Retour sur un ancien gadget, le "programme d'investissement d'avenir" aujourd'hui convoqué pour ressouder une majorité.
De l'arnaque Sarkozy...
Quand Nicolas Sarkozy, alors président, avait lancé son Grand Emprunt, en décembre 2009, on raillait cette mystification divertissante. L'ancien monarque avait lancé l'idée en pleine crise, quelques mois après le Grand Crash boursier de l'automne 2008. Il s'agissait d'éviter un plan de relance et toute mesure sociale. Des manifestations mobilisaient beaucoup de monde pour réclamer autre chose que cet affichage pompidolien. Sarkozy installa une "commission" fin août. Finalement, le Grand emprunt arriva. Il ne fut pas de 100 milliards d'euros comme le désirait Henri Guaino, ce conseiller si spécial qui prenait l'ex-maire de Neuilly pour un nouveau de Gaulle. Il ne fut pas de 35 milliards d'euros comme on le prétend encore aujourd'hui. L'effort réel, qui s'ajouta à un endettement public qui pulvérisait tous les records, fut de 22 milliards.
Vingt-deux milliards que Nicolas Sarkozy utilisa ensuite comme une cagnotte à annonces pour chacun de ses déplacements provinciaux entre 2010 et 2011 quand il s'agissait de marcher vers sa réélection. Sarkozy investissait dans son avenir.
Par vague, tour à tour, ses ministres annonçaient les heureux gagnants de cette sélection "d'excellence". Car la démarche, proposée par l'improbable duo Michel Rocard/Alain Juppé qui co-présidaient la commission conciliante nommée par Sarkozy, se voulait innovante: ces 35 milliards allaient être dépensés après des appels à projets "ciblés", évalués par un "jury indépendant".
Trois ans plus tard, à peine 5 milliards d'euros auraient été engagés.
La belle arnaque...
Certains ministres du gouvernement Hollande ont été très surpris de constater que l'argent n'avait pas été dépensé. Ainsi la ministre de l'Enseignement Supérieur Geneviève Fioraso s'est-elle étonnée qu'aucun des 13.000 logements étudiants décidés en 2010 avec notamment 1,3 milliards d'euros du Grand Emprunt, n'avaient été construits. La belle arnaque !
Sa collègue de l'Economie Numérique, Fleur Pellerin, fut tout aussi surprise de découvrir que le "plan très haut débit" si cher à Nicolas Sarkozy, avec son objectif de 100% de logements fibrés à l’horizon 2025, n'en était resté qu'au stade de l'annonce... Elle commentait la supercherie en mars dernier: "Sur 1,9 milliard d’euros du «grand emprunt» consacrés au très haut débit, 900 millions seulement étaient destinés aux zones les moins rentables. De plus, moins d’un tiers de cet argent a été dépensé. Ils n’avaient prévu ni équipe - cinq personnes à temps partiel ! - ni le moindre pilotage du dossier." La Cour des comptes avait aussi pointé sur l'absence de financement en matière de fibre optique, dans un rapport rendu en avril 2013.
Bref, il y avait des besoins.
... au jouet hollandais
Quand François Hollande est élu, il ne casse pas le jouet. Après quelques mois, il nomme même Louis Gallois, haut commissaire pour s'en occuper. Finalement, Hollande aime le PIA, le Programme d'Investissement d'Avenir
Mardi 9 juillet 2013, roulement de tambours à l'université Pierre et Marie Curie. Jean-Marc Ayrault promet une nouvelle tranche. Il paraît bizarrement trop bronzé. Il a le verbe toujours théâtral: "je suis venu vous parler de la France de demain". On est content. "La France ne subit pas les évènements, elle a un destin, elle a une politique". Il est assez probable, comme en 2010 au plus fort de la Grande Crise, que les Français aimeraient qu'on leur parle d'aujourd'hui. Le vocabulaire sarkozyste de 2009 ne craignait plus le ridicule. Celui de Jean-Marc Ayrault, si ce dernier n'y fait gaffe, est en bonne voie de le rattraper.
Mais les ambitions du "nouveau programme d’investissements d’avenir" dénommé PIA 2, avec ses 12 milliards d'euros, sont nobles, évidémment. "50% concerneront directement ou indirectement la transition énergétique, plus de 3,5 Mds € seront consacrés aux universités". Les autres priorités concernent l’industrie de demain et l’innovation, le numérique, la santé, "l’excellence technologique". N'en jetez plus !
Cela donc de l'affichage politique, évidemment.
Cette annonce était devenue depuis quelques jours un enjeu politique. Ce jeu est agaçant, pénible, digne de Sarkofrance. Le limogeage psycho-dramatique d'une jeune ministre socialiste à l'Ecologie la semaine précédente avait crispé les alliés écologistes. Ces derniers réclamaient des preuves d'amour ! Il fallait prouver que la présence des écologistes dans l'alliance gouvernementale était utile à l'écologie. Pascal Durand, le secrétaire national d'EELV, s'évertuait sur tous les plateaux radiotélévisées de clamer cette exigence d'utilité.
Notre monde politique est ainsi fait et discipliné par la dictature de l'image qu'il se contraint à suivre cette course stupide à l'échalote politique. Les Verts aussi ont besoin d'affichage, peut-être plus que d'autres encore tant leur "cause" nécessite un temps long.
Les écolos, ce mardi, auraient dus être satisfaits. Ils avaient leur cadeau: la moitié des 12 milliards annoncés seraient consacrés à la fameuse "transition écologique". Pascal Durand exulte (un "excellent signal"), Cécile Duflot ne dit mot. Noël Mamère, député écologiste, s'agace: Ayrault fait de la "calinothérapie écologiste", d'après lui. Pour son collègue du Sénat Jean-Vincent Placé, cela ne suffit pas. Il veut 3% ... d'augmentation du budget du ministère de l'écologie, soit... un peu moins de 300 millions d'euros. Le gars réclame 300 millions d'euros sur ce périmètre sinon... "nous en tirerons toutes les conséquences". Fichtre !
Revenons à nos moutons d'avenir, pardon, nos investissements. La méthode Hollande/Ayrault innove un peu et enfin.
Primo, le premier ministre est chargé de l'annonce. On reste fidèle à la méthode Hollande, que l'on avait cru un temps amendée, celle qui consiste à placer le premier ministre dans le rôle qui est le sien, gouverner. Du coup, ces investissements d'avenir redeviennent ce qu'ils auraient toujours du rester, une modalité de plus et sans plus de l'action gouvernementale. Ayrault normalise le gadget présidentiel sarkozyste.
Secundo, Ayrault amende la méthode: il invente l'éco-conditionnalité dans les critères de sélection des projets d'investissement. On se pince: nos anciens investissements dits d'avenir et d'excellence n'étaient donc pas eco-conditionnés.
Tertio, ce n'est plus un Grand Emprunt. Sarkozy abusait de l'image de l'Emprunt de guerre, le "Grand Emprunt". Ayrault n'évoque que des investissements. Car ces derniers seront principalement financés par des prêts plutôt que des subventions ou des avances remboursables.
Quarto, cette nouvelle tranche de 12 milliards d'euros est correctement programmée: elle est proposée au moment où la séquence budgétaire débute. En 2009, Nicolas Sarkozy avait balancé le projet en décembre 2009. Le budget de l'année venait d'être adopté qu'il était déjà obsolète de 35 milliards ! Cette fois-ci, on remerciera Ayrault d'un professionnalisme qui tranche d'avec l'amateurisme de l'ancien monarque.
Lire aussi:
- Investir pour la France (communication gouvernementale)
- "Sarkozy et son "grand emprunt d'excellence" (Sarkofrance, décembre 2009)
- "Bonus ou grand emprunt : l'échec démocratique" (Sarkofrance, août 2009)