Serez-vous réellement sûrs, électeurs, de voir siéger les candidats à qui vous aurez confié votre voix ? À partir
de 2017, peut-être plus… Zoom sur la cuisine électorale du PS.
Il y a cinq mois, je craignais qu’une mesure très politicienne fût mise en œuvre par le gouvernement socialiste, et ma crainte était fondée : la mesure a été
officiellement adoptée par les députés dans la soirée tardive du jeudi 4 juillet 2013.
C’est en fait l’article 3 du projet de loi organique visant à "l’interdiction du cumul des fonctions
exécutives locales avec les mandats de député, sénateur ou représentant au Parlement Européen", présenté par le Ministre de l’Intérieur Manuel Valls et qui a été approuvé par les députés. Le vote solennel de l’ensemble du projet de loi organique aura lieu en séance
publique ce mardi 9 juillet 2013 à 16h15.
Cet article concerne la manière dont les parlementaires seraient remplacées en cas de renoncement à leur
mandat parlementaire pour privilégier leur mandat dans un exécutif local : « (…) Les députés dont le siège devient vacant (…) sont remplacés
jusqu’au renouvellement de l’Assemblée Ntaionale par les personnes élues en même temps qu’eux à cet effet. ». Pareillement pour les sénateurs élus au scrutin majoritaire.
Rappelons que le principe essentiel de ce projet, qui faisait partie du programme du PS et que François Hollande a accepté sans grand enthousiasme de reprendre dans son projet électoral (lui-même était cumulard, député et président du Conseil général
de Corrèze, et avant mars 2008, député-maire de Tulle), c’est d’interdire le cumul d’un mandat de parlementaire et d’un mandat d’exécutif local, que ce soir président de conseil général ou
régional, maire ou éventuellement vice-président ou adjoint dans ces structures.
Mon propos ici n’est pas d’apprécier la pertinence de cette interdiction. Elle est demandée par les Français
et elle concourrait à une meilleure clarification du rôle de l’ensemble des acteurs politiques.
La loi serait applicable à partir de la première élection suivant le 31 mars 2017, c’est-à-dire que s’il y
avait par exemple une dissolution et des élections législatives anticipées avant 2017, les députés pourraient encore cumuler jusqu’en 2020 (prochaines municipales) ou 2021 (prochaines élections
régionales ou départementales). On voit dans ce calendrier un grand enthousiasme dans sa mise en œuvre.
Je ne reviendrai pas non plus sur l’aspect assez démagogique de ce projet (le cumul des mandats est très
impopulaire) qui coûterait à la collectivité nationale un peu plus cher que la situation actuelle (en raison du plafonnement des indemnités électives, encore que cela se discute, vu la manière de
redistribuer le surplus des indemnités…) ni sur un aspect à prendre en compte, à savoir que les députés vont être encore plus godillots qu’actuellement (pourtant, ils le sont déjà bien assez),
puisqu’ils n’auront que leur parti comme seule légitimité politique, le seul qui puisse les investir, alors que les "grands élus locaux" ont une légitimité autre, locale, ce qui leur donne plus
de force pour s’opposer à l’Exécutif le cas échéant (on suivra avec attention les débats au Sénat où l’un des plus fidèles hollandiste, François Rebsamen, qui a raté d’être Ministre de
l’Intérieur, va guerroyer jusqu’au bout pour garder son double mandat de sénateur-maire de Dijon).
Je veux reprendre mon alarme de février pour insister de nouveau sur ce qui pourrait apparaître comme un
détail de la loi mais qui n’en est en fait pas du tout un.
Il s’agit de la manière de remplacer un parlementaire qui aurait décidé de renoncer à son mandat de
parlementaire pour se consacrer à son mandat d’exécutif local. Dans la législation actuelle, il y aurait une élection partielle ou le suivant de liste siégerait (selon le mode de scrutin).
La règle (constitutionnelle) des suppléances de députés est très claire : élu au scrutin majoritaire
uninominal à deux tours, le député est en fait associé, au moment de sa candidature (et de l’élection) à un suppléant. Pour les sénateurs et les députés européens, la situation est la même, soit
par suppléance pour les sénateurs de départements peu peuplés, soit par suivant de liste dans le cas de scrutin à la proportionnelle.
Ce suppléant devient automatiquement parlementaire lors de deux seuls cas, imprévisibles (ou
quasiment) : en cas de décès ou en cas de nomination au gouvernement (en raison du principe de séparation des pouvoirs, un ministre ne peut rester parlementaire). Une loi organique a aussi
prévu le cas où un parlementaire est en mission confiée par le gouvernement ; si la durée dépasse six mois, le parlementaire doit démissionner définitivement de son mandat.
Jusqu’à la réforme
constitutionnelle du 23 juillet 2008, le suppléant restait en fonction jusqu’à la fin de la législature lorsque son député était ministre et qu’il avait quitté le gouvernement entre temps.
Pour que l’ancien ministre retrouvât son siège, il fallait alors que le suppléant démissionnât de son mandat et provoquer une élection partielle (un événement que doivent aujourd’hui avoir en horreur les hiérarques du Parti socialiste).
Depuis 2008, c’est le contraire qui prévaut : le suppléant doit obligatoirement laisser le siège à
l’ancien député titulaire qui a exercé des fonctions gouvernementales puis exclu du gouvernement. Si l’ancien ministre refuse de reprendre son mandat (ce fut le cas de Jérôme Cahuzac, mais aussi de Christine Boutin en 2010), il y aura une élection
partielle. Sinon, comme Delphine Batho dans quelques jours, l’ancien ministre reprend son siège sans nouvelle élection.
À l’origine, la loi organique adoptée par le Parlement le 11 décembre 2008 consécutivement à la révision du
23 juillet 2008 prévoyait qu’en cas de refus, par l’ancien ministre, de reprendre son siège, le suppléant pouvait garder définitivement son siège, mais le Conseil Constitutionnel avait censuré la
mesure pour cette raison : « En autorisant ainsi le député ou le sénateur ayant accepté des fonctions gouvernementales à conférer un caractère
définitif à son remplacement, ces dispositions ont méconnu le deuxième alinéa de l’article 25 de la Constitution qui ne prévoit, dans ce cas, qu’un remplacement provisoire. » (c’est la
décision n°2008-572DC du 8 janvier 2009 du Conseil Constitutionnel).
Pendant la discussion en séance le 4 juillet 2013, plusieurs députés ont ainsi tenté en vain d’amender le
texte pour retirer ce remplacement automatiquement, et sans quitus électoral, par le suppléant.
Jean-Luc Laurent (PS) n’a pas hésité d’ailleurs à mettre les pieds dans le plat : « La proposition de renforcement des cas dans lesquels on s’abstiendrait d’organiser des élections partielles n’a en effet pas lieu d’être. La législation
actuelle est suffisante à nos yeux, et l’élection partielle ne doit pas être considérée comme une gêne ou un obstacle : elle constitue au contraire une respiration démocratique légitime et
nécessaire, qui doit demeurer pour les cas non prévus dans le code actuel. ».
Daniel Fasquelle (UMP) a été un peu plus polémique : « Je
ne vois pas pourquoi on devrait avoir peur des élections partielles… ou plutôt, je comprends trop bien que certains craignent aujourd’hui des élections partielles ! Je veux également mettre
en garde mes collègues contre le risque de non-conformité à la Constitution de cette disposition. ».
Jean-Christophe
Lagarde (UDI), qui a aussi défendu l’interdiction stricte du cumul des indemnités (amendement n°359), en a profité pour mettre les points sur les i : « Nous savons très bien que le suppléant n’est pas le candidat réellement choisi par nos électeurs au moment où nous nous présentons. De plus, ceux-ci n’ont
pas nécessairement à l’esprit, lorsque nous nous présentons à une élection parlementaire, que nous sommes susceptibles de quitter notre mandat. Nous allons donc potentiellement changer jusqu’au
cinquième d’une assemblée sans repasser devant le corps électoral ! C’est aujourd’hui possible lorsque l’on devient ministre ou que l’on disparaît ; reconnaissez que le nombre de cas
est alors bien plus limité. Mais avec les élections municipales, les élections départementales et les élections régionales, on peut changer jusqu’à 20% ou 25% d’une assemblée : cela me
paraît de nature à attirer l’attention du Conseil Constitutionnel. (…) La composition des assemblées élues risque de changer de façon très importante. Vous pouvez me rétorquez que les suppléants
sont élus en même temps que les titulaires et que les gens le savent. Foutaise ! La plupart des électeurs sont évidemment incapables de citer le nom du suppléant de leur député. Il s’agit là
d’un problème démocratique : il serait préférable de retourner devant les électeurs. Après tout, qu’auriez-vous à craindre ? ».
Jean-Frédéric Poisson (UMP) a ainsi résumé la tentative du gouvernement à éviter les élections partielles : « Ces deux cas sont connus [décès ou acceptation d’une fonction de parlementaire en mission, qui est une fonction exécutive, d’une durée supérieure à six
mois] ; le problème est que vous en inventez un troisième ! Ces deux cas existants dans la loi organique [actuelle] tiennent d’une certaine façon soit à la mort du titulaire, soit à la
mort des institutions, c’est-à-dire, à l’atteinte de la séparation des pouvoirs : voilà de quoi traite la loi organique. (…) En créant une hypothèse supplémentaire tenant au cumul des
mandats, (…) le cas que vous créez n’entre en conflit ni avec la capacité d’exercer le mandat, ni avec la séparation des pouvoirs. De ce fait, je prétends que le nouveau cas de remplacement
définitif n’est pas conforme à l’esprit de la Constitution, laquelle ne consacre en cette circonstance qu’un remplacement temporaire. ».
Celui qui s’est opposé le plus solidement à cette disposition, c’est l’ancien ministre radical de gauche
Roger-Gérard Schwartzenberg, universitaire et juriste chevronné (il a été le directeur de thèse de Jean-Louis Debré, l’actuel Président du Conseil Constitutionnel), en ces termes :
« Cet article 3 modifie très profondément les règles de remplacement des
parlementaires, puisqu’il prévoit notamment qu’en cas de démission pour incompatibilité ceux-ci seront remplacés par leur suppléant.
Actuellement, conformément à l’article 25 de la Constitution, la loi organique ne prévoit que
cinq cas dans lesquels ce remplacement par le suppléant intervient. Le premier cas, et le plus simple, est le décès ; puis viennent la nomination au Gouvernement, la désignation comme
défenseur des droits, etc. En dehors de ces cas, si un député décide de renoncer à son mandat de parlementaire, il ne peut être fait appel à son suppléant pour le remplacer : une élection
partielle doit être organisée.
En revanche, l’article 3 du présent projet de loi organique prévoit que, désormais, un
parlementaire se trouvant en situation de cumul et choisissant d’opter pour sa fonction locale sera remplacé par son suppléant.
Cette nouvelle disposition paraît doublement inopportune. D’une part, il paraît difficilement
envisageable de changer les règles relatives au remplacement des députés en cours de législature. En 2012, les électeurs ont voté pour qu’un candidat déterminé, le candidat titulaire, siège à
l’Assemblée Nationale, et non pour qu’y siège le candidat suppléant, qui ne bénéficie peut-être pas au même degré de leur confiance.
Il serait bien sûr excessif de parler de tromperie, mais il s’agirait, en tout cas, d’un choix
imposé et non d’un choix librement consenti. Cette atteinte à la liberté de choix des électeurs pourrait poser problème devant le Conseil Constitutionnel, à qui les lois organiques sont soumises
avant leur promulgation.
D’autre part, et l’étude d’impact le souligne, ces nouvelles règles de remplacement seraient
établies pour éviter l’organisation d’un grand nombre d’élections partielles. Il y a là une sorte de volonté d’évitement du suffrage universel, qui n’est guère conforme à la démocratie. Il
importe, au contraire, de donner la parole aux électeurs et de ne pas esquiver les élections partielles, qui leur permettent de s’exprimer entre deux consultations générales. »
Comme on le voit dans les différents arguments développés par certains députés même de la majorité, il y aurait un réel fait antidémocratique à
permettre au suppléant, sans nouvelle consultation électorale, de devenir définitivement parlementaire parce que le titulaire aurait préféré conserver son mandat local.
Ce serait aussi le meilleur moyen de tromper les électeurs qui penseraient élire une personnalité et qui aurait finalement à sa place une autre
personnalité que ceux-ci n’auraient peut-être jamais élue.
Évidemment, en dehors du déficit démocratique, c’est la méthode et les procédés du PS qui sont à mettre en cause : la carrière d’un élu
socialiste (cela a notamment été le cas pour Jean-Luc Mélenchon) est assez classique. D’abord salarié dans des instances locales (comme Delphine Batho), puis élu au niveau local, puis élu au niveau national.
Cette mesure qui ferait élire des faux-nez, voire des prête-noms (le baron local étant un "produit d’appel" pour faire gagner le siège à son parti
qu’il abandonnerait ensuite à un apparatchik dévoué), est une véritable insulte à la vie démocratique.
Le projet de loi organique sera probablement adopté ce mardi après-midi au Palais-Bourbon, mais il est possible que la défection non seulement d’élus
radicaux de gauche mais aussi d’élus socialistes mette en difficulté le gouvernement dans le vote au Sénat.
Enfin, il est probable, comme l’ont imaginé les différents députés qui sont intervenus sur le sujet le jeudi soir, que cette mesure sera invalidée par
le Conseil Constitutionnel.
Cette discussion parlementaire a donc été une bonne illustration de la gouvernance de cet exécutif incapable d’intérêt général et qui pourrait se
résumer à ce que décrivait le député François Vercamer (UDI) dans la discussion : « Le fond de l’affaire, c’est que vous ne faites que de
l’affichage et que vous n’avez absolument pas envie de traiter le problème ! ».
Affichage, avez-vous dit ?
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (9 juillet
2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Harlem Désir : touche pas à mon
poste ! (18 février 2013)
François
Hollande.
Le
ministre Manuel Valls.
Valls et les institutions.
Claude Bartolone.
Jean-Christophe Lagarde.
L’amour du PS pour les élections partielles.
Voulons-nous vraiment moraliser la vie politique ?
De la difficulté d’être honnête en politique…