Et comment ne pas comprendre pourquoi leurs candidats ne sont même plus au second tour dans les législatives partielles de l’Oise et du Lot-et-Garonne ?
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (3 juillet
2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
François Hollande.
Jean-Marc Ayrault.
Ségolène Royal.