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Destitution de Morsi en Égypte : réactions mitigées en Tunisie

Publié le 06 juillet 2013 par Copeau @Contrepoints

Pour ou contre la destitution du Président égyptien Morsi par l’armée ? Est-ce un coup d’État ou non ? Le débat fait rage en Tunisie. Pour certains, ce qui se passe en Égypte est positif, car chasser à tout prix les islamistes du pouvoir est nécessaire. Pour d’autres, c’est un coup d’État militaire et les avis sont encore plus partagés.

Par Lilia Weslaty (*), depuis la Tunisie.

Destitution de Morsi en Égypte : réactions mitigées en Tunisie

L’armée entreprend une vague d’arrestations et d’attaques envers les médias islamistes

Depuis dimanche 30 juin et le mouvement "Tamarod" ( NDLR : "désobéissance" en arabe ) qui vise à chasser M. Morsi du pouvoir, l’armée a démontré que c’était bien elle qui menait le jeu. Le général Abdel Fattah al-Sissi (ex-chef des renseignements militaires) a démis son "bienfaiteur" Morsi alors que ce dernier l’avait mis en place pour remplacer son prédécesseur Tantaoui en août 2012…

Dans un contexte très tendu et avec des violences qui ont déjà fait quarante sept morts et des centaines de blessés et ce depuis le 26 juin selon l’AFP, l’armée réagit en imposant un ultimatum de quarante-huit heures pour trouver un consensus et une "feuille de route". Le mercredi 3 juillet vers 17 heures, c’était déjà fini. Le président de la Cour Constitutionnelle, Adly Mansour, est devenu président par intérim, grâce à l’armée. Morsi est renversé. Le soir même, l’armée interrompt la diffusion d’Al Jazeera et une vingtaine de chaînes de télévision proches des islamistes, notamment Arrahma, Misr 25 El Hafedh et Al Nas, sont suspendues un quart d’heure avant la communication de l’armée sur l’éviction de Morsi.

Les arrestations usuelles dans ce genre de situation n’ont pas tardé à commencer. D’après l’agence de presse d’État MENA, Mohamed Saad al-Katatni, le chef du Parti de la Justice et de la Liberté des Frères musulmans, et Rashad al-Bayoumi, guide général adjoint du groupe, ont été arrêtés. Les anti-Morsi justifieront ces graves atteintes par les "appels à la haine" des islamistes sans penser au rôle anormal accaparé par l’armée, devenue juge et partie.

Le jeudi 4 juillet, le journal égyptien Al Ahram parle d’ordre d’arrestation de trois cents membres des Frères musulmans. Mohammed Badie, Guide suprême des Frères musulmans égyptiens, a été lui aussi arrêté par la police militaire égyptienne dans le village el Andalousseya a Matrouh.

Réactions en Tunisie : entre pro et anti-islamistes

Ennahdha

Les réactions en Tunisie face à ce qui se passe en Égypte sont diverses.

Celle d’Ennahdha le parti islamiste au pouvoir a été claire dans son communiqué en qualifiant la destitution de Morsi de "Coup d’État contre la légitimité" :

Nous refusons le coup d’État évident et nous réaffirmons que la légitimité en Égypte est unique et n’est représentée que par Mohamed Morsi, uniquement.

Ennahdha a aussi condamné "les arrestations des Frères musulmans et leaders du parti de Morsi ainsi que l’interruption des chaines télévisées et leur interdiction de transmettre les vérités" sans défendre explicitement la liberté d’expression.

De son côté, Lotfi Zitoun du même parti et ancien conseiller de l’ex-Chef du gouvernement Hamadi Jebali, a émis un avis plus nuancé en affirmant que :

Nous devons faire la différence entre notre point de vue vis-à-vis du coup d’État militaire en Égypte, qui doit être condamné et fermement rejeté, et la position quant à la performance du mouvement des Frères musulmans au sein du gouvernement, qui a fourni les arguments du renversement… Certes, les Frères musulmans n’ont pas commis de meurtres, mais ils ont commis des erreurs mortelles dont les plus importantes sont le fait de s’être accaparé du pouvoir et la marginalisation des jeunes de la Révolution même parmi ceux qui étaient dans leur camp.

L’une des réactions qui a retenu l’attention des internautes tunisiens a bien été celle de Hichem Laaridh, fils du Chef du gouvernement actuel Ali Laaridh qui a cité dans ses twitts un verset coranique appelant au meurtre ("Et tuez les mécréants comme ils vous tuent, tous, et sachez que Dieu est avec les prudents.") puis un appel au Djihad.

Le parti Nidaa Tounes

Le parti Nidaa Tounes, considéré comme le principal concurrent des islamistes d’Ennahdha a rejoint le courant dissident en Égypte en félicitant les manifestants dans son communiqué :

Nous félicitons le peuple égyptien sur l’esprit de responsabilité et de discipline, restaurant les grandes leçons de la révolution du 25 Janvier 2011

Il est important de signaler que cette position ne concerne pas ses alliés Al Jomhouri et Al Massar dans le front politique l’Union pour la Tunisie.

Union Général des Travailleurs Tunisiens

Par ailleurs, dans un bras de fer évident visant la classe politique au pouvoir, notamment Ennahdha et ses deux partenaires, CPR et Ettakatol, l’UGTT (l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens) a émis un point de vue divergent de la Troïka, bénissant clairement le mouvement Tamarod :

Nous félicitions le peuple égyptien, qui a imposé sa légitimité et sa volonté par son unité, sa détermination et la clarté de ses revendications rappelant que c’est bien le peuple qui donne la légitimité ou la retire quand le gouverneur fait semblant d’avoir oublié les objectifs de la Révolution et ses promesses.

La Présidence de la République

Réalisant l’importance du moment, le Président de la République Moncef Marzouki pourtant occupé par la visite du Président français François Hollande à Tunis, a également réagi à coup de communiqué pour rappeler que l’État tunisien :

considère que l’intervention de l’armée dans les affaires politiques directes et le fonctionnement des institutions civiles est inacceptable au niveau international et dans le projet de loi de l’Union africaine, car elle peut aggraver la crise politique plutôt que de la résoudre en élargissant le cercle de la violence et de l’extrémisme et l’alimente, s’il n’y a pas une remise rapide du cheminement démocratique sur ses rails.

Réactions de la société civile

Bien conscient de ces jeux politiques à coup de communiqués, l’activiste et blogueur Azyz Amami mettra d’ailleurs l’accent sur la différence entre le rôle de la centrale syndicale en Tunisie et l’armée en Égypte en écrivant sur son mur Facebook :

N’avez-vous pas remarqué qu’en Égypte, ils usent de tous les moyens d’activisme et qu’à chaque fois que ça devient chaud, ils ne proposent jamais la grève générale comme alternative ? Alors que, politiquement, la grève générale est l’arme la plus redoutable pour toute revendication et la meilleure menace. Voici où se situe la grande différence entre la Tunisie et l’Égypte.

Parmi d’autres réactions, pro-coup d’État, la question de la légitimité des urnes et des institutions n’avait aucune importance. Pour Kalthoum Jmail, écrivaine, ce coup d’État était bénéfique :

Elf Mabrouks pour l'Égypte, "mère du monde" dit-elle. Je suis heureuse pour ce premier pays Arabe qui prend enfin son destin en main. Quelle merveilleuse innovation historique : un coup d’État militaire pour un futur pays laïc, des droits de l’Homme… Les prochains rounds sont encore à venir mais le plus important est remporté… Que la chance soit avec vous, peuple d’Égypte. Que tous vos enfants soient à présent en sécurité…

Cependant, d’autres Tunisiens, critiques avec plus de modération envers le renversement de Morsi, analysent la chose autrement. Ainsi, selon Slim Laghmani, professeur de droit international :

Ce qui s’est passé en Égypte est un coup d’État militaire, donc un acte par définition illégal. Qu’on le juge légitime ou pas, nécessaire ou pas est une tout autre question, une question de positionnement politique.
J’aurai personnellement préféré que l’armée demeure activement neutre, c’est-à-dire qu’elle prive une partie du bras armé de l’État sans pour autant l’accorder à l’autre. Qu’elle se limite à protéger les manifestants, à s’interposer entre eux et les partisans de Morsi à laisser faire la dynamique populaire en garantissant son caractère pacifique.
La mobilisation populaire aurait probablement abouti au même résultat, dans un laps de temps plus long peut-être, mais là on aurait parlé de révolution.

Jusqu’à maintenant, les réactions des Tunisiens, toutes classes confondues, ne cessent de fuser, voire d’évoluer pour devenir plus dubitatives, surtout après les arrestations et les atteintes à la liberté d’expression des dernières vingt-quatre heures. Pour d’autres, un mouvement similaire en Tunisie devrait avoir lieu pour mettre fin au "règne des islamistes" comme ils le disent. Une pétition avait déjà été entamée pour soutenir la "désobéissance" en Tunisie récoltant jusqu’à maintenant 11 000 signatures.

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Article initialement publié sur Nawaat.org.

(*) Lilia Weslaty est journaliste pour Nawaat.org


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