Magazine Société

"Album Cendrars" de Laurence Campa

Publié le 04 juillet 2013 par Francisrichard @francisrichard

L'année 2013 est à marquer d'une pierre blanche. Non seulement Blaise Cendrars fait son entrée dans la bibliothèque de La Pléiade, mais il fait l'objet du cinquante-deuxième album de ladite bibliothèque.

Si les Oeuvres autobiographiques complètes de l'écrivain originaire de La Chaux-de-Fonds - il y est né le 1er septembre 1887 - ont été éditées en deux volumes sous la direction de Claude Leroy, l'album iconographique a été élaboré et commenté par Laurence Campa, spécialiste d'Appolinaire et des écrivains de la Grande Guerre (1914-1918).

Les amateurs de littérature ne peuvent que se réjouir de cette double consécration, celle de l'oeuvre et de l'homme.

Car, à la faveur d'une iconographie riche (deux cents illustrations), et en partie inédite, Laurence Campa raconte la vie d'un homme qui "ne touche jamais aux légendes" et qui en est une lui-même.

Le jeune Frédéric Sauser - c'est son vrai nom - est un rebelle qui, pendant les vacances, lit sans relâche. Puisqu'il ne veut pas étudier et voir du pays, ses parents l'envoient en Russie où il sera "commis chez Leuba, un compatriote installé à Saint-Pétersbourg".

C'est là-bas que, le rythme et le climat le rongeant, "la lecture le sauve de l'asphyxie":

"A la Bibliothèque impériale, il note scrupuleusement toutes ses lectures, dont L'Idiot de Dostoïevski, qu'il relira chaque année, "pour ne pas oublier la belle langue russe"."

Le veinard...

Il ne sera pas toujours veinard, à force d'aller jusqu'au bout ...

A dix-neuf ans il tombe amoureux d'une jeune fille de son âge, Hélène Kleinmann, mais il doit rentrer en Suisse, d'abord à Bâle, puis à Neuchâtel où sa mère se meurt. Hélène meurt accidentellement (avant sa mère) alors qu'avec le temps son amour pour elle a perdu "puissance et relief"...

Dans les vicissitudes ce sont toujours les lectures qui le sauvent:

"Aux illusions de l'affection filiale et de la camaraderie, il préfère Tolstoï, Goethe, Maupassant, Dostoïevski, et la Trauermarsch de Chopin."

Après la mort d'Hélène, "qui se fiche à jamais dans sa vie":

"Les livres sont un baume au malheur, comme son jeune amour l'était à l'errance pétersbourgeoise: Mirbeau, Machiavel, Poe, Verlaine, Swedenborg et peut-être plus encore, Les Fleurs du Mal de Baudelaire, où il retrouve toute sa pensée, toute sa tendresse et toute sa haine..."

Ses premières oeuvres sont des poèmes "aux accents verlainiens"...

Puis il rencontre Félicie Poznanska, Féla pour les intimes. Elle sera la mère de ses trois enfants - c'est son destin. Il ne sera jamais - elle le sait - "le compagnon capable de soutenir la lutte de la vie quotidienne" et d'"égayer un foyer dans les moments où surgirait dramatique, la nécessité du sacrifice".

La nuit de Pâques 1912, il est à New-York, il écrit un long poème Les Pâques, à partir duquel il sera autre et deviendra Blaise Cendrars:

"La braise, l'art et les cendres, l'autodafé, la renaissance. Le poète est devenu phénix, sa poésie incandescence."

Quand la Grande Guerre éclate, il s'engage après avoir signé un appel aux amis de la France:

"Toute hésitation serait un crime. Point de paroles, donc des actes. Des étrangers amis de la France, qui pendant leur séjour en France ont appris à l'aimer et à la chérir comme une seconde patrie, sentent le besoin impérieux de lui offrir leurs bras."

Il ne croit pas si bien signer puisque le 28 septembre 1915, Blaise Cendrars offre son bras droit à la France et devient manchot. En tout début d'album, Laurence Campa a choisi deux illustrations émouvantes qui reproduisent ses écritures de la main droite, en 1904, et de la gauche, en 1946...

Bien sûr la vie de Cendrars ne se résume pas à ces tranches de vie évoquées ci-dessus, mais elles expliquent, me semble-t-il, beaucoup de l'écrivain qu'il est devenu par la suite. Car, dans son cas, il est bien difficile de dissocier l'oeuvre et l'homme, même s'il prend des libertés avec la réalité pure et dure. Il faut donc lire et feuilleter l'Album Cendrars pour en savoir davantage sur cet écrivain hors normes.

Laurence Campa termine ses commentaires judicieux par celui-ci, qui correspond tellement bien à Cendrars:

"L'oeuvre et la vie de Cendrars débarrassent nos perceptions de la béquille de la raison, nous impriment les stigmates de la création, nous divulguent leurs vertus vulnéraires, approfondissent le monde où il nous est imparti d'exister. Partant, il importe d'aimer les mythes et de croire aux légendes."

Francis Richard

Album Cendrars, Laurence Campa, 248 pages, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Francisrichard 12008 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazine