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L'indignation ne roule plus à gauche

Publié le 05 juillet 2013 par Copeau @Contrepoints

Voilà que des revendications d’un nouveau type viennent gâcher la fête des protestations de gauche.

Par Fabio Rafael Fiallo.

L'indignation ne roule plus à gauche

Elles ne sont pas si loin, ces années 70 et 80 du siècle dernier, quand la stagflation plombait l’économie mondiale et les États-Unis se trouvaient contestés de toutes parts. La fin du capitalisme pointait à l’horizon, tandis que l’Amérique perdait son rang de superpuissance à pas accélérés. C’était au moins ainsi que les soi-disant « forces progressistes » – c’est-à-dire la gauche – percevaient l’avenir.

Des manifs venaient étayer cette vision du monde. Des manifs d’abord contre la guerre du Vietnam et le renversement d’Allende au Chili, ensuite contre les missiles américains Pershing en Europe de l’Ouest.

Pas un mot, en revanche, contre les missiles SS 20 en Europe de l’Est, et moins encore contre l’invasion soviétique en Afghanistan. Quant au goulag, il était de bon ton d’en douter de l’existence et de rétorquer que, tout compte fait, les sans-abris de New York ne vivaient pas mieux.

La répression à Cuba, en Chine et au Cambodge passait, elle aussi, au compte de pertes et profits.

Car, pour la gauche purificatrice, il ne fallait pas se tromper de cible. L’ennemi, le vrai, le seul, n’était autre que le capitalisme agonisant et l’Amérique déliquescente.

Mais voilà que des revendications d’un nouveau type vinrent gâcher la fête des protestations de gauche. Les peuples d’Europe de l’Est se mirent à chanter d’autres antiennes, à exprimer d’autres doléances. Eux, qui avaient dégusté le socialisme réel des décennies durant, rêvaient de liberté. À la planification d’État, ils préféraient les lois du marché. Et s’ils demandaient quelque chose aux Américains, ce n’était pas de partir d’Europe, mais de soutenir leur lutte.

L’issue est bien connue. Au grand étonnement des « forces progressistes », ce ne fut pas le capitalisme, mais le socialisme, qui s’effondra comme un château de cartes.

La gauche ne prit cependant pas longtemps pour réajuster son logiciel de contestation. Au tournant du siècle, les altermondialistes firent leur apparition, suivis des « Indignés » de Stéphane Hessel. Puis, la crise des subprimes et la récession économique qui en découla donneraient des ailes à tout ce beau monde – comme l’avait fait dans son temps la stagflation des années 70.

Mais voilà que, encore une fois, d’autres revendications, n’ayant guère ou rien à voir avec celles de la gauche, se font jour. Les régimes ciblés ne sont pas tout à fait ceux contre lesquels la gauche aurait déversé sa colère. Il s’agit en effet de régimes, soit carrément « anti-impérialistes » et donc ayant de la respectabilité aux yeux de la gauche (Kadhafi), soit soutenus par les rivaux des États-Unis (par la Russie, la Chine ou l’Iran), suscitant de ce fait la sympathie, ou tout au moins le silence complice, de nos « Indignés » contestataires.

Les Iraniens demandant à Obama de leur venir en aide, Kadhafi tombant par la colère des Libyens avec l’appui de l’OTAN, le « tiers-mondiste » Laurent Gbagbo chassé par son propre peuple avec l’aide de l’ancienne puissance coloniale, Bachar al-Assad massacrant des Syriens par dizaines de milliers avec le soutien diplomatique de tout ce que l’Amérique latine compte d’« anti-impérialistes » au pouvoir (Chávez et les frères Castro en tête de file), autant de phénomènes qui – à l’instar des manifestations en Europe de l’Est dans les années 80 – ne correspondent pas au schéma bien huilé des protestations de la gauche.

Quant à l’Europe, plus que les « Indignés » de Hessel, ce sont les mouvements d’extrême droite et de la droite souverainiste qui tirent profit de l’impopularité des politiques d’austérité liées à l’aide financière accordée par Bruxelles et la BCE aux pays fortement endettés de la zone euro.

Plus gênant encore, les bastions du populisme latino-américain, loués par une gauche hébétée à leur égard, sont mis à mal par leurs peuples.

Au Venezuela, ce fut seulement par la mainmise du gouvernement sur les ondes de télévision, par le harcèlement politique et judiciaire contre l’opposition, et finalement par une fraude électorale constatée et dénoncée par des observateurs indépendants (notamment par ceux de l’Institut des Hautes Études Européennes [1]), que Nicolas Maduro, successeur désigné par Hugo Chávez et docile allié du régime des frères Castro, a pu être proclamé vainqueur des élections présidentielles d’avril de cette année.

Car n’en déplaise à la gauche pure et dure, celle d’Attac, du Monde diplomatique et autres Mélenchon, les Vénézuéliens désertent le chavisme. Même avec fraude électorale, le chavisme a perdu un million de voix entre les élections présidentielles d’octobre 2012 et celles d’avril 2013, le candidat de l’opposition ayant atteint lors de ces dernières – toujours selon les chiffres officiels, pourtant trafiqués par le pouvoir – un honorable 49,3%.

Rien ne va plus non plus chez une autre coqueluche de la gauche, le Brésil de Lula. Des millions d’hommes et de femmes viennent d’investir les villes de ce pays pour protester contre l’inflation, la corruption et la mauvaise qualité des services publics. Bilan peu réjouissant de la très gauchiste Dilma Rousseff, dont la cote d’approbation a chuté de 57% à 30% en moins d’un mois.

Quant à Cuba, c’est la répression et non pas l’approbation populaire qui depuis belle lurette fait tenir le régime des frères Castro. Comme l’aura constaté la revue The Economist : « Sur une grande partie de Cuba, il est difficile de trouver quelqu’un au-dessous de 40 ans qui parle en bien du système » [2].

Commentant l’effritement de la popularité du chavisme, la fille du Che, Aleida Guevara March, déclara que les Vénézuéliens sont un peuple « ignorant », pas suffisamment « préparé pour valoriser le chavisme » [3].

Voilà exprimé sans nuance le conflit abyssal qui existe entre les incontournables aspirations des peuples au bien-être et à la liberté et les piètres bilans d’une gauche sure d’elle-même et de ses dogmes.

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Notes :

  1. "Observadores europeos: Maduro hizo trampas en los comicios de Venezuela", El Nuevo Herald, Miami, 20-06-2013.
  2. "Inequality: The deal’s off", The Economist, 24-05-2012.
  3. "Hija del ‘Che’ Guevara dice que Venezuela no está preparada para valorar el chavismo", EFE, 05-05-2013.

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