Malgré la crise et les politiques d’austérité, les exportations d’armes font toujours recette. La France tire son épingle du jeu, avec un carnet de commandes qui ne désemplit pas. Parmi ses clients, la Grèce et l’Espagne, qui continuent d’acheter le matériel fabriqué dans l’Hexagone. Le montant des dépenses militaires en Europe rivalise avec celui des déficits budgétaires. Faute d’une transparence totale sur le commerce des armes, les chiffres annoncés ne reflètent pourtant qu’une partie de la situation. Explications.
Photo : journal.tgd.ch La France fait partie des cinq premiers exportateurs mondiaux d’armement. Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, se félicite des 6,5 milliards d’euros de commandes honorées en 2011. Le gros des ventes est destiné aux monarchies du Golfe (Arabie Saoudite et Emirats Arabes Unis), aux États-Unis, à l’Inde, mais aussi aux pays européens, dont le Royaume-Uni et l’Espagne. Malgré les mesures d’austérité et les coupes budgétaires, l’Europe n’a pas diminué son budget d’achat d’armement. L’Espagne a plus que doublé ses achats d’armes auprès de la France : 102 millions en 2010, contre 216 millions d’euros en 2011. La Grèce n’est pas en reste : elle a dépensé 106 millions d’euros pour acquérir du matériel militaire en 2011 (dont 81 millions auprès de la France). En dix ans, le pays a acheté pour 4 milliards d’euros de matériels militaires, dont la moitié à la France.
Dépenses militaires contre déficits budgétaires
L’accès à ces informations est permis par l’application que vient de développer l’ONG britannique Campaing Against Arms Trade (CAAT ) en partenariat avec le Réseau européen contre le commerce d’armes [1 ]. Cet outil permet à n’importe quel citoyen de connaître en un seul clic la valeur des exportations d’armes et d’équipements militaires sous licence des pays de l’UE (avions, munitions, équipements électroniques, blindés...), ainsi que les pays acheteurs. Le tout est répertorié par année depuis 1998, date à laquelle le Conseil européen a adopté le code de conduite de l’Union européenne en matière d’exportation d’armements [2 ].
Un rapport du Transnational Institute pointe du doigt la corrélation entre les achats d’armes de pays en sérieuses difficultés économiques – tels que l’Espagne, la Grèce, l’Italie et le Portugal – leur dette souveraine et les politiques d’austérité qu’ils imposent chez eux. « Le plus choquant, dans le contexte actuel d’austérité [économique], c’est que les dépenses militaires de l’UE se sont élevées à 194 milliards d’euros en 2010, l’équivalent de la somme des déficits annuels de la Grèce, de l’Italie et de l’Espagne », remarque l’auteur, le Néerlandais Frank Slijper, dans le prologue de son rapport.
Un code de conduite à géométrie variable
Ces informations sont pourtant bien en-deçà de la réalité. Pour alimenter son application, CAAT n’a en effet pu disposer que des données « officielles ». Celles que les pays membres de l’UE sont tenus de publier en vertu du code de conduite, sous forme de rapports annuels, dans le Journal officiel de l’UE. Ces données se limitent aux équipements militaires inclus dans la liste de l’Union européenne (en omettant les armes à double usage, militaire et civil) et aux armements sous licence spécifique, dont les quantités et la valeur à l’exportation sont limitées dans le temps, contrairement aux armements sous licence globale qui ne figurent pas dans les rapports des pays-membres.
Ceux-ci ne fournissent pas non plus systématiquement des informations sur les transferts : le pays de destination déclaré n’est pas toujours le bénéficiaire final des armes. Il peut aussi se fournir en composants qui seront ensuite intégrés dans un système d’armement revendu ailleurs. Enfin, deux pays, l’Allemagne et le Royaume-Uni, n’ont jamais déclaré la valeur monétaire de leurs exportations d’armes, ce qui déséquilibre les résultats de l’application [3 ].
Vente d’armes par l’Europe : 37,5 milliards d’euros
Malgré tout, l’application permet de savoir qu’en 2011 l’Union européenne a autorisé son industrie de l’armement à exporter du matériel pour un montant total de 37,5 milliards d’euros. L’outil invite à mettre en relation le discours sur le respect des droits humains et de la démocratie avec le commerce d’armes. « Le plus inquiétant est de constater qu’un même pays, par exemple le Royaume-Uni, va vendre des armes de façon indiscriminée à des Etats en conflit tels que l’Inde et le Pakistan », pointe Ian MacKinnon, l’un des concepteurs de l’application, lors d’une interview accordée à Basta !.
Pourtant, ces exportations sensibles doivent être subordonnées au « respect des droits de l’homme dans le pays de destination finale et respect du droit humanitaire international par ce pays », d’après le critère n°2 de la Position commune de l’Europe sur le sujet. Ce problème a été soulevé en octobre 2011 par Amnesty International. L’ONG a interrogé la France sur ses ventes d’armes, dans le contexte des révolutions au Maghreb et au Moyen-Orient, à des pays tels que le Bahreïn, l’Égypte, la Syrie, la Libye et le Yémen. Amnesty International n’a jamais reçu de réponse claire sur les liens possibles entre la vente d’armes dites « à double usage » (militaire et civil) et la répression subie par les populations civiles.
Recueillir des données sur le montant des exportations réelles
CAAT entend poursuivre sa pression sur les gouvernements de l’UE, relayée par d’autres associations européennes qui luttent contre le commerce d’armes, pour exiger une plus grande transparence. L’ONG a réussi à ouvrir un débat avec l’organisme britannique de contrôle des exportations d’armements (ECO) : « Leurs réponses à nos questions sont souvent utiles, mais leur fonction principale est de réguler et de faciliter les exportations stratégiques, explique Ian Prichard, coordinateur de la campagne. ECO est cependant en train d’étudier la possibilité de fournir la valeur des équipements exportés sous licence globale, le nom des fournisseurs et la nature des destinataires. Mais nous ne savons pas dans quelle mesure ECO fournira ces données ».
Le 22 juin, la campagne a organisé un Data Hack Day, ouvert toutes les personnes intéressées pour collaborer au développement de l’application (programmateurs, concepteurs web, illustrateurs, statisticiens, scientifiques, politologues...). L’année prochaine, l’ONG britannique s’attaque au projet pharaonique de comparer les données gouvernementales avec celles des douanes qui, elles, connaissent la valeur réelle des exportations d’armements.
Nathalie Pédestarres
Source : http://www.bastamag.net/article3174.html
Notes
[1 ] Cette application utilise les données issues de l’Official Journal of the European Union annual reports on the European Union Code of Conduct on Arms Exports.
[2 ] Le code de conduite de l’Union Européenne en matière d’exportation d’armements a été remplacé en 2008 par la position commune 2008/944/PESC, juridiquement contraignante, qui définit des règles communes aux États-membres régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires.
[3 ] L’application fait la distinction entre la valeur des équipements autorisés à l’exportation (sous licence) par un pays et la valeur de ses exportations d’armes réelles. Dans le premier cas, il s’agit de la quantité d’armements et du montant total de ceux-ci qu’un industriel est autorisé à exporter par un gouvernement pendant une période donnée. L’industriel peut choisir d’exporter la totalité de ses produits immédiatement ou échelonner les exportations sur plusieurs années ou ne rien exporter du tout. Voilà pourquoi les chiffres des équipements autorisés ne correspondent pas à ceux des exportations réelles.
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